A la recherche des « vraies victimes »

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Portrait de Karl Grünberg, fondateur d' SOS-racisme Suisse.

« Je suis laïque, athée et d’origine juive » précise Karl Grünberg lorsqu’on lui demande de parler de l’islamaphobie et de sa présence à une rencontre traitant du sujet en marge de la conférence d’examen de Durban. Comme s’il voulait couper court à toute mauvaise interprétation. Et si certains s’inquiètent de cette volonté de lier le racisme à la critique d’une religion, le fondateur de la section Suisse d’ SOS-racisme dénonce plutôt « une hypocrisie des états occidentaux ». Ces derniers ne sont d’ailleurs pas à l’origine de l’avancée des droits de l’Homme, selon lui, « contrairement aux mouvements ouvriers et écologiques ».

On l’aura compris, l’homme n’a pas sa langue dans sa poche. Elément sans doute essentiel à une vie vouée au combat contre le racisme donc, mais pas seulement. Karl Grünberg est en quelque sorte prédisposé à la lutte contre les discriminations. Ses parents, « antifacistes et apatrides » fuient le nazisme pour l’Amérique latine. Et c’est à Genève, en 1949, qu’il voit le jour. De famille italienne, il est confronté durant son enfance à la xénophobie montante envers les immigrés transalpins. Le souvenir d’un camarade de classe poussant un ouvrier italien hors d’un train (circulant à petite vitesse) le hante encore. Il avait alors une quinzaine d’années.

Son militantisme commence dans les années 60, convaincu que ceux que l’on désigne comme des agresseurs sont en fait les « vraies victimes ». Après des études de psychologue au début des années 70, il travaille comme travailleur social, animateur socio-culturel puis assistant social dès 1984. Et c’est en 1985 qu’il adhère à l’association française SOS-racisme. Il fonde alors une section Suisse et, dix ans plus tard, participe à la fusion avec d’autres organes dans le but de créer ACOR SOS-racisme. L’objectif de la nouvelle entité est de défendre les victimes de discriminations raciales et d’offrir une permanence téléphonique. L’association peut ensuite obtenir des subventions, grâce à l’adoption dans le droit suisse de la norme pénale antiraciste « permettant de justifier la présence d’une force militante ».

De 1995 à 2007, Karl Grünberg sera alors confronté à deux tendances contradictoires. Un premier mouvement « généreux » défendant le droit d’asile et une mouvance xénophobe avec comme discours type: « les gens du tiers-monde abusent, c’est nous les victimes ». L’activiste n’hésite pas à accuser les autorités politiques, que ses représentants soient de droite ou de gauche, comme responsables de ce dernier courant: « il y a un lien de cause à effet entre le développement de l’autorité et le développement du racisme ». Deux exemples ont pour lui valeur d’arguments. Premièrement, la politique sécuritaire contre le trafic de drogue concrétisée par l’opération Alpha, lancée début 2002 par la municipalité lausannoise. Cette action a selon lui un résultat indirect: la généralisation de l’étiquette de dealer aux Africains. « Le nombre de noirs qui ont appelé la permanence pour des abus racistes par la police a fortement augmenté durant cette période » déclare-t-il. Le second fait concerne « une forme de racisme explicite » envers les Roms à Genève. Selon Karl Grünberg, « c’est l’identité collective qui est visée et les autorités ont créé un statut de mendiant permettant de légiférer en toute impunité contre les Roms afin de contourner le droit international ».

Ce franc-parler ne plaît sûrement pas aux autorités. Certains l’accusent aussi d’un manque de remise en question et une hyperactivité qui le poussait à lancer ACOR SOS-racisme dans des combats multiples sans consulter les autres membres. Conséquence ou non de ces critiques, l’association se voit retirer complètement ses subventions au début de l’année 2008. « Je m’y attendais » annonce simplement Karl Grünberg.

Quant au sujet des récentes inscriptions « mendiant » sur le passeport de Roms à Genève, le militant  rappelle inévitablement l’histoire et l’inscription « j » pour « juif » sur les passeports suisses. Karl Grünberg explique ces formes contemporaines de racisme par une faillite non seulement historique mais aussi économique: « pendant la période de l’après-guerre, on a fait miroiter un avenir paradisiaque pour tous. Cela s’effondre actuellement avec les spéculations des banques et l’augmentation du nombre de pauvres, le tout dans un cadre xénophobe et raciste ». « Je m’y attendais » répète-t-il, « et je continue à demander des subvention pour lutter contre le racisme ». Depuis qu’ACOR SOS-racisme ne reçoit plus d’aide, Karl Grünberg est sans emploi, mais il continue encore activement à vouloir aider ceux qu’il considère comme les « vraies victimes ».

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Loïc

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