Mon psychiatre, ce héros

Posté dans : Société 1
Petite fiction satirique sur la psychiatrie et ses dérives

Je suis confortablement assis dans un fauteuil dont les accoudoirs supportent parfaitement mes bras naturellement disposés de part et d’autre de mon corps. Les murs de la pièce dans laquelle je me trouve sont d’un blanc immaculé. Sur les étagères se trouvent une multitude d’ouvrages aux noms plus ou moins explicites: «Le malade et sa maladie», «La dépendance affective», «La complexitude de la sexualité décomplexée», etc.

La personne se trouvant en face de moi a l’air affable et avenante. Tout en dégageant une certaine aura de sagesse teintée de condescendance, elle porte sur moi un regard bienveillant dénué de toute nervosité. Vous l’aurez certainement compris: je suis chez le psychiatre.

Le psychiatre, à la différence du psychologue, peut se targuer d’avoir étudié la médecine, ce qui le permet de prétendre à une rémunération avoisinant les 250 francs de l’heure. Représentant le dernier rempart au pétage de plomb généralisé inhérent à nos sociétés postindustrielles surconsuméristes, hyper-individualistes et hautement concurrentielles, il est progressivement devenu le messie d’une horde d’ouailles depuis longtemps habitués à l’idée de la non-existence de Dieu.

Je le regarde dans le blanc des yeux, il me regarde dans le blanc des yeux. Les secondes passent. Je ressens le malaise et la nervosité monter en moi, tandis qu’il demeure impassible. Drôle de méthode que de faire souffrir son patient en le laissant baigner dans son propre malaise, mais je ne remets pas en question le professionnalisme de mon psychiatre; après tout, c’est mon sauveur.

Au bout de quelques minutes qui me paraissent une éternité, je craque. Sur un rythme de stakhanoviste, je vomis mon mal-être à ses pieds. J’ai un bon job, mais ne suis pas satisfait au travail. J’ai de l’argent mais ne prend pas de plaisir à consommer. J’ai un conjoint mais cherche toujours l’amour. J’aspire au bonheur mais ne connaît que la tristesse. «Oh Docteur, aidez-moi, ma vie n’est qu’un égout sans fond puant l’urine, une fosse sceptique dans laquelle je rampe et me tord sur des montagnes de fange, aidez-moi, je vous en prie, vous êtes mon dernier espoir».

N’ayant pas bougé d’un pet, mon psychiatre me dévisage toujours avec sa puissante quiétude. Ses yeux ont l’air de dire: «je comprends, je comprends bien, je comprends parfaitement. Ne t’inquiète pas mon enfant, tu es égaré, tu t’es éloigné du chemin, mais tu n’es pas perdu pour autant. Je peux t’aider, je suis psychiatre, il suffit de croire en moi, j’ai étudié la médecine, je vais te guérir».

Griffonnant sur une ordonnance quelques obscurs idéogrammes connus de la seule communauté des médecins et pharmaciens, il me conseille de prendre quelques jours de repos. Me signant un certificat d’incapacité momentanée de travail, il m’indique ensuite la posologie de ma médication: anxiolytiques et antidépresseurs à prendre en différentes doses et à différents moments de la journée.

Je me sens déjà mieux. La conscience d’être pris en charge par un professionnel et de m’être fait prescrire des médicaments allège ma souffrance psychologique. Je me réjouis déjà de croquer ces petites pilules thérapeutiques, promesses de sérénité artificielle et de bien-être périodiquement renouvelé.

Y a pas à dire, c’est beau la médecine moderne…

Francis

Francis

  1. Avatar
    nicpro
    | Répondre

    “nos sociétés postindustrielles surconsuméristes, hyper-individualistes et hautement concurrentielles, il est progressivement devenu le messie d’une horde d’ouailles depuis longtemps habitués à l’idée de la non-existence de Dieu.”

    C’est vraiment bien dit (écrit…)!

    Mais,  ma fois,  c’est vrai, un psy peu pas grand chose pour personne… si les gens ne commence à se remettre en question de leur vie desagréable qu’une fois chez eux… tan mieux pour leur business…
    A l’opposé, Dieu est gratuit et partout ^^! C’est ptet pas si con… quand on aura compris que la medecine et la science ne peuvent pas plus qu’un dieu qui n’existe pas et qui ne peux rien, bah ptet qu’on le reprendra comme docteur…mais cette fois sans les livres!

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