Religions et religiosité du peuple malgache

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La déferlante évangélique n'épargne pas la Grande Île de Madagascar. Un blogueur expatrié nous raconte.

Dans les années 1960-1970, nombre de sociologues discouraient sur un phénomène qu’ils considéraient comme caractéristique de notre propre modernité : le « désenchantement du monde» (1) à l’œuvre dans nos sociétés occidentales marquées par une sécularisation triomphante ainsi que par une laïcisation des idées et des mœurs, qui devaient alors sonner le glas d’un monde jusqu’alors régulé par des modes de vies, des habitudes et des pratiques chrétiennes.  Aujourd’hui néanmoins, le discours semble avoir changé, et l’inéluctabilité annoncée du déclin du christianisme se voit contredite par le renouveau et même la progression de cette religion. Ainsi selon les experts, la religion qui sera majoritaire dans le monde en 2050 n’est pas la religion musulmane, comme d’aucuns auraient pu le penser il y a quelques décennies, mais bien le christianisme, qui englobera pas moins des trois quarts de l’humanité (2). Cette expansion de la religion chrétienne se caractérise par deux aspects fondamentaux ; premièrement, l’inexorable glissement du centre de gravité du christianisme vers les pays du Sud, et, deuxièmement, le formidable essor du protestantisme évangélique, au détriment des institutions religieuses plus « traditionnelles ». 

 

En effet, sur les terres d’élection du renouveau chrétien, les Eglises dites « historiques », comme l’Eglise catholique ou les confessions protestantes, que celles-ci soient luthérienne, réformée, méthodiste ou anglicane, paraissent moins performantes dans leurs entreprises que les Eglises de type évangélique ou pentecôtiste, qui jouissent le plus souvent d’une grande indépendance et demeurent souples dans leur fonctionnement et leurs obligations. Souvent caractérisées par des discours doctrinaux moins élaborés, un prosélytisme actif ainsi qu’une prédilection pour l’émotionnel et les pratiques syncrétiques, ces communautés croissent bien souvent comme réponse à la précarité et la misère des masses urbaines et des populations paupérisées. Mettant l’accent sur les charismes, les pratiques de guérison et la dévotion populaire, constituant des réseaux d’entraide qui promeuvent, éduquent, soignent et exhortent les fidèles, ces confessions se regroupent souvent autour de « pasteurs autoproclamés » dotés de grandes compétences communicationnelles, fréquemment versés dans les affaires et bénéficiant de l’adoration de leurs fidèles. Puisant dans des registres de pratiques considérées par certains comme archaïques, telles que la glossolalie, la magie, la thaumaturgie ou les exorcismes, ces courants n’hésitent pas, concomitamment, à mobiliser les moyens les plus sophistiqués et modernes de la communication, utilisant à leur profit les médias que sont la télévision, les ondes radiophoniques, les journaux et, évidemment, Internet.

Selon les termes de Henry Tincq, la croissante et le succès actuels des ces communautés à l’échelle planétaire devient, parallèlement à la montée d’un islam agressif, le « phénomène religieux le plus spectaculaire du siècle » (3). En effet, en Amérique latine, le protestantisme évangélique connaît une croissance spectaculaire, comptabilisant aujourd’hui quelque 70 millions d’âmes, soit 14 % de la population (surtout au Chili, au Guatemala, au Brésil, au Nicaragua et au Pérou) (4). En Afrique, continent où la population chrétienne, toutes confessions confondues, augmente le plus rapidement, le « protestantisme conservateur », pour reprendre l’expression de Peter Berger (5), connaît une rapide expansion à l’Ouest ainsi qu’au Sud, opérant bien souvent une forme de syncrétisme avec les pratiques animistes locales.

A Madagascar, la situation ne fait pas exception. En effet, arrivées dans la foulée de l’ouverture démocratique des années 1990, de nombreuses « nouvelles religions » sont apparues sur le sol malgache et se sont fait de plus en plus pressantes. Profitant de la faiblesse du pouvoir d’achat qui accable les plus faibles, elles tentent de convertir les miséreux en fidèles, notamment en leur donnant de la nourriture et des vêtements, en leur prodiguant des soins, et en leur offrant plus ou moins ouvertement une alternative aux « Eglises traditionnelles », souvent perçues comme étant trop proches du pouvoir. Nul n’a tenté de les recenser, mais on estime que plus d’un quart des habitants d’Antananarivo adhère à l’une ou à l’autre de ces nouvelles associations cultuelles.

Au centre de la capitale par exemple, le bas quartier de Manarintsoa-Isotry offre un terreau fertile aux prêcheurs de tous les horizons. Ici, on est pauvre. Une large majorité des habitants vit avec moins d’un euro par jour. Les services publics n’existent quasiment pas. Pas plus que la sécurité. « Les Malgaches ont toujours été très croyants, il est donc facile de leur imposer Dieu comme dernier recours », rappelle Solo-Raharinjanary, doyen de la faculté d’Antananarivo. En quelques années, les rues de ce quartier, des allées boueuses bordées de cabanes en planches, de rares maisons rongées d’humidité peuplées de gamins loqueteux, se sont emplis d’églises, de temples et de maisons de Jésus en tous genres. Les Messagers du Christ, les Lecteurs de la Bible ou les Témoins de Jéhovah côtoient les grandes et les petites obédiences américaines des mormons ou de la Winner’s Chapel. Tous prélèvent leur écot et possèdent leurs « ONG » qui suppléent à peine aux carences de l’Etat. Rien de choquant pour Jane Rambelonarosoa, présidente du quartier. « Prier le Seigneur est la vraie solution aux problèmes car lui seul peut nous aider. » Longtemps pieuse catholique, elle a rejoint il y a deux ans la communauté des kibanguistes, l’ « Eglise de Jésus-Christ sur terre et de son envoyé spécial Simon Kibanga ». Depuis, elle vit avec ses 5 enfants et une vingtaine d’autres familles autour du temple et du représentant local de cette secte, un ancien syndicaliste et militant d’extrême gauche. « Nous travaillons tous ensemble comme le demande le pasteur et nous partageons tout. »

Dans un autre quartier de la capitale, à Ankorondrano, l’on peut apercevoir un grand bâtiment de tôle et de béton beige, ressemblant à un hangar à avions ou à un quelconque entrepôt portuaire. Il n’y a que l’immense croix barrant la façade qui permet de reconnaître le temple principal des fidèles de la secte Jesosy Mamonsy (Jésus le Sauveur), une dénomination chrétienne de type évangélique dénombrant quelque 200’000 âmes sur la grande île. Chaque dimanche, des milliers de croyants convergent vers les dizaines de portes de cette « église », plantée au bord d’une des grandes artères d’Antananarivo. A l’intérieur, la ferveur des prières est palpable; les paumes tournées vers le ciel ou à genoux, la tête posée sur le banc, les croyants écoutent les exhortations du révérend Ratafy qui, depuis l’autel aux allures de scène de meeting politique, tonne les bras grand ouvert et menace les pêcheurs des pires sanctions divines.

L’essor et le succès rencontré par ces nouvelles « Eglises » chrétiennes en terre malgache peut sembler être un vivifiant renouveau d’une chrétienté traditionnelle qui s’est peut-être amollie à force de côtoyer de trop près les élites du pouvoir. Rappelons en effet que jusqu’en février 2009, la puissante Fédération des Eglises de Madagascar (FFKM), qui regroupe les catholiques, les protestants, les anglicans et les luthériens, constituait une partie quasi-intégrante du pouvoir exécutif. Aujourd’hui néanmoins, depuis le coup d’état et l’auto-proclamation d’Andry Rajoelina à la tête du pays, il est manifeste que les beaux jours de la FFKM ont pris fin. 

 

Dès lors, la situation de « concurrence religieuse » semble plus âpre que jamais. Les Eglises deviennent des « Eglises entreprises » qui se doivent d’être performantes, tandis que les fidèles deviennent des clients qu’il est nécessaire de séduire et, justement, de fidéliser. Afin de capter leur ferveur et leur piété, les diverses dénominations religieuses mettent en œuvre différents processus d’infiltration de la sphère publique, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, plus ou moins délaissés par l’Etat.

La finalité de tous ces efforts n’est pas anodine, nous l’aurons bien compris. En effet, le montant global de la dîme récoltée est évidemment proportionnelle aux nombres de fidèles que compte chaque Eglise parmi ses rangs. Et dans un marché religieux concurrentiel, l’argent demeure, comme au sein de tout autre marché, le nerf d’une guerre spirituelle d’un genre nouveau. 

 
 

1 M. Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985. 
2 O. Mongin, “Puissances de la foi, séductions du marché”, in Esprit (1940), 2007-03/04, nー333, p. 157.
3 H. Tincq, “Christianisme – une destination, le Sud”, in L’atlas des religions, hors-série, coédition La Vie – Le Monde, automne 2007, p. 47.
4 M.-F. Durand, B. Martin, D. Placidi… [et al.], Atlas de la mondialisation : comprendre l’espace mondial contemporain, Sciences Po, les presses, Paris, 2007, p. 79.
5 P. Berger (dir.), Le réenchantement du monde, Bayard, Paris, 2001.

Francis

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