La chronique onirique de Page – Episode 47

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Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine nos sérendipités ne seront guère propices à la gaieté. Elles seront technologiques, et nous permettront de découvrir un objet tout juste inventé par des Scientifiques dans le but indirect d’Améliorer le Quotidien de l’Humanité, et sans doute de faire Triompher la Liberté. Alors asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Je le vois pas, je tire quand même ?

Une image, aujourd’hui, transmise à l’AFP, et reprise un peu partout, décrit une petit concentré de technologie de pointe dont l’utilité sautera aux yeux des pragmatiques et des esprits taquins. Le nom de l’objet, XM25, laisse déjà songeur, nous parlant d’un futur si proche qu’il est déjà entre les mains de certains heureux élus. Il incombe à Page la lourde tâche de vous le décrire en bonne justice.

C’est un joli schéma, esquissé avec soin, manifestement par un professionnel. Tout y est décrit avec simplicité, avec calme, avec précision. En haut, un fusil trapu, court mais épais, avec une sorte de lunette de visée qui dépasse sur le dessus, un clip de munitions sur le dessous. Une garde devant la gâchette permettant d’y enfiler une main gantée. Une garde d’épaule permet de l’installer confortablement, pour qu’elle épouse le corps musculeux d’un soldat qu’on imagine beau, blond, et venant d’un endroit sympathique comme l’Iowa ou le Kansas, qu’il aura quitté en souriant une dernière fois à sa vieille Mom qui pleure et son Dad qui serre les dents.

En bas, le soldat est face à un mur percé d’une fenêtre, un autre soldat tapi derrière, qui n’attend que le moment opportun pour ne faire du gentil soldat blond qu’une triste perte de la dernière Guerre Juste à la mode. Sur le schéma, l’image du premier est exactement la même que celle du second. On dirait deux frères jumeaux qui jouent à la guerre dans un décor de carton-pâte. Le mur percé flotte bêtement, on dirait un film, un jeu vidéo. Ou l’une de ces brochures dans les avions qui montre des gens qui ressemblent à des Playmobil sourire pendant une catastrophe aérienne. Mais ici, ce sont des Playmobil qui sourient en faisant la guerre.

Heureusement pour le premier soldat, il dispose désormais, pour ces cas où l’ennemi a l’outrecuidance de se cacher lorsqu’il ne tire pas, de cette fameuse nouvelle arme, qui lui permettra de la gagner, cette fichue guerre. Le fonctionnement est simple, presque enfantin. D’abord, un laser mesure la distance qui sépare l’arme du mur. Ensuite, le soldat cherche le trou le plus proche (sur le dessin, la fenêtre). Il ne lui reste plus qu’à instruire à son arme de n’exploser que lorsqu’elle sera à un mètre derrière le mur (c’est-à-dire une fois l’obstacle franchi). Sur le schéma, une jolie explosion orange, dont la légende nous apprend qu’elle est létale, vient parfaire le tableau.

Et puis il y a le commentaire, assuré par le Lieutenant Colonel Chris Lehner de l’armée américaine : ” Vous vous cachez derrière quelque chose quand on vous tire dessus, et ce genre de couverture a protégé les gens depuis des milliers d’année. […] Maintenant, nous enlevons cette possibilité à l’ennemi pour toujours. ” Le triomphe est proche, la guerre est gagnée, et si nous ne sommes pas encore rentrés au Kansas, Toto, ce n’est plus qu’une question de jours. On ne voit plus l’ennemi, mais on peut le tuer quand même. Si ce n’est pas formidable. D’après l’armée, cette technologie révolutionnaire va permettre d’épargner avec plus de précision encore les populations civiles. Puisque l’on peut tuer des gens qu’on ne voit pas.

Pouvoir tuer l’ennemi qu’on ne voit pas, tout un programme. Mais le problème, si je ne m’abuse, c’est que dans ce qu’on ne voit pas, il y a potentiellement n’importe quoi. Erwin Schrödinger, en 1935, dans une petite expérience de pensée, décrit une boîte, avec dedans un chat et un dispositif qui diffuse un poison mortel dès qu’il détecte la désintégration d’un atome d’un corps radioactif. Or, d’après les facéties de la physique quantique, ledit atome pourrait et serait à la fois désintégré et non désintégré, et le chat serait donc à la fois mort et vivant, et ce serait le fait d’ouvrir la boîte et de voir l’atome qui déciderait si oui ou non l’atome en question est désintégré, et le chat, mort ou vivant. Aujourd’hui, grâce aux efforts de valeureux scientifiques au service du bien commun, nous avons un moyen de nous assurer, sans même regarder, que le Chat de Schrödinger sera mort.

Aujourd’hui, nous pouvons, sans même savoir ce qu’il y a derrière un mur, s’assurer que toutes celles et tous ceux qui seront à l’abri derrière seront pris dans une jolie “déflagration létale” orangée. Rien de très nouveau, certes, un simple tir de mortier, un raid aérien qui bombarde toute une zone, sont autant de manières de s’assurer que tout sera mort derrière, devant, tout autour d’un mur. Mais la différence c’est qu’ici, la décision d’utiliser ou non le XM25 repose entièrement sur la personne qui se fait tirer dessus par son frère jumeau tapi. Un.e soldat.e seul.e peut donc tirer sur ce qu’il ou elle ne voit pas. Et c’est ainsi que l’on nous vend la mort, aveugle et apeurée pour la coquette somme de 25’000 dollars tout de même. Heureusement que ça ne sert qu’à tirer sur des Playmobil… 12’500 ont été commandés pour l’Afghanistan. Il doit y en avoir beaucoup, des Playmobil, là-bas.

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