2/3 Plus un geste!

2/3 Plus un geste!

Pour cette première contribution au LBB, une réflexion partagée dérivée en trois articles distincts qui chacun se questionnera sur un rythme: le mouvement au travers de l’activité physique, le fare niente sous le biais de l’immobilité et l’hymne à la lenteur par le récit personnel de ma convalescence à la suite d’un accident de vélo. La thématique de cet article se centre sur l’inactivité répréhensible tout en étant nécessaire et sain pour le corps et l’esprit.

J’écris cette série de trois articles à la suite d’un accident à vélo qui m’a immobilisé quelques semaines et qui m’a donné le temps et l’opportunité de me questionner sur le mouvement (article 1/3 Pédaler dans le yaourt!), l’arrêt (article 2/3 Plus un geste!) et la lenteur (article 3/3 Il n’y a pas le feu au lac!).

A la suite de mon accident à vélo, j’ai dû m’immobiliser afin que la blessure guérisse au mieux. Je pensais savoir ce que « arrêt » signifiait après les confinements répétés de ces dernières deux années, mais non ! Même à la maison, j’ai toujours trouvé à m’occuper et être en mouvement par, entre autres, des exercices fitness à faire à l’intérieur dégotés sur YouTube ou Instagram (depuis mon fil d’actualité est rempli de vidéos sportives et astuces nutritionnelles en tout genre !). Oui, j’en reviens encore une fois à l’activité physique, mais n’avons-nous pas toutes et tous commencé à faire des squats ou à s’engager dans une activité physique depuis COVID-19 ? Comme si l’immobilité ou le fare niente n’était pas concevable car « l’injonction ‘‘bougez’’ […] repose sur une représentation du corps associant la santé à un exercice physique régulier et modéré.  […] Elle s’appuie subtilement sur […] ‘’l’idéologie de la culpabilité.’’ […].» (p.133 […] p. 147, référence 3).

“Plus encore, cette culpabilité s’accompagnait du sentiment de ne jamais faire assez bien. C’est comme si j’étais en train de passer un examen permanent dont l’échec se répétait inlassablement.”

Elsa Godart (p.12, référence 7)
Photo: Leticia Pérez

Inactivité à haut risque!

Dans toutes mes représentations, quand j’entends « sédentaire », je vois quelqu’un assis sur son canapé à la maison, devant la télévision mangeant une pizza avec une bière à la main. Ce n’est pas une image très reluisante et je m’en veux de penser ainsi alors que je me qualifie de sédentaire, d’autant plus ces deux dernières années avec le télétravail qui me cloue, parfois, plus de huit heures, assise à mon bureau face à mon écran. « Un canapé, une paire de pantoufles ou encore un poste de télévision sont présentés comme des ‘activités à haut risque’ […]. » (p.146, référence 3). Entendons à haut risque pour notre santé car on nous répète sans cesse que « la santé vient en bougeant » (p.145, référence 3). La sédentarité renvoie à la maison et à de l’inactivité physique donc qui veut être défini-e comme actif/ active, devra se trouver en dehors de l’espace casanier pour y entreprendre ses (in)activités. « Si le discours scientifique évite d’opposer sédentarité et activité physique, le discours officiel reproduit à l’inverse la représentation profane d’une sédentarité définie par l’inactivité. » (p.144, référence 3).

“la santé vient en bougeant”

 Jean-Paul Génolini et  Jean-Paul Clément 

Si je résume, le repos prescrit pour aider la guérison de ma blessure est accepté et acceptable tant qu’il est temporaire. Ma réhabilitation actuelle me demande, elle, de faire de l’exercice pour aider mon corps a retrouvé sa souplesse et forme initiale (hum hum) car « le surpoids est […] également indicateur social d’un mode de vie sédentaire. La sédentarité est traitée dans les campagnes médiatiques d’éducation pour la santé comme une conduite déviante et pathogène. » (p.146, référence 3). Je le confesse que je suis allée à bonne école. Ne pouvant me déplacer et devant rester assise ou allongée, j’ai du coup contrôlé ma diète car « les usages du corps quotidiens s’inscrivent dans la gestion personnelle de l’énergie objectivée et mesurée par le nombre de calories gagnées et perdues. » (p. 150, référence 3). Mon autocontrôle étant déséquilibré par le fait que je ne pouvais plus perdre par l’activité physique ou le sport, je compensais en durcissant le contrôle dans l’ingestion des calories. « Pour enclencher l’incorporation des normes minimum d’exercice physique, les ‘dispositifs de sécurité’ […] font appel à la responsabilité individuelle en insistant sur les risques sanitaires importants induits par les comportements sédentaires et leurs conséquences sur l’affaiblissement de l’ensemble du système de soins. » (p. 135, référence 3).

Mange (peu), bouge (modérément), dors (beaucoup)

Pourtant, si je suis à l’arrêt c’est bien par ma pratique quotidienne d’une activité physique qu’est le « cyclisme urbain ». Combien d’accidents liés, par exemple, au ski ou au fitness sont comptabilisés chaque année ? « Les accidents de sport sont désormais traités comme relevant du loisir et plus généralement ‘de la vie courante’. » (p.137, référence 3). L’activité physique est considérée comme partie intégrante de la vie courante et du coup difficile à mesurer son risque en ne sachant répertorier et quantifier les dits accidents dans une seule case. Et oui, dans notre société actuelle, le risque numéro 1 n’est pas l’action, le mouvement mais bien la sédentarité. « L’entreprise préventive s’attache alors à transformer les représentations afin de lutter contre ce ’mal social’ qui accroît l’absorption de calories sans en dépenser davantage. » (p.135, référence 3). Tout est mesurable de nos jours, montres connectées au poignet, elle quantifie tous nos mouvements, chronomètre notre quotidien et nous expose notre rythme cardiaque. A chaque heure assise, elle nous rappelle par de légères vibrations qu’il est temps de nous bouger le c… avec son message défilant On fait 250 pas ?. Sentez-vous la frustration de l’auteure de ses lignes pendant votre lecture ? Depuis mon immobilité, j’ai gardé ma fitbit au poignet et je désespérais chaque heure qui passe et sentir ces petites électrocutions me rappelant constamment mon inactivité. Cela fait deux mois que je ne la porte plus. Bonjour la moi libre de mes pas sans savoir à combien j’en suis aujourd’hui et si j’ai atteint mon objectif quotidien de 8’000 pas.

On marche 250 pas ?

Fitbit

D’ailleurs, ce qui me manque le plus est mon rapport quotidien sur l’état de mon sommeil : combien d’heures ai-je dormi en sommeil profond, paradoxal et autre est une donnée que je n’ai plus depuis mon abandon de cet outil, d’ailleurs assez laid, de mon avant-bras. Je critique mais elle m’a permis d’acquérir une certaine connaissance de ma mobilité mais aussi de mon sommeil. Je ne me rendais pas compte à quel point je dormais peu jusqu’à ce que mon natel m’affiche : vous avez dormi cinq heures trente dont trois heures en sommeil profond. « Nous vivons dans une société hyper productive qui valorise l’activité, constate Raphaël Heinzer. On considère le sommeil comme une perte de temps, alors que c’est une fonction biologique essentielle ! Nous sommes aujourd’hui à une période de l’humanité où l’on dort le moins, mais cela a un prix au quotidien : perte de productivité, accidents, stress. Sur le long terme, le manque de repos peut également favoriser les risques cardiovasculaires ou l’obésité. » (p.11, référence 2). Et voilà que le manque de repos est, lui aussi, pas bon pour notre santé. En bref, nous sommes bloqué-e-s entre une sédentarité malsaine et un trop plein d’activités venant empiéter sur nos heures de sommeil dont son manque est, lui aussi, pas sain.

Photo: alex.rebelle.photography

“Nous sommes à une période de l’humanité où l’on dort le moins.”

Steve Riesen

Hors du temps

L’inactivité est aussi très liée à notre relation au temps. Ne rien faire est vu comme une « perte de temps » qui pourrait être utilisé à faire autre chose que « rien ». La question « qu’as-tu fait de beau ce weekend ? » est très parlante. On est quand on fait. Que sommes-nous si nous ne faisons rien ? « Constater que les heures et les années défilent et avoir l’impression de ne pas en profiter, de ne pas s’appartenir, d’être dépossédé de ses essentiels. » (p.38, référence 1). On ramène la notion de « rendement » dans notre vie personnelle et un weekend qualifié de « bon » est quand nous avons pu enchaîner en 48 heures beaucoup d’activités car, de nos jours, « les bénéfices sont proportionnels à la quantité d’activité plus qu’à son intensité… » (p.150, référence 3). Et pourtant, « […] plus l’humanité cherche à gagner du temps, plus l’individu perd le fil de sa vie. Courir après sa montre à s’en rendre malade, c’est perdre la qualité au profit de la quantité. » (p. 13, référence 1). En lisant ceci, on ne peut s’empêcher de l’associer au stress. Parce que notre définition en est « la pression du temps : on se sent stressés lorsqu’on n’a pas le temps de faire toutes les choses que l’on veut faire, dans le laps de temps que l’on s’est alloué. » (p.19, référence 4). Dans cette société du tout « tout de suite », installé-e-s dans un confort jamais connu auparavant, on a du mal à y renoncer au profil d’un mode de vie plus calme et moins ciblé sur l’action. Cela me parle beaucoup, car je lis ces différents ouvrages pendant mon arrêt maladie et d’un coup des mots viennent exprimer mon ressenti face à ce repos forcé. En effet, j’ai l’impression en ne faisant rien de perdre un temps précieux. Avec le recul maintenant, je me rends compte à quel point cela m’a fait du bien, j’ai pu juste réfléchir, être là avec moi et me connaître car à force de courir après des activités, je n’ai plus le temps de rester connectée à moi.

Agendé du temps pour soi

La pratique du yoga, dont on parle de plus en plus, m’apporte ce moment de reconnexion. Agendé de façon hebdomadaire dans mon téléphone, c’est une activité qui me permet pendant une heure de me recentrée. Pour moi, le yoga combine l’être au faire. Par la respiration, l’action de bouger en elle-même (sans aucune intention d’exploits, de compétition ou de rendement) et la connexion avec le moment présent et le soi permet d’être tout en faisant (pratiquant une activité physique). Le yoga est ce lien entre sport et spiritualité. « La pratique du yoga produit un état physiologique en opposition à la réponse au stress combattre-ou-fuir et grâce cette interruption dans notre réponse au stress, un sentiment d’équilibre et d’union entre l’esprit et le corps peut être atteint. » (Introduction, référence 5).

Photo: Leticia Pérez

Peut-être, et en conclusion à cette looongue réflexion, je cite la journaliste Martina Chyba : « […] un jour nous avons vu apparaître dans notre calendrier Outlook sursaturé des périodes ‘RAM’. […] Rendez-vous Avec Moi-même ! Mythique non ? Quand on RAMe, pour éviter d’être à la RAMasse, on sort le RAM ! Parions qu’avec une gestion aussi efficiente de nos emplois du temps, les crises de couple, les crises de la quarantaine, les crises d’épanouissement personnel seront résolues aussi rapidement que la crise économique. Ou pas ? » (référence 6).

Bibliographie
Références citées dans cet articles:

REFERENCE 1: AÏACHE Véronique, « L’art de ralentir. Pour prendre le temps de vivre », Editions Flammarion, Paris, 2018.

REFERENCE 2: RIESEN Steve, Article « De l’importance de bien dormir », in Magazine In Vivo, Numéro 11, Edition CHUV, Lausanne, Avril 2017.

REFERENCE 3: GENOLINI Jean-Paul, CLEMENT Jean-Paul, « Lutter contre la sédentarité : L’incorporation d’une nouvelle morale de l’effort », Sciences sociales et sport, 2010/1 (N° 3), p. 133-156. DOI : 10.3917/rsss.003.0133. URL : https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sport-2010-1-page-133.htm

REFERENCE 4: LUPIEN Sonia, « Par amour du stress », Les Edition au Carré inc., Québec, 2010.

REFERENCE 5: WOODYARD Catherine, « Exploring the therapeutic effects of yoga and its ability to increase quality of life” in International Journal of Yoga (IJOY), 2011 Jul-Dec, DOI: 10.4103/0973-6131.85485. URL: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3193654/

REFERENCE 6: CHYBA Martina, “Comment éradiquer la pandémie des réunions de travail », in Huffpost, 17.09.2019. URL : https://www.huffingtonpost.fr/entry/comment-eradiquer-la-pandemie-des-reunions-de-travail_fr_5d77ba68e4b0752102339ad0

REFERENCE 7: GODART Elsa, “En finir avec la culpabilisation sociale”, Ed. Albin Michel, France, 2021.

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