1/3 Pédaler dans le yahourt!

1/3 Pédaler dans le yahourt!

Pour cette première contribution au LBB, une réflexion partagée dérivée en trois articles distincts qui chacun se questionnera sur un rythme: le mouvement au travers de l’activité physique, le fare niente sous le biais de l’immobilité et l’hymne à la lenteur par le récit personnel de ma convalescence à la suite d’un accident de vélo. La thématique de cet article est le questionnement sur le mouvement et le sentiment de liberté et de sécurité qu’il confère tout en s’inscrivant dans une volonté politique et sociale de promotion de la santé.

J’écris cette série de trois articles à la suite d’un accident à vélo qui m’a immobilisé quelques semaines et qui m’a donné le temps et l’opportunité de me questionner sur le mouvement (article 1/3 Pédaler dans le yaourt!), l’arrêt (article 2/3 Plus un geste!) et la lenteur (article 3/3 Il n’y a pas le feu au lac!).

Se déplacer avec un plâtre à la jambe relève du domaine sportif! Abdominaux engagés, cardio à bloc et courbatures aux bras, la mobilité en béquilles est périlleuse. Pour limiter le risque d’effondrement musculaire, je bouge le moins possible (oui, je sais, je suis une petite joueuse!). Avachie dans (et non sur) mon canapé (qui a d’ailleurs adopté ma physionomie depuis), je passe beaucoup de temps à regarder la télévision dont une pub sur deux concerne la nourriture et l’autre moitié des médicaments (cela en dit long, vous ne trouvez pas?) et me voilà tiraillée entre mon envie de manger (à force de voir des Kinder, M&Ms et Lindt se dandinaient à l’écran. D’ailleurs n’est-ce pas bizarre qu’on personnalise le chocolat comme un être vivant? Kinder, homme chocolat amoureux de sa femme verre de lait. Quand on mange un Kinder Riegel, on avale le fruit de leur amour. Déroutant quand on y pense, non ?) et ma culpabilité de ne pas bouger. Oui, car en dessous de cet amour chocolat-lait, s’affiche un message écrit en petit au bas de l’image qui varie entre “Pour votre santé, bougez plus!” et “Mangez au minimum cinq fruits et légumes par jour.”.

Photos: Leticia Pérez

“C’est pour apprendre où je vais que je marche.”

Eric-Emmanuel Schmidt

Vous avez pu le constater, j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir et pleins de questions me sont apparues dont celle de la place que prend l’activité physique dans notre vie avec ces nombreuses campagnes de santé promouvant le mouvement mais aussi l’équilibre constant entre gain de calories par l’action de manger et perte des dites calories par le mouvement. Cet article tente donc une réflexion personnelle sur la nouvelle norme sociale de l’activité physique par, entre autres, la mobilité comme promotion de la santé.

Je bouge donc je suis sain-e

L’activité physique est devenue un fait social. Comme l’écrivent Brice Favier Ambrosini et Matthieu Delalandre (voir p. 82 de la référence 1 à la fin de l’article): “L’activité physique et sportive apparaît dès lors comme l’un des ressorts de la normalisation des comportements.”. En effet, celui ou celle qui ne fait pas de sport et/ ou une activité physique est souvent regardé-e d’un œil inquisiteur, peut-être davantage à Lausanne, capitale olympique. Combien d’entre nous avons inclus “faire plus de sport” et/ ou “manger plus sainement” dans sa liste de résolution pour cette nouvelle année? “Nos contemporains devraient être sportifs et ne pas boire d’alcool, suivre des régimes diététiques et ne pas consommer d’aliments issus d’OGM, vivre ‘cool’ et ne pas fumer, être dynamiques et vigilants mais avoir un sommeil régulier. […] Bref, beaucoup d’exigences qui normalisent une existence.” (référence 5). On culpabilise beaucoup l’individu mais peu la société dans son ensemble. L’individuation est de rigueur et donc il incombe à chacun-e de nous de vivre sainement.
Plus j’entends des jugements du types “ce n’est pas sain!” utilisé dans différents contextes, plus je me questionne sur le “sain”. Manger trop salé? Ce n’est pas sain! Manger trop sucré? Malsain! Consommer trop de viande? Pas sain! Boire son thé trop chaud? Toujours pas sain! Bougez trop? Pas sain! Ne pas (trop) bouger? Trop pas sain! EN résumé, le “trop” est malsain…

“Il y a bien sûr les incitations représentées par l’esthétique des corps parfaits, qui peinent à perdre leur domination dans notre imaginaire. […] Ceci est particulièrement visible dans les campagnes de publicité et de santé. ‘Mangez des fruits et des légumes’, ‘évitez de grignoter’, ‘bougez’… […] Ils tendent à nous rendre responsables de nos propres échecs et déresponsabilisent du même coup la société, au lieu d’interroger le fonctionnement du système social ou politique. L’individu se retrouve piégé.”

Elsa Godart (voir référence 10)

Pour comprendre le “sain”, je décide de dévier mon regard du poste de télévision pour le centrer sur un autre écran plus petit, celui de mon natel pour interroger l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Dans un de leurs articles, voici ce qu’on y lit: “De quoi exactement doit être composé un régime alimentaire sain? Cela dépend de différents facteurs, par exemple, de l’âge et du niveau d’activité ou des produits qui sont disponibles dans la communauté.” (référence 7). On y trouve un des éléments dont je souhaite me centrer, comme dit au début de l’article (il y a maintenant 5 minutes), qui est l’activité physique.

Photos: Leticia Pérez
Campagne publicitaire Activ Fitness.
On y lit: “Laissez tomber les réserves d’hiver.”

” Nos contemporains devraient être sportifs et ne pas boire d’alcool, suivre des régimes diététiques et ne pas consommer d’aliments issus d’OGM, vivre ‘cool’ et ne pas fumer, être dynamiques et vigilants mais avoir un sommeil régulier. “

Geneviève Le Bihan et Cécile Collinet

Transport actif

Photo: Leticia Pérez

Mon focus sur l’activité physique se fera par l’utilisation d’un transport actif qui est aujourd’hui de plus en plus promu au travers de campagnes publiques comme l’aménagement de pistes cyclables ou la subvention dans l’achat d’un vélo mais aussi de campagnes privées avec l’émergence, par exemple, de Charte de Mobilités Durables dans les entreprises ou d’actions ponctuelles comme bike to work (de pro vélo).
La mobilité devient un enjeu pour la santé publique et pour l’environnement. “Ainsi, l’idée selon laquelle l’activité physique – pratiquée de façon modérée- constitue un facteur de protection et un vecteur favorable pour l’acquisition d’une bonne santé est largement partagée dans les représentations collectives.” (p. 83, référence 1). Ce constat se vérifie de plus en plus par, par exemple, des contributions des assurances maladies aux abonnement de fitness ou par la quantité de publicités sur l’espace public pour une souscription aux dites salles de gym. “En l’espace de quelques décennies, les lieux pour pratiquer du sport se sont multipliés à tel point que près d’un Suisse sur dix a un abonnement dans un fitness.” (référence 3).

Pourquoi dormir quand on peut aller courir au fitness ouvert 24/24h ?
Photo: Leticia Pérez

La Petite Reine de la mobilité durable et saine

L’utilisation de la Petite Reine comme moyen de transport se développe dans un contexte plus large que le simple mode de déplacement. Pour reprendre l’exemple de bike to work, sur son site, il se décrit comme “une campagne de promotion de la santé sur le lieu de travail en Suisse.” (référence 2).
Lors du choix de ma mobilité, j’ai opté pour le vélo électrique (dans mon cas, l’électricité s’imposait à la mécanique) qui me permet de me déplacer rapidement, de me garer facilement et sans contrainte d’horaires ni de règles très (trop?) strictes. En plus d’être, selon moi, le moyen le plus rapide pour se déplacer dans la jungle urbaine lausannoise, le vélo est aussi synonyme de liberté et d’autonomie. On ne peut pas conduire trop vite ou trop lentement (j’exclus ici les vélos électriques 45km/ heure). Nous avons le contrôle de notre conduite (ou pas selon la mécanique de nos jambes et l’aération de nos poumons), nous sommes actifs et actives dans nos déplacements et nous prenons l’air.
Si les cyclistes souffrent du manque d’infrastructures adaptés pour qu’ils/ elles se sentent en sécurité et reconnu-e-s comme usagers/ usagères légitimes de l’espace routier public, il y a également quelques avantages à cela comme le manque de réglementations claires et précises. Pour ne citer que lui, l’exemple du cadre de conduite est particulièrement parlant. pour conduire un vélo, mise à part l’apprentissage de tenir sur un deux roues que cela demande au début, il n’y a pas de cours à suivre, pas de permis à passer pour légitimer sa conduite sur la route. Qui a un vélo et sait tenir dessus peut l’utiliser comme moyen de transport, qu’il/ elle connaisse les codes de la route ou non. Qu’est-ce que cela peut dire d’un point de vue identitaire du cycliste? Il est toléré sur la route mais n’en n’est pas un utilisateur “assermenté” comme l’est l’automobiliste grâce au permis de conduire. D’ailleurs les pistes cyclables lausannoises sont très parlantes, elles serpentent de la route au trottoir et vice-versa. Mi-piétions, mi-routiers voilà les identités des cyclistes ? L’identité du cycliste semble se construire en opposition aux autres moyens de transports et non de façon propre et indépendante.

“Puis-je me définir comme cycliste sans marquer mon opposition à tout autre système de transport?”

Philippe WIEDMER

Lenteur insécurisante

Le mouvement et la mobilité sont aujourd’hui au cœur de tous les débats. Promouvoir la santé par l’offre gratuite d’activités sportives avec Urban Training, la participation des assurances maladies pour un abonnement au fitness et l’apparition d’avantages économiques pour qui refuse la voiture pour se rendre au travail sont de plus en plus répandues et prennent de l’ampleur. “Les soins de santé, la prévoyance de la maladie, le contrôle régulier des équilibres biopsychologiques, le respect de certains styles de vie se sont imposés de nos jours comme une culture de masse.” (référence 4). La sédentarité est combattue car vue comme “facteur de risque de maladies chroniques […].” (référence 5). Et si nous refusons le mouvement, serons-nous qualifié-e de personnes “non-saines” et donc coupables de potentielles maladies dont nous pourrions être atteint-e-s?
Dans le mouvement, je m’y sens en sécurité que cela soit parce qu’il me donne la notion de respecter les normes et donc rentrer dans le cadre de “personne saine” mais aussi car il me confère de l’autonomie et de l’indépendance. Dans ma lenteur, je m’y suis sentie vulnérable car je ne pouvais pas fuir si un danger se présentait, je ne pouvais pas agir rapidement et je dérangeais constamment dans cette société de la vitesse. J’ai évolué dans la rapidité et je m’y sens bien car en elle j’y vois de la sécurité qu’elle soit physique (pouvoir courir, fuir d’un danger) mais aussi mentale car synonyme de rendement et d’efficacité félicitée au travail et aussi de pertes caloriques par l’accélération du système cardiovasculaire.

En conclusion, je citerai Georges Vigarello qui, dans son ouvrage Le sain doit-il être beau? La nourrice et la beauté de la terre écrit ceci: “Définir un état de bien-être idéalisé, celui de la santé, c’est invinciblement amalgamer toutes les vertus positives du corps, au-delà des seuls indices objectifs. La vision de la santé est gagnée par les jugements de valeur, la sensibilité, la culture. Elle brouille les frontières.” (p. 87, référence 9).

Bibliographies
Références citées dans cet articles:

REFERENCE 1: : FAVRIER-AMBROSINI Brice, DELALANDRE Matthieu, Les réseaux sport santé bien-être : un gouvernement par le chiffre , in « Cairn. Info », 2018/1 N°32, pages 81 à 106

REFERENCE 2: INCONNU, La promotion de la santé facilitée !, in « biketowork.ch » (https://www.biketowork.ch/fr/company/gesundheitsfoerderung)

REFERENCE 3: SCHENK Christophe, ZEMPERINI Claudio, BOILLAT Frédéric, 1000 salles et 750’000 abonnés, le fitness est en plein boom en Suisse, in « RTS.ch », 7 février 2017 (https://www.rts.ch/info/suisse/8368330-1000-salles-et-750000-abonnes-le-fitness-est-en-plein-boom-en-suisse.html)

REFERENCE 4: André Rauch, « Le sport nous rend-il addictifs à des normes de santé ? », Face à face [En ligne], 11 | 2011, mis en ligne le 18 février 2011, consulté le 14 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/faceaface/617

REFERENCE 5: Le Bihan Geneviève, Collinet Cécile, « Les activités physiques au cœur de l’actualité en santé », Santé Publique, 2016/HS (S1), p. 9-11. DOI : 10.3917/spub.160.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2016-HS-page-9.htm

REFERENCE 6: AÏACHE, Véronique, L’art de ralentir. Pour prendre le temps de vivre », Editions Flammarion, Paris, 2018.

REFERENCE 7: Référence 8 : INCONNU, « 5 pistes pour manger sainement cette nouvelle année », publié le 26 décembre 2019 sur le site de l’OMS à l’adresse URL suivante : https://www.who.int/fr/news-room/feature-stories/detail/5-tips-for-a-healthy-diet-this-new-year

REFERENCE 8: WIEDMER Philippe, « Quelques idée de vélosophie » dans Pro Velo Info, N°58, Décembre 2021, URL : https://www.pro-velo.ch/fileadmin/redaktion/Dateien/Publikationen/Velomagazine/proveloinfo_58_2021.pdf

REFERENCE 9: VIGARELLO Georges. Le sain doit-il être beau ?. In: Communications, 60, 1995. Beauté, laideur. pp. 87-93; doi : https://doi.org/10.3406/comm.1995.1911 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1995_num_60_1_1911

REFERENCE 10: POINSOT Nicolas, « Pourquoi notre époque nous fait culpabiliser pour tout et n’importe quoi », in Femina, paru en ligne le 24 février 2022. URL : https://www.femina.ch/societe/actu-societe/pourquoi-notre-epoque-nous-fait-culpabiliser-pour-tout-et-nimporte-quoi

  1. Avatar
    Ygor
    | Répondre

    Je crois vous avez perdu votre clé avec une carte

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