Vivre son Islam en Suisse

Posté dans : Société 4
Occidentale et reconvertie à l'Islam. Notre bloggeuse témoigne.

A l’âge de 22 ans, après moultes remises en question spirituelles, j’ai décidé de franchir le pas et me convertir à l’Islam, mais dans mon pays, les Etats-Unis. Depuis, j’ai pu vivre dans trois pays différents- les USA, la France, et la Suisse depuis maintenant cinq ans. Certains prônent l’Islam « de »- « l’islam de France,» « American Islam » …mais qu’en est il de l’Islam de Suisse ? Vivre son Islam dans de la société ne se déroule pas de la même manière ici. Les facteurs qui poussent à la conversion ne sont pas forcément les mêmes. Malgré mes efforts d’ « intégration » (et je déteste ce mot mais bref) je m’identifie plus facilement avec les convertis de mon pays- les Etats-Unis. Ce rapprochement s’effectue par la culture, mais aussi de par mon point de vue. Je suis donc aussi une musulmane américaine, et ceci malgré mon mariage avec un « français », et malgré mes années passées en Suisse. Cependant, je me suis permis de m’enquérir auprès de quelques-unes de mes consoeurs dans mon entourage vis-à-vis de ce sujet.

Les a priori pour nous les musulmanes semblent rester plus ou moins les mêmes quel que soit le pays. On nous reprochent toutes d’être musulmanes par une volonté d’épater les bourgeois, On nous suppose toutes moches, grosses, sottes et ayant vécu une enfance difficile. On nous pose des questions sur le foulard, les droits de l’homme… Mais au jour le jour, ce qui est différent c’est que la question de l’Islam, bien que faisant partie du paysage politique (débat sur les minarets, etc), n’est pas une question aussi chargée qu’en France, avec ses interminables débats sur le foulard; ou aux États-Unis qui essaient de faire le deuil du 11septembre.


Mais la vie d’une musulmane en Suisse n’est pas 100% sans heurts. Mes consoeurs en Suisse avec qui j’ai pu dialoguer sur le sujet travaillent toutes. D’où une première difficulté à vivre son Islam en Suisse- bien négocier ses jours de congé pour les deux fêtes majeures musulmanes, même avec des jours de vacances en réserve. Moi, j’ai quasiment toujours dû travailler pour des questions de planning de la compagnie. Difficile à expliquer à la famille que non, tu ne vas rien faire pour l’Aid. Difficile aussi d’expliquer aux employeurs que tu ne peux pas fêter Noël comme tout le monde. Les fêtes musulmanes deviennent des non-fêtes au fil des années. Le Ramadan, quand tu le fais, on te reproche de ne pas être pas en forme ; quand tu ne le fais pas, on te demande pourquoi t’es en train de manger. Ce sont bien des questions auxquelles doivent répondre tous les musulmans, converti(e)s ou pas, mais pour nous, la question ce qui est sous-entendu est « pourquoi tu ne peux pas être comme tout le monde ? » Meriem, une copine, compatis avec moi, «..Notre choix de vie est perçu comme une revendication ou de la provoc.’ » Certaines préfèrent donc se cacher, et ne pas vivre leur Islam au grand jour. On m’explique, «Cela évite les questions trop gênantes. Pour moi, la religion fait partie de la vie privée. » 


Travailler en hijab, bien qu’en principe légal en Suisse (et non pas de facto interdit comme en France- l’interdiction dans le secteur publique est généralement appliqué au secteur privé) n’est quand même pas aussi répandu qu’en Angleterre ou aux États-Unis. Certaines ont fait le choix de travailler avec, ayant pu trouver des patrons ouverts d’esprit ou ne se fiants pas trop aux apparences. Certaines n’ont pas pu, et doivent ensuite se justifier auprès de leur entourage. Pour les converties, le foulard est aussi un double jeu. La personne “née musulmane” est toujours considérée comme musulmane à part entiere, avec ou sans foulard, et idem pour la née musulmane qui se permet quelques écarts du parcours avec l’alcool. La convertie a encore à se justifier de l’absence du foulard (ou un petit verre entre copains). Cela lui confère une connotation de  «pas serieuse» ou «convertie pour son mec». Si on le met, nous voilà des intégristes à notre propre insu. Aux dires d’une copine, «Le foulard pour moi est une non-question. Je fais ce que je veux. Je ne peux pas concevoir le poids qu’attribue certains à ce sujet. On nous dit opprimées, obligées de le faire. J’ai l’impression que les gens sont incapables de penser que c’est moi qui choisit de le mettre aussi bien que de l’enlever.» 


Pour moi, enfin, être musulmane pose un problème de « double intégration »  en Suisse. Je dois essayer, tant bien que mal, de me retrouver dans ce pays qui m’est étrangé sans compromettre mes valeurs religieuses, ce qui n’a pas toujours été facile.  Par exemple, une grande partie de cette ‘intégration’ passe aussi par l’art culinaire locale. A force de tomber dans des clichés, je ne peux donc manger du papet vaudois, ou à la limite je devrais le faire avec de la merguez si cela existait. En plus, je ne connais même pas la différence entre un Mont-sur-Rolle et un Vully et je risque de ne jamais être invitée au carnotzet.

Nicole

4 Responses

  1. Avatar
    lie
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    Très intéressant témoignage Nicole, il y a eu un débat sur le BondyB sur ce sujet et comme tu le dis en France ça polémique dur. 
    «Le foulard pour moi est une non-question. Je fais ce que je veux. Je ne peux pas concevoir le poids qu’attribue certains à ce sujet. On nous dit opprimées, obligées de le faire. J’ai l’impression que les gens sont incapables de penser que c’est moi qui choisit de le mettre aussi bien que de l’enlever.» 
    C’est exactement ce qui ressort de ce genre de débat, ça ou bien la provoc ou “volonté d’épater le bourgeois”, à aucun moment n’est envisagé une décision sincère et profonde, comme un lien spirituel entre la croyante et le créateur . (et c’est une non croyante qui vous parle ;-))

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      Athée
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       Très bon article, point de vue intéressant et amené avec spontanéité, simplicité et aussi des touches d’humour.
      Par contre, une seule chose me pose problème; vous dites “Les Etats-Unis traumatisés par le 11 septembre”, et je pense que nous comprenons tous où vous voulez en venir… c’est bien là le problème. On fait encore ce terrible amalgame entre Islam et terrorisme. Rien à voir, vous êtes certainement la première à le dire, seulement certains continuent à penser que les musulmans sont tous des intégristes prêts à se faire sauter dans un supermarché au nom de la religion. Tout ce que je dirais serait: ne tombons pas dans ce travers en opérant des raccourcis, je pense que vous me êtes d’accord avec moi sur ce point.

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        nicole
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        Bonjour, Vous avec raison pour l’amalgame et je suis tout à fait d’accord; j’aurais pu tourner la phrase autrement.  Merci!

    • Avatar
      nicole
      | Répondre

      Bonjour Lie,
      C’est exactement ça. Surtout en France, il est hors-jeu de considerer qu’une femme musulmane vit sa foi, comme vous avez dit, à partir d’une “décision sincère et profonde”. Sinon merci beaucoup, ca fait toujours plaisir de lire vos commentaires ici et ailleurs.

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