Sida: entre politique de l’autruche et stigmatisation

Posté dans : Société 2
Rubans rouges exhibés sur les sacs et capotes offertes plein les poches, le premier jour de décembre vient nous rappeler que le Sida se propage toujours. Plus de 25'000 tests VIH positifs comptabilisés aujourd'hui en Suisse, avec 761 nouveaux cas déclarés en 2007. Malgré une prévention de plus en plus intense, la croyance voulant que le Sida n'est " réservé qu'aux autres " reste bien vivace, de même que les préjugés et discriminations envers les séropositifs et sidéens.

Le Sida mon cul, la santé m’habite! Les thèses négationnistes au sujet du VIH/Sida pullulent partout, même dans le journalisme ou dans la politique. Preuve en est avec le scandale récent du site Médiapart, dirigé par le grand journaliste Edwy Plenel, sur lequel on trouve un blog de M. Verschoore autoproclamé spécialiste du sida et qui déclare que le « virus VIH n’existe pas et n’entraîne pas de déficience immunitaire ». (Mais bien sûr! Et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu!). Autre exemple: celui de l’ancienne ministre de la Santé en Afrique du Sud, Manto Tshabalala-Msimang. Si cette dernière est surnommée Dr. Betterave, c’est bien par rapport à ses positions négationnistes sur le VIH. Alors que son pays connaissait plus de 1000 nouveaux cas infectés chaque jour, elle prétendait soigner cette maladie avec de l’ail, de la patate douce et de la betterave. Mais pas besoin d’aller surfer dans ces concentrés de n’importe quoi du Net ou sur les vagues du Cap pour retrouver une politique de l’autruche vis-à-vis de l’existence du VIH et du Sida, ainsi qu’une stigmatisation de ces malades. Détour par Renens, à l’association Arc-En-Ciel, où deux Lausannois touchés par le virus m’ont livré quelques bribes de leur expérience.

Début des années 80, Johan* apprend qu’il est séropositif. Pour lui, même si radios, journaux et TV parlent du sida, peu de personnes sont encore au courant des conséquences de la maladie, que ce soit au niveau des interactions ou des traitements. La tendance générale serait de croire que « le sida c’est fini !», alors que, malgré les progrès de la médecine, il reste encore des personnes qui meurent des conséquences de l’évolution de la maladie. Le sida se propage et tue, il faut ouvrir les yeux et arrêter de le nier ! Chaque jour dans notre pays, deux personnes apprennent qu’elles sont séropositives ; chaque mois, six personnes meurent du sida.

Baptiste* a développé un VIH non évolutif, une forme très rare de la maladie qui ne l’oblige pas à prendre de médicaments. Certaines personnes le considèrent alors comme “non malade ”, puisque sans traitement spécifique, et lui reprochent son inactivité professionnelle. Pourtant, pour cet homme, atteint également d’une hépatite C, avoir un emploi est tout bonnement impossible, même si l’envie ne lui manque pas. Le cumul de ses maladies le plonge, au moindre effort, dans un grand état de fatigue. Même si des êtres malveillants ou tout simplement imbéciles le considèrent en santé, Baptiste, lui, a toujours reconnu sa maladie. Il m’explique pourtant connaître de nombreuses personnes HIV qui se mentent à elles-mêmes et esquivent contrôles médicaux et soins. A son avis, apprendre sa séropositivité reste un véritable choc psychologique que chacun gère à sa façon; la peur d’être jugé et rejeté peut expliquer le déni de la maladie.

Y’a de quoi devenir négatif quand on est positif

Même si l’annonce de la maladie à la famille, pour Baptiste, ou aux partenaires, pour Johan, n’a pas été facile, les deux jeunes gens n’ont jamais vraiment caché leur séropositivité. En retour, des réactions marquées par la crainte, parfois même par l’hostilité, ne sont pas rares. A croire parfois que la lutte ne se fait plus contre la maladie, mais contre les personnes elles-mêmes infectées par le HIV ou sidéennes !

Baptiste raconte : « J’aimais bien voir la réaction des gens, quand ils avaient l’air très sûr d’eux. Par exemple, quand j’allais à l’administration…Tu leur lâchais la phrase [j’ai le VIH], ils détournaient le regard et examinaient tous les coins de la pièce, ils n’osaient plus te regarder dans les yeux ». Il ajoute qu’il y a quelques années, il a lui-même fait de la prévention, entre autres dans des collèges secondaires. Il garde en mémoire la fin d’un débat-conférence, dans une aula où trois classes étaient réunies. Une des institutrices qui avait préparé ses élèves à ces discussions sur le sida s’est approchée pour saluer les intervenants. Et là, coup de théâtre ! Cette prof a demandé alors à l’une des participantes atteinte du VIH, s’il existait un risque à lui serrer la main, car elle avait une écorchure à la paume…

La stigmatisation, Johan en a aussi fait les frais. Sa distribution de 4000 rubans rouges dans son ancien lieu de travail avait suscité de la part de quelques-un(e)s a priori et méchancetés. D’ailleurs, il estime que son passé connu de toxicomane et le fait qu’il soit atteint du VIH expliquent quelques discriminations subies dans ce dernier emploi. C’est aussi dans la peine à communiquer au sujet de sa maladie avec ses proches et en particulier avec ses copines, qu’il s’est senti accablé : « la peur du “ va te faire foutre ”, quand tu commences une relation, est bien ancrée ». Un soir, une de ses copines de l’époque vient lui demander si les rumeurs entendues sont véridiques, à savoir si Johan a le sida. Ce dernier lui répond : « J’ai de la chance, je n’ai pas encore le sida… ». Son amie croit alors qu’il est en bonne santé et passe la nuit avec lui. Malaise ! La capote cède et Johan doit expliquer à sa partenaire, en essayant de ne pas être jeté, qu’il est atteint du VIH… Depuis ce jour, il a décidé d’annoncer clairement et directement sa maladie lors d’une relation. Pourtant, il se demande si le fait, punissable par la législation helvétique, de ne pas dire sa maladie à son/sa partenaire sexuel/le ne serait pas aussi un message stigmatisant ? Chaque individu ne reste-t-il pas responsable de son comportement et libre de parler ou non de sa maladie ?

Il existe cependant quelque chose de plus dur que la stigmatisation et les discriminations : la culpabilité. Dans les années 80, Johan ne savait pas que le sida pouvait « s’attraper par la défonce ». Il croit maintenant que pas mal de filles avec qui il est sorti sont devenues séropositives, même si à aucun moment il n’a voulu leur faire de mal et les contaminer. Il lui arrive parfois de retrouver dans les couloirs de Médecine 2, à l’hôpital du CHUV, une amie avec qui il a vécu « quelque chose de très fort ; elle est en train de basculer dans le dernier degré de cette putain de maladie ». Pour lui, c’est là une de ses plus grandes souffrances. Quant à Baptiste, le fait d’être un HIV non évolutif reste difficile à gérer par rapport à d’autres personnes qu’il a connues et qui sont décédées suite au sida. L’interrogation: « Pourquoi eux, mais pas moi ?», reste sans réponse. Un véritable sentiment d’impuissance…

N.B : Aujourd’hui, 1er décembre, c’est la 20ème journée mondiale du Sida : pas de sentiment d’impuissance ! Chacun peut mettre en pratique les slogans connus « Sortir couvert » et « Baiser futé », et surtout faire sien le slogan du jour : « Donner un signal clair contre la discrimination. »

* prénoms fictifs

Florence Métrailler

http://www.aids.ch/f/fragen/zahlen.php

Association Arc-en-Ciel à Renens, aide et soutien aux enfants et familles vivant au contact du VIH/Sida : http://aecsida.ch/

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Florence

2 Responses

  1. Avatar
    FrankProvost
    | Répondre

    Moi qui me fous depuis quelques années des gens qui brandissent le ruban rouge, arguant avec un peu de provoc’ qu’il n’y a pas besoin d’exhiber un grigri pour être “contre le sida”, je te remercie, par cet article cinglant, engagé et magnifiquement écrit, de me rappeler qu’il s’agit, par des petits gestes tels que celui que je raillais, de propager un message bien plus nuancé et fondamental que ce que ma vanne (me) laissait penser: celui de la solidarité affichée et du rappel que la lutte n’est pas terminée. Merci Florence, tu claques.

  2. Avatar
    Safran
    | Répondre

    c’est net que tu claques Florence, tu as le pouvoir des mots!
    je vais me procurer un ruban rouge et le porter tous les jours, au diable les dates “officielles”, il n’y pas de moment meilleur qu’un autre pour s’engager et l’afficher!

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