Journaux en retard chez Madame Carambar

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Face au monopole des kiosques Relay, un kiosquière indépendante résiste à sa manière. Pourquoi pas faire du neuf avec du vieux ? Portrait d’une tenancière pas comme les autres.

En me promenant dans les couloirs de l’exposition Accrochage actuellement à l’espace Arlaud (mais qui se termine ce week-end), je tombe sur le travail de Tilo Steireif. Il raconte l’histoire de celle que l’on surnomme Madame Carambar, une kiosquière lausannoise qui depuis 2006 ne reçoit plus de journaux ni de magazines. En effet, le seul diffuseur de Suisse romande, Payot Naville, a décidé de ne plus travailler avec certains kiosques indépendants. Il semblerait que l’affaire ne soit pas assez rentable… Qu’à cela ne tienne ! Si on lui refuse la presse du jour, Madame Carambar vendra celle de la veille… Raison suffisante pour partir à la rencontre de cette kiosquière atypique.

Pas d’adresse mais une rue, César-Roux. Je fonce, arrive devant le fameux kiosque et me retrouve face à une porte close. Pas d’horaires. Mais le voyage ne sera pas vain puisque la devanture du commerce m’en apprend davantage. Deux petites affiches collées sur la vitrine expliquent la situation. Après 26 ans de collaboration, Naville résilie son contrat de livraison à cause d’un chiffre d’affaire insuffisant. Refuser de livrer des journaux aux kiosques indépendants, c’est les éliminer du système tout en les privant de leur identité. On peut d’ailleurs lire sur l’une de ces affiches : « sans journaux, un kiosque indépendant a-t-il sa raison d’être ??! » C’est donc pour survivre, conserver l’identité de son kiosque, et rester fidèle à son enseigne « Loterie, LECTURE, fumée et Carambar » que Françoise, dite F. Carambar, a choisi de vendre des journaux d’occasion.

Je la rencontre et elle me raconte. Voilà déjà trois ans qu’elle compte sur la solidarité des clients du quartier et de ses amis pour lui donner leurs vieux magazines au lieu de les jeter. Et ça marche ! Alors que nous sommes en train de discuter, une amie vient déposer deux caisses remplies de livres parfois presque neufs. « Et c’est comme ça tout le temps ! » ajoute F. Carambar. Certains élèves de l’école de couture viennent s’offrir de vieux magazines de mode. D’autres clients viennent acheter des revues qui d’habitude coûtent une dizaine de francs, et qui sont ici vendues un ou deux francs à peine une semaine après leur parution. « Certains journaux datent de la semaine passée et d’autres d’il y a dix ans ! » L’offre ne se limite d’ailleurs pas à la lecture. Pour les amateurs de films et ceux qui possèdent encore ce genre de lecteurs, le kiosque propose une collection de K7 étonnante. Les prix sont dérisoires, pour ne pas dire symboliques.

Est-ce que ces ventes d’occasion permettent réellement d’amortir le manque à gagner laissé par Naville ? « Je suis autonome, j’arrive à survivre. Mais ce n’est pas grâce aux journaux d’occasion. Je reçois encore le « 24H », « Le Matin » et « Le Temps » qui font partie d’Edipresse. Mais avec l’arrivée des journaux gratuits, leur vente n’est pas tellement à la hausse. Je m’en sors tout juste notamment parce que je peux compter sur ma famille. En tant que kiosque indépendant, je ne peux pas me permettre d’engager des employés. » Madame Carambar m’explique que de toute façon, ce n’est pas l’argent qui compte, c’est sa liberté. Alors finalement, cette nouvelle situation lui convient.

« Dès que je vois un kiosque sans journaux je me dis qu’il a aussi été touché par les nouveaux critères de Naville. Beaucoup ont fermé, découragés. Mais moi je suis heureuse comme ça. Avant je recevais toutes sortes de magazines que je n’avais pas demandés, avec la pression de devoir les vendre. Maintenant au moins, je choisis ce que je vends ».  Dans la même lignée, lorsqu’elle a eu des ennuis avec Marlboro qui lui demandait l’exclusivité, elle a tout simplement enlevé la banderole publicitaire de la marque. « Ca m’a fait perdre de l’argent mais gagner le droit de faire ce que je veux ».

Cette femme au discours révolutionnaire ne se décrit pourtant pas comme telle. C’est tout naturellement et calmement qu’elle trouve des alternatives face à ceux qui l’empêchent de mener sa vie à son rythme. Et c’est pour mener sa vie à sa guise qu’elle tient un kiosque depuis bientôt trente ans. Ce métier lui permet de choisir ses horaires, recevoir des appels, recevoir ses amies, tout comme elle a pu me recevoir pendant une heure pour répondre à mes questions. Etre kiosquière indépendante lui permet aussi de s’adonner à ses activités externes. Car elle est active dans la vie associative. Elle est présidente de l’association Lil!th, qui propose aux lesbiennes du Canton de Vaud une permanence, une bibliothèque comptant de nombreux ouvrages sur l’homosexualité féminine, le féminisme, et qui organise divers événements. F. Carambar a aussi eu dernièrement l’opportunité de participer à une pièce de théâtre en tant qu’accessoiriste. Une expérience riche en émotions, selon ses termes. C’est d’ailleurs cette dernière passion qui pourrait un jour lui faire quitter définitivement son kiosque. Comme quoi, on ne sait jamais vraiment quelles histoires et quelles personnes se cachent derrière des journaux, des clopes et des carambars.

http://madamecarambar.wordpress.com/

http://lilith.romandie.com/ 

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Cristina

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