Un jour comme les autres

Posté dans : Rien à voir 1
Un bloggueur expatrié vous relate son quotidien en tant qu'enseignant de français à Madagascar

Je suis confortablement assis dans mon fauteuil, au coin du feu. La chaleur des flammes me lèche langoureusement la plante des pieds, tandis que je savoure un onctueux chocolat chaud, une couverture benoîtement posée sur mes jambes et un chat ronronnant allégrement sur mes genoux. A l’extérieur, la neige tombe à gros flocon, formant des amas de neige qui recouvrent progressivement un paysage montagneux des plus helvétiques. Je sombre dans une tiède torpeur, en jouissant de l’atmosphère chaleureuse caractéristique des chalets alpins. Au loin semble néanmoins résonner un cri, qui, d’abord ténu, devient de plus en plus persistant. Serait-ce le chant d’un coq? Oui, ça en a tout l’air…

J’ouvre soudain les yeux. « Ah m…., zut, ce n’était qu’un rêve… où suis-je? Ah oui, je suis à Madagascar… quelle heure est-il? 04H30 du matin… satanés coqs!!! Pourquoi sont-ils génétiquement programmés à brailler dès les premiers frémissements de l’aube? ».

Après quelques vaines tentatives pour me rendormir, je me décide enfin à sortir du lit. Mon dos me fait mal et je peste mentalement contre les matelas malgaches dont la consistance particulière (que l’on pourrait qualifier de « mousseuse ») vous donne rapidement l’impression de dormir à même le sommier.

Je remplis un seau d’eau et le pose dans le mètre carré carrelé qui me sert de douche. Je procède à une rapide toilette, puisant l’eau froide du seau à l’aide d’une petite tasse en plastique. Je vide également mon pot de chambre, la perspective, peu encourageante, d’une escapade nocturne pour rallier le trou au fond de la cour m’ayant décidé à me pourvoir d’un tel article. A l’extérieur, j’entends déjà mes voisins malgaches s’activer au milieu des poulets, canards, oies, porcs et tortues qui peuplent l’enceinte de notre maison commune: « gruiii gruiii », « coin coin », et autres « cocorico » des plus pittoresques viennent se mêler au sons des marmites qui s’entrechoquent et des bassines qui se remplissent.

J’enfile prestement des vêtements propres qui sentent encore bon le fer à charbon et prépare mes affaires pour la journée: quelques polycopiés, des manuels de grammaire, de conjugaison et d’orthographe, des stylos noirs, bleus et rouges, et me voilà prêt à attaquer une nouvelle journée dans la peau d’un enseignant de français au sein d’un village malgache. Malgré l’inconfort du réveil, un sourire vient subrepticement se ficher à mes lèvres.

Je sors de chez moi et me réchauffe quelques secondes à la chaleur du soleil africain; la journée sera chaude… Je salue rapidement les enfants qui jouent dans la cour et m’engage sur la route principale qui me mènera au lycée. En chemin, je passe devant le stationnement de taxis-brousse, dont les rabatteurs m’alpaguent invariablement en me lançant, sur le ton interrogatif, un « tan’n’narive? » des plus typiques, tout en m’invitant à monter à bord de leur véhicule, densément chargés de voyageurs, qui filera bientôt vers la capitale (Antananarivo). Déclinant également les propositions des tireurs de pousse, je continue ma marche en direction du lycée, passant tour à tour devant les marchands de fruits, les échoppes vendant des beignets de farine de riz, les ateliers de réparation de véhicules et autres vendeurs de fripes et chaussures usagées. Je contemple également les rizières, qui s’étendent à perte de vue autour du village, et dont les différentes teintes de vert donnent au paysage un éclat irréel.

Je croise de nombreux enfants qui me dévisagent de leurs grands yeux étonnés. Pour eux, je suis un Chinois ou un Japonais et il n’est pas rare qu’ils déclament, à tue-tête, « sinoa sinoa ! », « konnichiwa ! », « ni hao ! » et autres « tching tchang tchong ! » sur un ton enjoué et moqueur. Je leur souris calmement (je ris jaune), ayant depuis longtemps renoncé à leur expliquer que je suis de nationalité suisse.

Arrivé au lycée, je passe premièrement au « bureau » pour y saluer mes collègues, m’enquérir des nouvelles et m’emparer du cahier de classe ainsi que de quelques craies. Je file ensuite en direction de ma salle de classe, où m’attendent, plus ou moins sagement, une soixantaine d’élèves aux âges et aux niveaux de français des plus disparates. A mon entrée, ils se lèvent tous et me lancent, d’une seule et même voix, un « bonjour monsieur ! » des plus tonitruants. Je m’installe à mon bureau et les dévisage quelques instants. C’est étrangement à ce moment que je me sens le plus investi de ma mission en terres malgaches: en face de moi, droits comme des piquets, soixante jeunes gens dont je vais tenter de conserver l’attention deux heures durant et à qui je vais inculquer, avec plus ou moins de réussite, les subtilités de la langue de Molière.

Après leur avoir permis de s’asseoir, je passe à l’appel: « Tahiana (Tahïne), Tojo (Toudz’), Sarobidy (Saroubid’), Nantenaina (Nannténaïne), Narindra (Narind’ge), Finaritra (Finartch’), etc. ». La prononciation des sonorités malgaches étant quelque peu particulière, l’exercice s’avère souvent périlleux, la moindre hésitation de ma part créant bien souvent l’hilarité générale.

Entrant ensuite à brûle-pourpoint dans le vif du sujet, je m’entends répéter, d’un ton professoral, des formules telles que « le participe passé d’un verbe s’accorde avec son complément d’objet direct si celui-ci précède la forme verbale ! » ou encore « les verbes pronominaux peuvent être du type réflexif ou réciproque ! ». L’apprentissage de la langue française n’étant pas aisé, je me considère déjà satisfait lorsqu’une fugace expression de compréhension vient éclairer le visage parfois déconfit de mes chers élèves.

A midi, la cloche sonne. Cherchant à calmer les gargouillis de mon estomac affamé, il m’arrive de me sustenter en gargote. Contre l’équivalent de 0.80 frs, je me vois servir une généreuse assiette de riz, le « vary » (var), accompagnée d’une viande en sauce, le « loaka » (lok, bien souvent un morceau de gras de porc baignant dans l’huile…) et me désaltère avec un bon « ranovola » (rannvoul’), terme désignant l’eau de riz brûlé. J’agrémente le tout d’une bonne dose de « sakay » (sakaï), le piment malgache, et d’une petite assiette de « lasary » (lasar’), légumes marinés dans du vinaigre.

Après les cours de l’après-midi, je rentre tranquillement chez moi, en faisant un petit détour par le marché. Ici les produits sont frais et pour le moins locaux; à chaque saison correspond sa variété de fruits et légumes: les goyaves succèdent aux poires, qui elles-mêmes succèdent aux letchis et aux mangues. Les chouchoutes remplacent les courgettes, tandis que le maïs bouilli se fait de plus en plus rare. J’achète quelques brèdes et des oignons de printemps, des oeufs et des kakis, et évite soigneusement la viande qui a eu tout le loisir de dépérir au soleil la journée durant.

Mes soirées, quant à elles, ne sont pas des plus excitantes. Après m’être concocté un repas souvent frugal, j’ouvre un livre ou allume mon ordinateur, pour contempler le monde occidental par le biais d’une page ou d’un écran. Seul attablé dans ma petite cuisine, j’éprouve parfois un diffus sentiment de nostalgie, moment précis choisi par mes souvenirs pour me rappeler le visage des êtres chers que je n’ai pas revus depuis longtemps. Après un certain temps, je me mets au lit et éteins la lumière: il ne sert à rien de prolonger la soirée. Demain, à coup sûr, dès les premiers frémissements de l’aube, le coq chantera.

Bien à vous.

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Francis

  1. Avatar
    romuald
    | Répondre

    Géniales tes chroniques Francis; je commente très peu sur le Lausanne Blog n’étant pas Suisse, mais j’ai eu l’occasion de lire tes articles (notamment le polémique sur les seins des femmes lol).

    Ca ne doit pas être évident tous les jours, loin des tiens, de chez toi, du confort (le passage sur le matelas à la malgache !!).
    Je sens en tout cas dans tes phrases de la motivation, un amour de ton métier; et tu n’as pas perdu ta verve et ton sens de l’humour déjà présent dans les autres articles.

    Une chose m’intrigue : pourquoi les enfants te prennent-ils pour un Asiatique, tu en es un ? tu avais écrit un article sur le caodaïsme, y a-t-il un lien ? point de stigmatisation ou quoi, je suis d’origine viet 😀

    En tout cas, depuis la France je te souhaite bonne continuation; conserve ta gnaque (surtout si on te prend pour un nha quê !!) et ton humour !

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