L’armée tu feras, un homme tu deviendras

Posté dans : Société 5
Sept ans de retard sur le calendrier habituel, votre soldat Mehdi goûte aux joies du recrutement militaire. Une immersion sociologique qui n'aura duré que 20 minutes. Récit d'un enrôlement à hauts risques.

En ce jour de fête nationale, c’est non sans un pincement au cœur pour mes camardes de chambrées partis au front, qu’il me tient de vous relater mes récents déboires avec l’armée. J’avais pourtant tout fait pour ne pas la faire! La pousser, la repousser, partir à l’étranger. Sept longues années depuis ma majorité, à user de tous les stratagèmes pour en être dispensé. Mais un beau matin d’avril, alors proche de mon but (9 mois avant d’être officiellement trop vieux pour être recruté), la nouvelle tombe. Les salauds! Ils m’ont retrouvé. A la lecture de cet ordre de marche poétique et des plus sympathiques, j’imagine un instant son rédacteur , le sourire aux lèvres, se disant: «Tu croyais quoi mon gars! Toi aussi tu vas y passer. On t’a chopé». Sauf que le mec, il ne sait pas sur qui il est tombé. S’il croit qu’il va me couillonner… Lorsqu’il s’agit de se faire virer de l’armée, la recrue Atmani est prête à aller loin…. très loin et à y mettre les moyens. Voyez plutôt!

Soyons clairs! L’arrivée, quelques mois auparavant de notre cher conseiller fédéral UDC au poste de ministre de la défense n’augurait rien de bon pour ma carrière militaire. Conscient du danger d’un enrôlement anticipé dans l’armée, je n’ai pas tardé à fomenter mon plan d’action.

Tout est affaire de stratégie

Ma première prise de contact (et la dernière) est agendée au mois suivant. Six longues semaines pour agir et parer à toutes éventualités. Dès réception de la lettre, j’entreprends de réactiver mon réseau de collaborateurs essentiels pour la réussite de cette mission. Comprenez, de bonnes connaissances dans le domaine de la santé. Le déroulement du recrutement, ils le connaissent par cœur. Les failles du système également. Je téléphone. On prend rendez-vous pour un verre la même semaine. Mon interlocuteur ignore encore ce qui m’amène à le recontacter. Première règle, ne jamais se confondre d’emblée. On ne sait jamais, la personne est une potentielle fan du système qui vient justement de me convoquer. Dans la foulée, je téléphone au médecin et à l’opticien pour un check-up. Mes rendez-vous calés, il ne me reste plus qu’à peaufiner mon personnage. C’est décidé, j’opterai pour les troubles anxieux, les délires psychotiques et si je suis en forme, je rajoute une petite addiction aux substances hallucinogènes.

Tester le plan d’action

Trois jours plus tard, je rencontre cette connaissance qui me renseignera sur ce qui m’attendra. On fait le tour de la procédure. Il m’explique le déroulement, les différentes étapes, les pièges à éviter. On m’explique les tests qui me seront soumis. Quelles sont les parties à réussir, les réponses à donner. Ensuite, l’entretien psychologique. On fait une consultation type, histoire de tester la crédibilité du personnage. Je noircis des pages de notes sur le moindre des comportements à avoir. J’entre doucement dans le personnage. Et il le faut. Demain, c’est médecin et je vais devoir lui jouer mon personnage pour qu’il accepte de signer le document attestant mon inaptitude.

Dans le cabinet, la première tentative en conditions réelles est un échec. Le doc voit la supercherie. Fait chier. Bon, on fait tout de même le check up habituel et……… rien. Pas de maladies, de problèmes de dos, d’asthme. Nada: «J’ai vraiment rien?», je lui dis. «Rien! Votre seule solution, c’est de vous trouver un bon psy.» Il me conseille d’en chercher un à la polyclinique psychiatrique de Lausanne, «c’est plus crédible.» Message reçu.

Une fois à la maison, je téléphone. Pas de réponses. Je laisse un message. Deux jours plus tard, un appel me réveille. C’est la psy de la poly. Et merde. Pris de court, je n’ai pas eu le temps de peaufiner mon jeu d’acteur, mais pas le choix, je dois me lancer. Je lui explique mes faux problèmes, mon alcoolisme latent, mes délires psychotiques et mes crises d’angoisses. Et là, bingo. En bonne professionnelle, elle me rassure et me dit: «Monsieur, j’entends bien dans votre voix une certaine détresse et une urgence dans votre demande. Selon moi, nous devrions nous voir très vite et sur un minimum de cinq séances.» Et merde. J’y suis allé un peu fort peut-être.

Problème, la psy ne peut pas me recevoir avant 4 semaines. Soit après mon recrutement. Suis coincé! Je lui dis que je la rappellerai pour confirmer: «Non, Monsieur Atmani, me dit-elle. La tentative de fuite est une réaction fréquente chez les personnes dépressives et psychotiques. Je ne peux pas vous laisser dans cet état de détresse. Alors je vous laisse le numéro d’urgence au cas où.» On passe au plan B. Trouver un autre psy. C’est chose faite dans l’heure. Il me recevra dans la même semaine et à deux reprises. Au final, une belle lettre qui fait tout son effet. Tout y est. La stratégie rodée, les preuves accumulées. Ne me reste plus qu’à y aller.

Mise à feu

Jour J. Petite nuit, le visage cerné, l’allure débraillée, je gagne la caserne. Sur le chemin, je me repasse le déroulement du recrutement, tel qu’il m’a été précisé. Un brin en retard, j’entends:

– Recrue Atmani?…… RECrue Atmani?…….. RECRUE ATMANI???……
– Suis là, suis là, c’est bon.
– Vous êtes sous la loi militaire ici, on est pas à la playa. Alors on arrive à l’heure. N°105! Allez rejoindre vos camarades. (s’il croit que je vais socialiser…)

Quelques petites minutes plus tard, le cœur battant, me voilà dans le cabinet d’un premier médecin, «juste pour une prise de contact». Il me demande comment je vais. Il voit bien que ça ne va pas. Je lui transmets les doc. A la lecture de mes preuves, sa mine se défait……….. Et dit: «Vous allez directement voir le médecin chef.» Rapide! Tout va comme sur des roulettes.

Dommages collatéraux

Tel un pestiféré, on me met à l’écart du groupe. Trois autres gars dans le même cas me rejoignent. (celui avec des dreads jusqu’au cul. Celui qui ne parle pas et l’autre anorexique. Que du beau monde!). Un quatrième larron (apte et fier de lui) fait son apparition: “Vous comptez vous faire virer? T’es pas un homme si tu ne fais pas l’armée”, dit-il de sa petite bouche ornée d’un soyeux petit duvet. Bref, c’est mon tour. Le médecin chef me reçoit. Rebelotte, lecture des documents, questions-réponses et c’est dans la poche. Pas d’armée, pas de service civil, pas de protection civil. Le tout, en 20 minutes! Joli, Mehdi!

Mais toute situation a son lot de revirements. Deux mois plus tard, je reçois deux petites lettres. A l’intérieur, de bien belles surprises. Psy: 400.- Doc: 200.- Le prix à payer pour ne pas faire l’armée.

 

Mehdi

5 Responses

  1. Avatar
    lionl
    | Répondre

     Tu peux rajouter à ta liste de réjouissances la taxe militaire. Crois-moi ça fait toujours plaisir au moment où elle débarque dans le courrier 

    • Avatar
      fleks
      | Répondre

      Enorme!
      Ca m’a un peu fait penser à mon propre cas, même si j’ai pu arriver à mes fins sans psy.

  2. Avatar
    tombombadilom
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  3. Avatar
    monmon
    | Répondre

    Belle perf! Joli!

    Espérons que les gradés ne sont pas fans du BondyBlog, ça serait quand même un sale retour de manivelle sur ta stratégie pourtant sans failles!

  4. Avatar
    dani
    | Répondre

    Bravo ! Des mois de vie gagnés : échappé à la prison !

    Parce que le soussigné, qui a fait 4 mois d’école de recrue, puis 3 mois de prison pour objection de conscience quelques temps après, peut témoigner : l’armée est aussi une prison !

    Dans mon cas, je me suis même senti beaucoup plus libre en prison qu’à l’armée… Bon, j’étais en semi-détention et je pouvais aller bosser. Mais il n’y a pas que ça : je pouvais lire ce que je voulais sans qu’un imbécile essaie de crier dans mes oreilles en même temps, je pouvais réfléchir sans qu’on pratique sur moi la privation de sommeil, je pouvais m’habiller comme je voulais sans tenues obligatoires…

    Au fond, les jeunes suisses masculins sont tous condamnés par principe à des mois de prison obligatoires. Leur vie est contrôlée comme celle de détenus pendant tout ce temps : habillement, nourriture infecte et désolante, sorties très limitées, coupe de cheveux, rasage, pensées orientées sur le quotidien à coup de fatigue et d’abrutissement obligatoire, répétition de tout sans arrêt jusqu’à l’abêtissement`, punitions collectives. Franchement, il faut regarder des films sur les prisons puis comparer avec l’ambiance militaire : il y a de profondes similitudes !

    Daniel

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