Un regard sur Lausanne : Le politicien devenu graffeur

Un regard sur Lausanne : Le politicien devenu graffeur

Dans un nouveau volet de notre série «Un regard sur Lausanne», Yoan laisse libre cours à son imagination en proposant un scénario pour remonter aux origines de ce tag «coup de soins», aperçu au lendemain des dernières votations du 5 mars, et émettre une hypothèse sur l'identité de son auteur.
Opération coup de soins. CC by Yoan

Dimanche 4 mars, le sang du Conseiller d’État vaudois ne fait qu’un tour lorsque vers midi, les premières estimations tombent et viennent lever précocement tout espoir de voir l’initiative pour le remboursement des soins dentaires passer la rampe des 50%. Dépit et frustration. Tel est le mélange de sentiments qui habite l’esprit du politicien après cette déconvenue subie à la sortie des urnes.

Il y a d’abord eu sa propre initiative pour une caisse maladie publique, certes acceptée dans le canton où il siège, mais balayée assez sèchement au niveau fédéral. Puis voilà que cette initiative visant à rembourser les soins dentaires, lancée par un parti idéologiquement voisin, se voit rejetée à son tour. Cette défaite est un choc d’autant plus difficile à amortir qu’elle s’ajoute aux nombreux arguments mensongers et propos malveillants bombardés par ses opposants tout au long de cette campagne acharnée. Le domaine de la santé (et l’accès à des soins de qualité pour tous) ayant depuis toujours été l’un de ses principaux chevaux de bataille, c’est un peu sonné que le Conseiller d’État vaudois, après avoir honoré ses obligations médiatiques, finit par regagner son domicile.

Le camp du non l’a donc emporté haut la main et peut jubiler, vanter la clairvoyance du peuple (du moins de sa majorité votante) qui, en plébiscitant une fois de plus un libéralisme sans entraves, inflige un nouveau camouflet à notre Conseiller d’État et à tous les autres défenseurs d’un interventionnisme d’État renforcé. Convaincus d’être du bon côté de l’histoire, avec la supériorité et l’insolence qu’on leur connait, développées à force de succès électoraux répétés, quelques élus du camp des gagnants ne manquent pas d’enfoncer le clou, réaffirmant, lorsque les micros se tendent pour récolter les premières réactions, que l’objet de l’initiative soumis au peuple était une idée absurde et irréaliste, qui aurait de surcroît plombé les caisses de l’Etat.

Au cours de sa vie, le Conseiller d’État vaudois a dû beaucoup travailler sur lui-même pour canaliser son tempérament nerveux et impulsif, afin d’adopter une posture moins autoritaire, plus collégiale et employer un ton plus aimable, moins cassant. Dans un pays où le calme, la mesure et la prudence font quasi partie de l’ADN de ses citoyens, remodeler son caractère s’est révélé être une tâche éprouvante mais indispensable pour le jeune politicien qu’il était, lui qui entendait élargir son cercle de partisans et gagner la confiance de nouveaux électeurs, avec l’ambition d’atteindre un jour les plus hautes sphères gouvernementales du pays.

Ce soir là toutefois, la fougue longtemps étouffée du parlementaire s’est trouvée subitement réoxygénée: affalé dans un canapé, épuisé et rongé par l’amertume d’un nouveau revers sorti des urnes, le Conseiller d’État se retrouve tout à coup embarqué dans un délire vertigineux, plongé dans un songe effroyable où se voient défiler ses adversaires politiques, venus lui susurrer à l’oreille la vacuité de son combat et prophétiser une fin de carrière imminente, l’intimant alors de disparaître du monde politique immédiatement avant que les éléments eux-mêmes ne le contraignent d’abdiquer. Lorsqu’il reprend ses esprits, le politicien tente de se ressaisir, persuadé de pouvoir défier cette vision cauchemardesque. Il se force alors à réfléchir lucidement: quel nouveau mode d’expression employer pour ébranler un système encore tellement méritocratique comptant de si nombreux adeptes, qui jugent leurs prérogatives légitimes parce qu’acquises au prix de rudes efforts et à la force de leur seule volonté? Où trouver encore de l’énergie pour détourner le vote de cette frange d’électeurs parmi les plus aisés et espérer voir les partis qui se font les défenseurs de leurs privilèges enfin désavoués? Quel message suffisamment percutant est encore à même d’attaquer les positions de cette portion d’électeurs majoritaire, dont l’opinion est gouvernée par le strict maintien de ses intérêts personnels, refusant de ce fait systématiquement de se solidariser quelque peu avec ses concitoyens socialement déclassés?

Incapable de trouver une réponse raisonnable et pertinente à toutes ses questions complexes, las à force de tergiverser vainement, le Conseiller d’État sent peu à peu la température monter en lui; la rage, mise en veilleuse pendant tant d’années, ressurgir brusquement; le caractère tempétueux et la verve extraordinaire, qui avaient participé à forger sa réputation dans l’arène politique, refaire subitement surface.

C’est alors que ni une ni deux, le Conseiller d’État bondit de son canapé, se précipite dans le garage attenant à son domicile et s’empare d’une bombe aérosol bleu azur, acquise il y a peu pour repeindre une étagère métallique défraichie par le temps. Une fois embarqué dans sa voiture, il s’engouffre dans la nuit lausannoise, direction rue César-Roux. Il manœuvre le véhicule et discrètement, le stationne devant une bâtisse aux façades abondamment taguées: la «Dolce Vita». Là où tout avait commencé. Là où durant sa jeunesse, peu avant qu’il ne fasse ses premiers pas en politique, ses amis et lui se détendaient et débattaient autour d’une bière, entre un cours à l’Unil et une réunion syndicale. Se dirigeant alors vers un mur à quelques encablures du club, rebaptisé aujourd’hui l’«Espace autogéré», dans un ultime geste inconscient et sans préoccupation de ce que sera fait demain, le Conseiller d’État sort furtivement la bombe aérosol de sa poche tout en se remémorant, pour s’encourager, les nombreux acquis sociaux dont il pouvait aujourd’hui se targuer d’être l’artisan. Débarrassé de son angoisse, l’esprit ragaillardi, le cœur envahi par ce même sentiment de révolte qui l’animait lorsque adolescent, il battait fièrement le pavé, plus rien ne peut désormais venir empêcher le Conseiller d’État de mettre son plan à exécution: il ôte le cache plastique, secoue vigoureusement la bombe, et en quelques gestes rapides et mal assurés, imprime son message sur le mur…

Tel fut ce soir-la, l’exutoire trouvé par Paul-Emile Gaillard, Conseiller d’État socialiste vaudois, pour braver le désespoir: emporté par un élan de folie et d’impulsivité, il vint à clamer par le spray que bien qu’aujourd’hui éprouvé politiquement, jamais il ne se résignerait à peser dans la bataille des idées: «Opération coup de soins»


Les personnages et les situations de ce récit étant fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

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