L’épopée du buveur d’eau

L’épopée du buveur d’eau

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Ou comment j’ai découvert les alcooliques anonymes, association souvent caricaturée mais d’une importance vitale pour qui en a besoin.

Comme tout le monde, j’entretiens mon alcoolisme mondain avec plus ou moins de réussite. Trop vieux pour avoir connu les botellóns, je ne suis pas pour autant passé à côté de l’apprentissage périlleux de la gestion de ce liant social qu’est l’alcool et même si avec le temps je sens poindre le déclin, il m’est encore possible de me mettre chiffon si une bonne occasion se présente.

J’ai souvent pensé que la majorité des gens était comme moi, et puis il y a une année, un ami très proche, appelons-le Bernard, un ami de plus de dix ans avec qui j’ai pris quelques-unes de mes plus mémorables cuites, Bernard donc a traversé une période difficile. La manifestation de ses problèmes est passée par une consommation d’alcool en quantité industrielle. D’abord le week-end avec un démarrage le vendredi soir par l’apéro « after work » pour se terminer le dimanche soir devant le film de TF1.

Ce petit rituel a duré quelques mois puis il y a eu le lundi matin absent, puis le lundi complet. Quand ça a commencé à s’étendre au mardi et mercredi, il y avait péril en la demeure. Cette consommation n’avait plus rien de festif et devenait aussi glauque que dangereuse. Pour m’être rendu chez lui prendre la mesure des dégâts, j’ai découvert qu’il vivait depuis plusieurs semaines dans un environnement sale à forte dominante de bouteilles de vin blanc vides. Mon ami était devenu un clodo à fort pouvoir d’achat qui dormait dans un lit souillé de vomissure. Il avait touché le fond, de la bouteille, de sa dignité, et n’avait plus grand-chose pour l’empêcher de basculer du côté obscur du pinard.

Après une rapide période de négociation musclée en très petit comité, il y a eu un bref internement pour permettre un sevrage efficace. Au sortir de l’institution, les séances hebdomadaires ont démarré. Une fois par semaine il se rendait aux Alcooliques anonymes, association que tout le monde connaît sans vraiment savoir de quoi il retourne, hormis ce que nous avons tous vu dans des films avec des groupes assis en cercle qui se présentent en annonçant le nombre de jours d’abstinence sous des applaudissements nourris. Eh bien c’est exactement comme ça que ça se passe.

Depuis plus d’un an maintenant, chaque semaine, Bernard se rend aux AA. Cette « béquille » est vitale pour lui et il n’envisage plus sa vie autrement que dans l’abstinence totale. Cette rigueur est valable également pour ses compagnons, ces anonymes qui ne se connaissent que par leurs prénoms et ne partagent qu’une heure par semaine, pour parler avec ceux qui connaissent les mêmes démons, pour partager des angoisses avec ceux qui savent, car c’est sur ce point précis que tous expliquent pourquoi cette association est importante, pour certains depuis plus de dix ans. Partager avec d’autre ces moments d’extrêmes solitude sans être jugé ou sermonné. Il est toujours facile de prodiguer conseils  et directives quand on ne connaît pas. Là-bas, tous les participants « savent » de quoi il en retourne et ce savoir n’a pas de prix. Rien que pour Lausanne et ses environs proches, il y a 7 rencontres possibles par semaine à différentes heures de la journée et cette structure met aussi à disposition une permanence téléphonique 24h/24. Tous les détails nécessaires sur ce lien.

Alors aujourd’hui je suis très heureux d’avoir retrouvé mon ami. Je ne me moque plus non plus de ces gens qui s’applaudissent avec la fierté d’avoir un jeton caché dans leur poche, petit morceaux de métal qui rappelle d’où ils viennent et où ils ne veulent pas retourner. Moi je ne bois pas moins et je me rassure, persuadé que ma consommation reste « sous contrôle », et même si Bernard est devenu chiant comme un intégriste sur la consommation d’alcool, il est aussi notre meilleur Capitaine de soirée.

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