Ezra Sibyl Benisty, un univers délicat, érotique et intime

Ezra Sibyl Benisty, un univers délicat, érotique et intime

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Poète et artiste lausannois·e queer non-binaire, Ezra Sibyl Benisty présente sa première exposition accompagnée d’une lecture performée au Château Bohème à Tentlingen ce dimanche 25 juillet. Au travers de son travail artistique, iel explore son rapport au corps, à la sexualité et à l’identité de genre. Rencontre avec une paillette.

Note aux lecteuricexs

Cet article est rédigé en écriture inclusive. Nous y abordons des questions d’identité sexuelle, d’identité de genre et d’expression de genre. Nous vous invitons à lire ce lexique de la queer- et transidentité pour vous familiariser avec les termes employés: https://wikitrans.co/lexique


Ezra Sibyl Benisty © Sophie Brasey

Au moment de notre rendez-vous, iel s’est assis·e pour écrire en face de moi le texte de sa performance. Iel n’est pas à la bourre, mais a l’habitude de l’être. Iel voudrait que tout soit bien pensé le jour J. Le souci du détail vous dites? Vous n’avez pas idée.

La première fois que j’ai vu Ezra, c’était sur une photo, le 1er janvier 2014. Iel avait dévalé le Petit-Chêne en caddie. Polaroïd déjà – mais numérique – dans mes souvenirs Facebook. Quelques semaines plus tard, à la rentrée du semestre de printemps universitaire, nous sommes devenuexs amiexs. Depuis, iel est passé·e de Coppet à Lausanne, d’étudiant·e à doctorant·e, de il à iel.

Sa première exposition de polaroïds se tient ce dimanche 25 juillet au Château Bohème à Tentlingen. Elle est accompagnée d’une lecture performée durant un brunch, à ciel ouvert s’il le veut bien. Au menu récit, poésie, prose poétique et musique d’ambiance avec des instruments électroniques qu’iel appelle affectueusement ses «bi bim boop».

Identité palimpseste

Papier pétale, Ezra est une orchidée. Iel est fait·e de réflexions souterraines qui soudain surgissent au grand jour. Chaque floraison est plus belle que la précédente. Les couleurs s’affirment et s’exposent. Il n’est pas – vraiment? – question ici d’ostentation, mais d’être soi dans le monde.

Papier ès Lettres, iel officie en section d’anglais à l’Université de Lausanne où iel prépare la traduction des poèmes d’Angela Carter en plus de son doctorat en littérature anglaise de la Renaissance. Poésie pour se nourrir, poésie pour se dire. La sienne naît dans son studio lausannois (aux murs jaune solaire, bleu roi et rose poudré) en compagnie de la câline Callie, sa chatte.

Papier poème, son premier recueil de poésie intitulé La Sensation des Fleurs (2018) est imprimé et relié par iel-même. Un ouvrage des prémices, précieux et fragile, niché dans ma bibliothèque, dont les textes questionnent la construction du genre, l’amour, le désir et le plaisir sexuel.

Papier pellicule, iel – qui enfant déjà s’amusait en robe de chambre, micro à la main, à se capturer avec le vieil appareil Polaroïd de ses parents – retourne au développement instantané. Depuis 2019, iel explore son rapport au corps, à la sexualité et à l’identité de genre au travers de la photographie.

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«Une nouvelle odeur—qui ne vient pas de l’effort transpiré, quoiqu’aussi, mais de la bave. Elle a montré tes faces cachées. Plus brutes, impulsives. T’aimes ça. Tu craches sur ta main, ton épaule, nettoies à coups de langue. Aisselle, pied, jungle de poils humides, salés, âcres, tu grognes.» Cat in a Harness 7/8 © Ezra Sibyl Benisty

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Corps noyau

«Au départ, il y a le corps. Le besoin de m’approprier et me réapproprier mon corps et le présenter comme moi j’en ai envie.» Iel fait le choix de la prostitution. Pas par nécessité financière, mais pour expérimenter cette activité physiquement. «Tout en étant non-binaire, je me présentais comme homme, ce qui, en plus du privilège de pouvoir sélectionner ma clientèle, m’assurait une certaine sécurité.»

Iel partage. Son corps, certes. Mais aussi son espace, son temps, son écoute. «C’est un travail qui demande d’accorder beaucoup de soi, émotionnellement.» Pour se ressourcer et se pencher exclusivement sur ses envies et émotions, iel délaisse les corps-à-corps pour se produire uniquement sur le réseau pour adultes OnlyFans. Une prostitution par l’image qui lui permet de continuer de jouir de son corps nu.

«Mon envie de réfléchir à comment mon corps est perçu, par les autres, par moi-même, et me le réapproprier est partie de mon expérience avec OnlyFans. Décider comment je présente mon corps. Travailler sur mes insécurités, la dysmorphie, les expressions de genre.»

Expression intime

L’exposition photographique du polaroïd donne un grain doux aux instantanés d’Ezra. On y sent tantôt la sueur, la chaleur de l’été, la retenue lorsqu’iel expose celleux qui partagent sa vie. Polaroïd peau. Polaroïd sonore aussi puisqu’iel accompagne certaines séries de courts textes lus en anglais et en français sur des sons qui rappellent les pièces radiophoniques.

«Ce que je veux c’est explorer la frontière entre l’intime et le fragile et le sexuel et le pornographique.»

Iel partage essentiellement ses photos sur Instagram, via un compte dédié @br8kblowburn, malgré les problèmes de censure de la nudité qu’impose l’application. «Un des commentaires qui revient souvent c’est que tout mon travail, en étant sexuel à certains moments, dégage quelque chose d’intime, de confortable et touchant.»

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«Certains jours je m’embellis. Je mets des vagues dans mes cheveux, flotte dans de fines étoffes, et imagine le papillon enveloppé de soi peindre ses ailes dans des couleurs qui un jour verront de nouvelles lumières. Le soleil, la façon qu’il a de s’étendre à travers des couches de nuages, et le reflet de la lune dans l’eau du printemps. Le lampadaire devant ma fenêtre et toutes les lumières de toutes les fenêtres dans le bâtiment en face du mien. Et les teintes de rose des fleurs roses, et les feuilles vertes des arbres en feuillaison, d’un vert émeraude, véronèse ou viride, parfois citron. Ça ne durera pas, mais c’est si agréable, si doux.» Chrysalis 3/3 © Ezra Sibyl Benisty

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Aux réflexions sur le corps se juxtaposent celles sur l’identité. A 13 ans, Ezra fait son coming out en tant qu’homme gay. Iel fait alors avec le vocabulaire à disposition. Le coming out comme personne non-binaire viendra plus tard. «Cela faisait de moins en moins de sens de me présenter en tant qu’homme gay, car on pense automatiquement que je suis attiré par le même sexe. En tant que non-binaire, je ressens de moins en moins cette différence construite des sexes.» Et le mot queer? «J’emploie le mot queer comme mot-valise pour exprimer mon identité de genre, mon expression de genre, ma sexualité, ma manière de relationner romantiquement. En réalité, je me retrouve de plus en plus dans la transidentité, mais la non-binarité y cherche encore sa place et je ne me sens pas tout à fait légitime. C’est un développement lent, difficile et doux à la fois.»

Un travail sur iel-même émancipateur qui s’ancre dans des questions de traumas et d’abus. «L’un des textes que je vais lire dimanche 25 juillet au Château Bohème aborde justement le fait qu’on attend de moi que je sois un homme depuis l’enfance.»

[sexe]poser

Il y a l’exposition. Le corps sur les polaroïds. Les polaroïds aux murs du Château Bohème. L’âme entre les lignes des textes. Les textes performés. La performance d’iel-même aussi qui dépasse le cadre de l’art. «Lorsque je me présente comme non-binaire, j’ai aussi l’impression qu’on attend de moi une expression de genre qui ne soit obligatoirement pas normée. Et si je ne le fais pas, je sais que je passe aussi pour un homme cis. C’est à la fois une pression et un mécanisme de revendication, car sinon je n’existe pas. Et puis, il y a le danger, car exprimer mon identité par des marqueurs extérieurs est aussi une prise de risque d’agression.» L’acceptation extérieure des nuances est laborieuse. Si iel donne l’exemple en parlant de la non-binarité, cela fonctionne aussi avec le fait de passer pour blanc alors qu’iel est racisé·e. Le racisme et l’exotisation ne sont jamais loin non plus.

 «A part pour mon travail chez Paulette éditrice, maison dirigée par Noémi Schaub et Guy Chevalley, tous les hommes qui ont proposé de mettre mon travail en avant ont eu un comportement qui était exotisant ou raciste ou sexiste ou transphobe.»

Face à ce constat, Ezra a appris à être légitime, savoir qui iel était et à s’aimer dans une affirmation de soi qui ne cherche pas l’exposition pour l’exposition, mais juste à être reconnu·e pour ce qu’iel est sans distorsion ou négation de la réalité. Quant aux projets futurs? «J’aimerais continuer d’écrire de la prose et approfondir le mélange entre texte et radiophonie.» Bi bim boop!


Son actu en un coup d’œil:


Où suivre Ezra Sibyl Benisty: 

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