Ni une ni deux, l’aventurier au cœur pur en moi s’est levé comme un seul homme, a chaussé ses bottes les plus moches (mais il faut bien le dire, protection efficace contre le froid et le verglas ne fait guère bon ménage avec une esthétique soignée à la Sex and the City, et je vous renvoie pour démonstration à l’excellent papier de notre ami Michael à propos des flocons de neige), a enfilé ses bottes les plus moches disais-je, son bonnet qui gratte et qui ruine tout espoir de ressembler à autre chose qu’à un balais brosse une fois enlevé, sa veste de trappeur du grand nord, et zou, direction le cinéma le plus proche en espèrant arriver vivante à mi Petit-Chêne, quand les bottes moches en question fouleront le sol béni dudit cinéma.
Un ticket étudiant à la main, pauvre privilège de ma condition d’attardée pas encore lancée sur le sacro-saint marché du travail (mais c’est pas ma faute, j’ai eu une enfance difficile), et je me retrouve à faire des ronds sur la moquette détrempée par la neige liquéfiée, incapable de m’orienter dans les dédalles de l’endroit (Salle 5 ouais c’est là, ah non merde c’est à gauche, nan c’est en bas des escaliers ah ok merci meussieu), il faut que je confesse ici que j’ai un sens de l’orientation aussi développé que celui d’une amibe aveugle. Je vous épargne les détails sordides de l’achat de popcorns aromatisés à la graisse de trombone à coulisse à 16 francs les 50 grammes pour la simple et bonne raison que j’en achète jamais, je trouve plus rigolo d’en piquer à la personne qui est avec moi et de toute façon ça laisse des dépôts dans les dents qui vous obsèdent ensuite toute la durée de la séance parce que votre langue n’arrive jamais à tous les déloger. Alors, nan, très peu pour moi les popcorns. Je cale donc mon séant confortablement dans le siège mietté sur lequel j’ai jeté mon dévolu, et, vingt minutes de pubs et de lancements violents et nazes plus tard, le film débute.
Il me faut tout d’abord saluer la prouesse techologique consistant à rendre MIGNON un bébé tout rabougri censé ressembler à un vieillard, celui-ci ayant réussi à arracher des couinements attendris à toute l’assemblée féminine présente dans la salle (ah ça, c’est l’instinct maternel hein, c’est dans les gènes). Non vraiment, chapeau les gars. Ensuite, faut dire que Brad Pitt vieux, on y croit. Bravo, bravo. Quand j’avais vu les extraits, j’avais trouvé ça aussi artificiel que John Travolta dans l’excellent pamphlet Scientologue « Battlefield Earth » déguisé en guerrier futuriste s’apparentant plus à une sorte de carpe géante à antennes ridicules. M’enfin passons. Une fois lancée dans le film, force m’est d’avouer que la mayonnaise prenait pas mal. L’imagerie de synthèse progresse et commence enfin à ressembler à quelque chose de vraiment vivant subissant les lois de la gravitation universelle, et je suis plutôt le genre grosse naïve qui a adoré « I-Robot » ou « Vertical Limit » et donc à qui ce genre de débauche d’effets spéciaux en fout plein la tronche. Le film avance. Assez vite, l’histoire m’emporte, mais tout juste pas assez pour que je voie pas où on a voulu en venir. Ah ok, c’est le nouveau Forrest Gump en fait. Got it.
Parce que tout y est, faut bien le dire. La recette a été suivie à la lettre : la naïveté enfantine, la bonté innée du personnage principal projeté (au sens Sartrien du terme, on s’entend) dans les affres d’une existence tout à fait pilpatante (oui, pilpatante). Le bateau (de Bouba, le copain crevettier, remplacé ici par un marin irlandais et alcoolique, pour autant que ces termes ne soient pas synonymes, mais de grâce, ne tombons pas dans ce genre de stéréotypes) sur la mer tantôt majestueuse, tantôt déchaînée. La guerre bien sûr, ingrédient indispensable. La figure maternelle, courageuse, adorable, en marge du monde et de ses jugements sans pitié (la vie, c’est comme une boîte de chocolat, c.q.f.d). L’amour d’enfance (la merveilleuse Jenny de Forrest est ici la rousse Kate Blanchett) qui le suivra tout au long de son parcours de vie et qu’il finira, bien sûr, par retrouver dans un feux d’artifice passionné, mais qu’évidemment ça ne pourra pas durer car la vie est cruelle et que sans tragédie pas de grands films, sinon on est dans une comédie romantique, tout le monde sait ça. La petite dosette de poésie. Les paysages grandioses. Les couchers et levers de soleil. Le zeste de philosophie bouddhiste new age qui ravira le coeur des bobos que nous sommes ( « when the moment comes, you just have to let go »), merveilleuse apologie du « lâcher-prise ». Le film est donc réussi, il a rempli sa mission. Il nous a fait réfléchir sur le sens de l’existence (pour autant qu’il y en eût un, mais ça c’est une autre histoire), il nous en a mis plein la vue, on n’a pa vu le temps passer, on a vibré, on a pleuré.
Alors quoi ? Je sais pas vous, mais moi, un Forrest ça me suffit. J’avais pas vraiment besoin d’un remake, il a déjà réussi à se placer au box-office des mes films préférés, comme de bien entendu, ma petite personne n’échappant pas à la logique implacable de la courbe de Gauss. I’m just an average everyday normal girl (pour paraphraser le sémillant Jon Lajoie). Attention, je ne dis pas que « The strange case of Benjamin Button » ne m’a pas plu. Loin s’en faut. Je dirais plutôt que, n’ayant pas été dupe des grosses ficelles Hollywoodiennes, mon appréciation du film fut, disons, toute en demi-teinte. Un peu comme un T-shirt H&M passé pour la seconde fois à la machine; c’est bien lui qu’on avait acheté, mais bon, voilà. Le noir est tout gris, les manches sont toutes flappies.
Et on oublie Tristan. Tristan, l’évanescent éphèbe à la cascade de cheveux blonds qui prit notre cœur ce soir de nos quatorze ans dans un obscur cinéma de Berne (y a pas de quoi rire, Berne c’est une ville tout à fait admirable et il y a le Palais Fédéral je vous signale au passage). Tristan, qui s’imprima à tout jamais dans notre rétine comme l’archétype absolu au firmament de la beauté masculine. Cette bouche charnue et rosée en forme de cœur , ce petit creux au menton, ces narines mutines, ces bras à la fois finement ciselés et musclés. Ce cul parfait. Grands Dieux de l’Olympe, soyez ici évoqués. Tristan, c’était Brad Pitt dans « Legends of the Fall ».
Comment ai-je pu t’oublier Brad ? Voilà la question qui m’a tordu les entrailles alors que je m’extasiais plus à chaque minute du film où Benjamin rajeunissait et que sa beauté éclatait littéralement sur la fine paroi de l’écran. Ça devrait être interdit, moi je vous le dis, d’être si beau. Puis je me suis souvenue que j’avais grandi, et que j’avais fini par comprendre que Brad ne serait jamais mien. La distance, sans doute… Il s’est envolé petit à petit de mon imaginaire alors que la vraie vie m’emportait. Puis, des années plus tard encore, il m’a gonflée carrément avec ses airs de grand con trop cool poussant six poussettes en même temps, faisant des gosses parfaits à la femme la plus belle du monde (ce qui a confirmé ma triste équation : beau avec belle, con avec conne, pauvre avec pauvre, riche avec riche, bof avec bof). Hé bien, nous sommes bien peu de choses en vérité, je vous le dis. Il m’a fallu 2h40 dans une salle obscure un soir banal d’un hiver s’éternisant pour que je retombe en pâmoison. Hollywood, merci.
Alors voilà mon verdict, quitte à passer pour une midinette attardée: la plus grande réussite du “Strange case of Benjamin Button”, c’est sans conteste Brad Pitt.
Gab –
4 Responses
Tine
Tcha, cet article me plaît et en plus, merci de remettre les pendules à l’heure au sujet de Brad Pitt! Je me sens souvent très seule à le défendre contre vents et marrées!
Rose
… et la reconnaissance du métier n’y était pas non plus cette nuit aux oscars: seulement trois oscars, et pour des nominations mineures. Le “nouveau Forrest Gump” n’a manifestement pas plus convaincu le jury qu’il ne vous a convaincu :)!
fleks
Gros haut pour la référence à “Battlefield Earth”.
Un des meilleurs films depuis Delta Force ou Tremors.
Gab
Damn, you’re right!