
Rha !!! Cela m’était déjà arrivé pour le speed-booking, et c’est rebelote cette fois-ci : je me tape un truc sur lequel j’ai les plus grandes peines d’accoucher des premières lignes. Pourtant, quand la Grange de Dorigny nous a proposé des invits pour le spectacle Vernissage qui y est actuellement représenté, moi j’ai foncé, car j’ai naïvement cru qu’on me servait là du tout cuit, du prémâché à partir duquel il sera aisé de sortir un article. Je me suis cru verni (ah, ah). Mal m’en a pris. Vernissage est en effet une comédie dramatique “intellectuelle”, au message relativement complexe et pas immédiatement accessible. Ecrite, de surcroît, par un dramaturge reconnu et très respecté de ses pairs, Vàclav Havel. Difficile donc de donner un point de vue personnel sans risquer de me ridiculiser :O . Tout à fait sérieusement, je me sens un peu comme un jeune gymnasien saisi par l’angoisse de la feuille blanche lors de sa première dissert sur Nicolas Bouvier (le voyage qui nous fait et nous défait… et défait surtout les ados sans cervelle 😉 )… Que disait mon prof de français déjà ? Ah oui, ouvrir son Petit Robert pour lire des définitions de mots contenus dans l’énoncé, ça donne des idées. Essayons.
Vernissage. 1. blablabla, c’est pas la bonne définition. 2. Jour d’ouverture d’une exposition de peinture (les artistes pouvaient achever d’y vernir leurs tableaux). Bingo ! C’est la définition pertinente pour notre sujet… Mmh, bon, mais ça va pas m’écrire mon article non plus :'( …

Bref. Je vais me calmer, respirer un bon coup, et… c’est parti, c’est le grand saut, faut que j’écrive une critique, et je verrais si j’arrive à mettre un peu de verni à la fin 😉 . Parlons un peu plus de l’auteur, d’abord : Vàclav Havel. Un Tchèque, né en 1936. Il grandit donc sous le pouvoir communiste. Intéressé par la littérature et plus particulièrement le théâtre, il devient un dramaturge reconnu. Son oeuvre, où la satyre et l’humour noire règnent en maîtres, est avant tout une critique envers les structures sociales et les totalitarismes. Ni le capitalisme, ni le communisme ne trouvent vraiment grâce aux yeux de Havel… Ses attaques à peine voilées contre les autorités lui vaudront d’ailleurs des séjours répétés en prison. Tant et si bien qu’il deviendra un peu malgré lui une figure de proue de la révolution de velours qui aura lieu à la fin des années 1980, et qu’il sera même investi de la présidence de la nouvelle République Tchèque, un poste qu’il ne quittera pas avant 2003 ! Il n’y a pas à dire, Havel est un grand Monsieur. Petit point d’ombre : il a soutenu l’administration Bush lors de la guerre en Irak. Personne n’est infaillible. Moi non plus d’ailleurs, et je dis merci à Wiki, je vous avoue que j’ignorais tout du bonhomme, et jusqu’à son existence 😛 .
Si vous avez survécu à ma petite leçon d’Histoire sans mourir d’ennui, laissez-moi maintenant vous causer un peu de l’oeuvre qui nous intéresse. Entre 1975 et 1978, Havel se consacre à la création d’un triptyque (Audience, Pétition, Vernissage). Il y fait figurer son propre double imaginaire, Ferdinand Vanek, au sein d’un univers extrêmement caricatural. Dans Vernissage, Ferdinand va visiter Véra et Michael, un couple qui semble s’éreinter pour répondre au mieux à tous les critères de réussites de notre époque (avoir un corps fit, une profession qui paie, une vie sexuelle épanouie et créative, une alimentation distinguée, exotique et variée, des voyages dans les pays les plus étonnants…). En un mot, Véra et Michael veulent briller au maximum, et s’enduisent d’une couche de vernis énorme. Ils viennent d’ailleurs de refaire la déco (d’où le titre de la pièce, si on l’interprète au sens étroit), et c’est semble-t-il pour ça qu’ils ont invité le pauvre Ferdinand saoulé et énervé un maximum par leur frime puis par leur volonté de le faire vivre tout comme eux. Car celui-ci semble différent, et se contente d’un boulot misérable de manutentionnaire, d’un ameublement avant tout fonctionnel et d’une compagne bof bof. Au premier abord, il apparaît mou et lâche, octroyant à demi-mot les compliments attendus. Mais il refuse de se laisser influencer pour ce qui est de sa propre vie, ce qui rend la soirée de plus en plus tendue, jusqu’à un dénouement explosif que je ne vous révélerai pas 😉 .

Pour vous présenter la vérité toute crue et sans verni, je n’ai personnellement pas trop goûté l’humour de Havel, et Vernissage a peiné à m’arracher quelques sourires. Avec le recul et après réflexion, j’admets pourtant qu’il s’agit d’une oeuvre pertinente, inventive et bien trouvée, qui se savourerait sans doute davantage une deuxième fois. Elle conserve bien-sûr toute son actualité dans notre société de consommation, avec ses innombrables dictats et définitions du bonheur qui sont de plus en plus inaccessibles et contradictoires. Plutôt que de tant se préoccuper de la surface, faudrait peut-être s’inquiéter de nos vides intérieurs abyssaux. Pensons à peindre le tableau avant de le vernir ! Voilà pour ma petite boutade 😉 .
En ce qui concerne la représentation qui a lieu à la Grange, la mise en scène orchestrée par Mathias Urban m’apparaît assez convaincante. La déco, bien trouvée, est sobre et très peu fournie, ce qui laisse tout le loisir au spectateur d’imaginer les objets manquants et de se concentrer sur le jeu des acteurs. Rien à redire sur celui-ci non plus, car François Florey, Yves Jenny et Valérie Liengme ne se contentent pas de déclamer leur textes avec le bon ton et le bon rythme, mais produisent des efforts considérables pour des mimiques et des gestuelles de circonstance lorsque la parole est prise par un autre personnage… À noter encore que Mathias Urban a judicieusement ponctué la pièce d’une musique insupportable, durant laquelle le couple infernal met tout son ridicule et toute sa vanité en valeur en s’adonnant à des chorégraphies inédites. Tout ceci accompagné d’un éclairage mouvant et approprié. Une belle occasion donc de découvrir Havel, de mardi à samedi cette semaine à la Grange de Dorigny (prix sympas).
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