La chronique onirique de Page – Episode 13

Posté dans : Feuilleton 2
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités nous entraineront, une fois de plus, dans le quartier du Maupas, suite à une étrange découverte. Elles contiendront, de plus, une fois n’étant pas coutume, une morale, et nous en apprendrons un peu plus sur nous-mêmes. Alors asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Gants

Il est des moments de surréalisme pur, dont nous n’oserions jamais croire que nous puissions un jour les rêver. Il est des moments où l’imagination nous porte de par ses sillages incertains, vers ce qui nous effraie, nous amuse, ou nous fait réfléchir. Il est des moments où les forces de la sérendipité se font particulièrement sentir. Mardi soir, vers la minuit, Page a vécu l’un de ces moments.

Comme souvent, Page regardait par la fenêtre de son appartement. Quand soudain, un détail, une petite chose insignifiante, vint troubler sa rêverie. Ils étaient là, bleus sur le noir de l’asphalte, illuminés par un de ces lampadaires baignant les rues de notre belle cité de leur lumière jaune orange. Intrigué.e, Page décida d’y aller voir de plus près. Non sans s’assurer d’avoir terrifié la voisine qui sortait de l’ascenseur, ne s’attendant pas du tout, la pauvre, à croiser le masque si proche de son douillet appartement à pareille heure de la nuit, Page, les yeux fous, descendit, son appareil photo à la main, pour capturer la vision incongrue d’un oeil plus objectif que le sien. Ille ne rêvait pas. Ils étaient bien là, posés comme une question sur le monde. Deux gants chirurgicaux, côte à côte, certains doigts pliés, comme si leur propriétaire avait soudainement disparu sur le seuil de l’immeuble.

Immédiatement, Page pensa au Ravissement divin. L’explication était simple : Dieu avait rappelé à soi les siennes, les siens, en commençant tout naturellement par les chirurgiens et les chirurgiennes – qui sont comme chacun.e sait les favori.te.s du Seigneur, s’acharnant à ouvrir leurs semblables pour voir de plus près à quel point Celui-ci a fait du bon boulot. Scrutant, scrutant les cieux, Page chercha à discerner les corps d’autres de ses semblables, également importants aux yeux Dudit Seigneur, s’élever, et crut même en discerner quelques uns… Puis se rendit compte qu’ille ne croyait pas tellement au Ravissement, en fait, ni exactement au Seigneur, et que ce qu’il avait pris pour des corps en ascension n’était en réalité que le fruit de son imagination (en réalité, il s’agissait simplement d’une manifestation de moustiques de foi mormone, opposés à la transplantation). Ayant failli à trouver une explication céleste au phénomène, ille décida de chercher une explication plus terre-à-terre.

Longtemps, longtemps, ille regarda les gants. Et puis une nouvelle idée germa dans son esprit. Et si ces fameux gants n’étaient pas portés précédemment, mais qu’ils n’étaient que la partie visible d’un quelconque visiteur souterrain ? Première explication plausible : la visite d’un des fameux hommes-taupes, ou d’une des fameuses femmes-taupes, qui peuplent l’infra-monde. « Un premier contact, pensa Page, juste en bas de mon petit immeuble ! » Ille se permit même un « Youpi ! » intérieur. Avant d’immédiatement déchanter. En effet, il est de notoriété publique que les femmes-taupes, que les hommes-taupes, sont doté.e.s d’un sens de l’élégance hors du commun, reconnu d’ailleurs par leurs voisin.e.s Morlocks, ainsi que par la plupart des organismes monocellulaires vivant à au moins 20 mètres en dessous du sol. Et il s’avère que, cette saison, les gants chirurgicaux bleus sont LE faux pas à éviter à tout prix. Une deuxième explication s’imposait donc, que Page décida d’appeler « La tragique et édifiante histoire du Docteur Buttet ».

La tragique et édifiante histoire du Docteur Buttet

Il était une fois un chirurgien connu de tous sous le nom du Dr. Buttet. La veille de son entrée à l’hôpital, il avait copieusement arrosé son nouveau contrat avec sa fiancée, Mademoiselle Jeanne Rochat et, pour gagner du temps, avait décidé de se vêtir avant même d’entamer sa courte, trop courte nuit. Il avait donc, dans le désordre de son esprit embrumé par les vapeurs d’alcool, enfilé son plus beau costume, son plus brillant stéthoscope, ses plus sérieuses lunettes en écaille, et ses plus stériles gants chirurgicaux (les bleus, là, les jolis, qui lui donnaient cet air à la fois hygiénique et légèrement porté sur la fantaisie, d’après sa fiancée, Mademoiselle Rochat). Le matin venu -trop vite, bien trop vite- le Docteur Buttet se leva, tout paré qu’il était, et traversa, en chemin vers l’hôpital, le quartier du Maupas, en réfection par le service des routes et travaux de la Ville de Lausanne. Et c’est là, précisément, que le Docteur Buttet rencontra son destin.

Au moment où il passait devant le petit immeuble de Page, pensant aux oiseaux, au printemps qui approchait, et à l’amour qu’il portait à Mademoiselle Jeanne Rochat, sa fiancée, le sol s’enfonça sous ses pieds : une quelconque taupinière avait été mise à jour sous le pavement goudronné enlevé pour rénovation. Il cria à l’aide, longtemps, longtemps, avant d’être enseveli sous un tas de graviers. Ne restèrent plus, ensuite, que ses mains gantées de bleu qui dépassaient encore. Il eût été possible de le sortir de là si la conductrice de la pelleteuse, une certaine Mademoiselle Rochat, n’avait pas passé la soirée à boire à la santé du Docteur Buttet (son fiancé), et n’avait pas décidé de se mettre un petit peu de musique pour lutter contre la fatigue. Quelques jours plus tard, Page découvrait les restes brisés du Docteur Buttet. La morale de cette histoire, comme vous l’aurez compris, est que l’amour triomphe de tous les maux. Suite à la mystérieuse disparition du Docteur Buttet (son fiancé), Mademoiselle Jeanne Rochat décida de parcourir le vaste monde, et finit par épouser un pêcheur australien appelé Bruce, qui la chérît chaque jour un peu plus. Quant aux gants, personne ne sait exactement ce qu’ils sont devenus.

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2 Responses

  1. Avatar
    jojolangelot
    | Répondre

    PEYOTL !

  2. Avatar
    tao
    | Répondre

    imagination débordante!

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