Cette semaine, nos sérendipités seront personnelles, humaines, sociales et prophylactiques. Nous passerons un moment privilégié avec une catégorie d’êtres humains que Page apprécie particulièrement : les gens. Alors asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.
Comment vivre longtemps malgré la crise ?
Lecteur, lectrice, mon frère, ma soeur, mon cousin, ma cousine, aujourd’hui, Page va parler de TOI. Oui, toi, là, le petit employé de bureau à lunettes tentant de camoufler ton début de calvitie par un combover d’un effet certes douteux mais digne, toi, l’hygiéniste qui d’un sourire rassures le phobique dentaire, toi le paysagiste triomphant pensant à ton futur enfant en rentrant du boulot, toi la mère dudit qui va aller bosser toute la nuit en évitant de penser aux nausées matinales et au mal de dos, toi mon barman préféré, toi mon amie à moitié kleptomane, toi qui partages avec tes semblables un attrait pour le vieux rhum, toi l’érotomane aux sous-vêtements de latex qui me jettes des regards équivoques alors que j’écris cette chronique, toi la knismolagnique regardant un plumeau l’air envieux, toi l’adolescent qui ne viens ici que pour recharger tes batteries entre deux moments personnels qui ne regardent que toi, toi que je ne connais pas encore mais je finis mon verre, on verra, toi qui ne lèves les yeux de ton livre que pour commander un café, toi que j’ai croisée une fois dans la rue et avec qui je n’ai échangé qu’un regard d’une demi-seconde, toi qui habites trop loin pour que notre rencontre ne puisse être que le fruit d’un extraordinaire hasard. Toi, en gros, mon à-peu-près-semblable-mais-en-un-p’tit-peu-moins-moi-que-moi.
Pour la durée de cet article, je vais me permettre de te tutoyer. N’y vois aucune familiarité déplacée alors que nous n’avons (encore) gardé aucun animal de la ferme, pas même un quelconque poulet de batterie, ensemble, considère plutôt que je t’aime bien, au fond, et peut-être même à la surface, et que je voudrais m’adresser à toi gentiment, d’égal.e à égal.e.
Oh, je sais bien, tu n’es pas vraiment parfait, tu n’es pas complètement parfaite. Tu as des vices cachés. Il arrive que lorsque personne ne te regarde, tu mettes tes doigts dans ton nez. Il arrive que tu penses à ton petit voisin, le blond, là, avec les taches de rousseur, alors même que ton partenaire officiel s’essouffle mollement sur ta poitrine finalement pas si mal malgré ta trentaine. Il arrive que tu mentes à tes partenaires pour obtenir des faveurs d’ordre sexuel. Il arrive que tu regardes en coin ton vis-à-vis dans le train parce qu’il a des airs pas tant d’chez nous. Il arrive que tu sois minable et mesquin, engoncé dans ta peur de l’Autre, dans des préjugés que tout ce qui t’entoure t’encourage à cultiver. Il arrive aussi que malgré tout ça tu ne refuses pas forcément une petite pièce à une tzigane, et tant pis si « ces gens-là roulent quand même en BMW et mangent des hérissons, les barbares ». Il arrive que tu te laisses aller à un peu de compassion pour quelqu’un qui a l’air de crever dans la rue. Il arrive que tu fasses preuve, par inadvertance ou pas, d’une grâce que tout l’Art d’hier et de demain ne saura jamais restituer en entier. Il arrive, parfois, que tu sois un être humain tout simplement. Je compatis. Certain.e.s, d’ailleurs, iraient jusqu’à avancer – les cuistres – que derrière mon masque, je souffre de la même affliction.
Aujourd’hui, au détour d’un article paru dans la fort sérieuse revue PLoS Medicine, j’ai découvert que tu m’étais bon à la santé. Lors d’une méta-analyse de 148 études longitudinales parues ces dernières années dans d’autres fort sérieuses revues, Julianne Holt-Lunstad, Timothy B. Smith, et J. Bradley Layton ont mis en lumière que les relations sociales augmentent substantiellement l’espérance de vie. Tu as bien lu, mon camarade, ma compère, mon acolyte, ma commère : grâce à ce que nous allons faire ensemble (non, Monsieur l’érotomane, rangez tout de suite votre combinaison en latex, non, Madame la knismolagnique, rangez tout de suite votre plumeau, j’ai dit sociales) ces prochaines années, je vivrai cinquante pour cent plus longtemps qu’un ermite esseulé, qu’une princesse enfermée dans une tour ou que tout autre bipède exilé.e de gré ou de force. Être bien entouré.e (et comment ne pas l’être alors que tu es à mes côtés ?), équivaut à réduire sa consommation quotidienne de cigarettes par 15, à cesser d’être alcoolique et est plus efficace qu’un exercice physique régulier ! Avoir des relations (SOCIALES, Monsieur, je sais bien que ce n’est pas votre téléphone que je sens contre mon omoplate) est donc l’un des moyens les plus sûrs de devenir centenaire.
Alors voilà, mon petit Toto, ma petite Chouquette, mon lapin en sucre, mon adorable peluche vivante, pourquoi aujourd’hui je suis prêt à te pardonner tes travers. Remets tes doigts dans ton nez, repense à ton voisin, remens à tes partenaires d’un soir, reluque ton vis-à-vis, rengonce-toi dans ta peur, aujourd’hui seulement, parce que demain j’attendrai de toi, en plus d’une longue vie, un peu plus de cette grâce dont je te sais capable.
Sur ce, je te laisse, j’ai rendez-vous avec du latex et des plumes.
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2 Responses
Zaëlle
Ranger le plumeau et la combinaison? Pas sûr, on trouve aussi toutes sortes d’études qui montrent que les relations sexuelles augmentent la santé, l’espérance de vie et tout ça…
Et puis forcément que les princesses enfermées ne vivent pas longtemps, soit elles se font manger par des tigres, soit elles meurent de vieillesse en attendant que le prince résolve l’énigme!
Patricia
La crise frappe beaucoup de personnes. Il est très fréquent de voir des gens dont la vie se dégrade à cause de cela, et pourtant ils ne savent pas vraiment pourquoi. Je pense que c’est tout à fait opportun d’avoir publier cet article.