Sous les arches, l’Americana

Sous les arches, l’Americana

Posté dans : Culture 2
Jeudi passé, sous les arches, l'Americana s'est dévoilé aux Lausannois, de ses racines country/folk à son évolution moderne, plus mélancolique et plus rock. Porte-étendards de cette musique, deux femmes, Marisa Anderson et Sharon Van Etten, ont envouté Le Romandie, chacune avec ses propres incantations musicales. Compte-rendu exclusif.
Marisa Anderson, dans son élément.
Marisa Anderson, dans son élément.

Elle vient de tomber sous le charme de cet homme. Elle est mariée, mère de trois enfants, et n’a jamais connu une passion comme celle-ci. Elle ne se reconnaît plus. Et lorsque ce nouvel amant lui propose de partir sur les mers, à la rencontre d’aventures et de destinations paradisiaques, elle se laisse convaincre et abandonne sa famille. Plusieurs semaines de bonheur plus tard, elle découvre que cet homme n’est autre que le Diable. Il lui parle alors en ces termes : « Maintenant, tu dois payer pour ce que tu as fait. Tu vois l’île, au loin sur la droite ? C’est le Paradis. Mais ce n’est pas là que nous allons. Tu vois l’île, au loin sur la gauche ? C’est l’Enfer. C’est là que nous allons .» Les eaux commencent alors à submerger le bateau et finissent par l’engloutir. Dans le naufrage, elle meurt, puis, se réveille. En Enfer.

La prêtresse aux long cheveux gris

C’est de sa voix douce, à l’accent profondément yankee, que Marisa Anderson nous raconte cette fable effrayante. Elle la connaît par cœur. Elle la raconte sûrement à ses enfants quand ils n’ont pas été sages. Son prochain morceau est inspiré de cette histoire.

Marisa sur sa Steel Lap Guitar.
Marisa sur sa Lap steel guitar, au Romandie.

Le Romandie prend ce soir des airs de club américain, à mi-chemin entre l’East Village New-Yorkais et une petit ville anonyme de Caroline du Nord. Seule sur scène, avec son allure de fermière cinquantenaire, tout droit sortie de son ranch (longs cheveux grisonnants, blue jeans, chemise grise et trop large), Marisa Anderson est à elle seule le symbole d’une Amérique indomptée, profondément ancrée dans ses racines et fière d’appartenir à une tradition de la terre et de la nature.

La guitare de Marisa envoûte. Elle parle à travers elle et ses doigts voyagent avec une facilité déconcertante sur les six cordes. Pas de voix, pas d’effets, seulement les vibrations magiques de son instrument, en symbiose. Même savoir-faire avec sa guitare lap steel (ci-contre), qui rallonge les notes et les fait siffler jusqu’à l’infini. Marisa a tout d’une prêtresse.

Sharon Van Etten, rêveuse et mélancolique.
Sharon Van Etten, rêveuse et mélancolique.

Les morceaux s’enchaînent, entrecoupés par sa voix tendre, qui nous raconte à chaque fois comment la prochaine envolée musicale est née. J’ai plusieurs fois l’impression de voir, au loin, une montagne magique, hallucinée, d’où proviennent des incantations sublimes, et devant elle, s’étendant sur des kilomètres, une plaine verdoyante, peuplée d’animaux discrets, mais majestueux. Marisa a tout d’une prophétesse.

Puis, Marisa s’en va. Je me sens un peu orphelin et aucune bière n’aidera à faire partir ce sentiment. Il me faut un de ses albums, pour que la magie ne disparaisse pas complètement. Heureusement, le stand merchandising est fourni et une des deux vendeuses est… Marisa. Mon sourire renaît. D’une humilité désarçonnante, elle m’explique dans quel état d’esprit ont été enregistrés ses albums : avec le cœur, qu’ils soient chaotiques ou lumineux. Je lui achète les deux (The Golden Hour et Mercury) et elle me les signe. Elle sait comment s’épelle mon prénom. Elle le trouve beau. Le sien l’est tout autant. Je la remercie une dernière fois pour son concert, pour sa musique et pour sa présence, et continue mon chemin vers une troisième IPA, quand une question éclot dans mon esprit : comment Sharon Van Etten va-t-elle passer après Marisa Anderson ?

Sharon  n'a peur de rien de rien ("Afraid of Nothing").
Sharon n’a peur de rien (“Afraid of Nothing”), au Romandie.

L’oiseau noir à la voix cristalline

D’un style bien plus contemporain, entre electro-rock et folk mélancolique, Sharon Van Etten arrive sur scène, accompagnée de quatre musiciens et ouvre sans préambule avec les deux premiers titres de son nouvel album à succès Are We There (Afraid Of Nothing et Taking Chances). Le timing est là, la musique aussi. Sa voix frêle et planante enchante les tympans, mais Sharon n’est pas à l’aise… et le public non plus. La magie n’est pas là.

Plusieurs morceaux passent (dont deux titres inédits), et il faut attendre le milieu du concert pour qu’une complicité s’installe enfin. Désormais seule sur scène, elle reprend avec brio l’hymne Perfect Day du grand Lou Reed, proposant une version, plus lyrique que rock, étonnante. L’intimité des arches lui plaît et, sans retenue, elle déverse alors ses tripes vocales, au son des cordes malmenées de sa guitare sèche. Soudain, on sent une délivrance en elle, quelque chose qui dans ces mots la transcende : “You’re going to reap what you sow” (Tu vas récolter ce que tu as semé). C’est la première fois depuis le début cette tournée européenne qu’elle joue cette reprise, et bien plus que la jouer, elle la vit.

Sharon
Sharon, toute de noire vêtue, sous les spots divins du Romandie.

Puis, elle commence à sourire. Sa timidité est passée. Elle nous raconte comment, à Genève, les douaniers suisses lui ont fait vider tout le matériel de son mini-bus, car il pesait trop lourd, l’obligeant à en louer un second sur place. Arrivée en retard au Romandie, elle et son groupe n’ont alors plus eu qu’une demi-heure pour faire les balances. “I just wanted to be eco-friendly, with just one van. But now you must think I’m here to soil your mountains” (Je voulais juste être plus écolo, avec un seul mini-bus. Mais maintenant, vous devez penser que je suis venu salir vos montagnes). Elle rit et le public la suit. L’ambiance change.

Ses musiciens reviennent sur scène et le concert prend son envol. Entre quelques titres plus punchy, elle nous livre la magnifique I Love You But I’m Lost (en duo avec sa choriste) et finit son court set avec la sublime et habitée Your Love Is Killing Me (ma préférée). Le charme est à son apogée. Le public applaudit de toutes ses paumes et, au bout de quelques minutes, Sharon revient pour un rappel de deux chansons, dont Serpents, son premier single marquant. Puis, encore une fois, elle nous remercie pour cette “special night” (nuit spéciale), tire sa révérence et disparaît derrière le rideau noir. Le contrat est rempli. La magie de Sharon a aussi opéré, simplement pas de la même manière que celle de Marisa.

Puis, la salle se vide, le bar se remplit à nouveau et le froid m’attend en bas des escaliers. Une fois dehors, lui et la ville reprennent leurs droits, de rafales en obscurité, et me poussent infatigablement vers mon refuge. Mais je ne me laisse pas faire. Mes pas prennent leur temps, car ce soir rien ne pourra plus chasser les notes chaudes et lumineuses qui trottent encore entre mes deux oreilles.

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Plus d’infos sur Marisa Anderson : ici.

Plus d’infos sur Sharon Van Etten : ici.

La programmation du Romandie : .

Photo-Presse Marisa Anderson © 2014, Ifanyl Bell/OPB ; Photo-Presse Sharon Van Etten © 2014, Dusdin Condren/Jagjaguwar ; Photos Live Romandie © 2014, Florian Poupelin/LBB

2 Responses

  1. Mathilde
    Mathilde
    | Répondre

    Super article.
    Est-ce que le zèle des douaniers suisses avec les musiciens étrangers est un problème récurrent ? Ce n’est pas la première anecdote que j’entends.

    • Florian Poupelin
      Florian Poupelin
      | Répondre

      Merci pour ton commentaire Mathilde !
      Alors, écoute, je n’ai pas mené l’investigation plus loin, mais j’ai un ami douanier à Genève, qui pourra sûrement m’aider dans cette quête de vérité. Je vous tiendrez ai courant avec plaisir, peut-être un article même, qui sait ?

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