Shai Carmeli Pollak : Ich bin ein Bil’iner

Posté dans : Politique 3
Observatrice des droits humains en Palestine, avec Peace Watch Swizerland, je me suis rendue, le temps d'un après-midi, de l'autre côté du mur. Direction Tel-Aviv, pour une rencontre avec Shai Carmeli Pollak, cinéaste israélien et militant du groupe « Anarchist against the Wall ».

Comme tout « bon Israélien », Shai Carmeli Pollak a fait son service militaire de trois ans. Des études en vidéo-cinéma à Tel Aviv, il est plutôt « films-fiction » que « films-contestation ». Puis, c’est la conversion. Il explique : « Après la deuxième Intifada, j’ai eu un changement dans ma direction artistique. J’ai pris conscience que si les Palestiniens descendaient dans la rue, c’était à cause de toutes les injustices que nous leur avions fait subir ». C’est ainsi que Shai décide de s’immerger dans la réalité palestinienne et de se lancer dans la création de documentaires engagés.

Pendant plus d’un an, du bout de sa caméra, il suit la lutte pacifique menée dans le village palestinien de Bil’in. Il y filme les arrestations en pleine nuit menées par l’armée israélienne ainsi que les paysans qui perdent leurs terres, au profit du mur et de la colonie juive Modi’in Elite. En ressort un documentaire poignant : « Bil’in Habibti » (Bil’in mon amour). Un film sur le vif qui sera présenté dans de nombreux festivals cinématographiques, comme au Festival Visions du Réel à Nyon en 2007, et qui recevra prix et éloges. En décembre dernier, Shai présentait à Lausanne (à l’espace auto-géré) et à Genève (à la Biennale de l’image en mouvement) sa dernière réalisation : « Adieu Bassem. Chronique d’une mort annoncée ». Un court-métrage coup de poing qui montre la mort d’un jeune pacifiste, Bassem, tué par les soldats du Tsahal lors de la manifestation hebdomadaire à Bil’in.

J’ai repensé aux films visionnés en Suisse en constatant, sur place, qu’en général les Israéliens ne veulent rien savoir de la répression contre les Palestiniens. Shai Pollak m’apparaît comme une exception. Ce réalisateur accepte un entretien pour évoquer la résistance et la paix, deux notions qui semblent souvent ne plus avoir leur place en Terre (pas si) Sainte. Bien installés sur une terrasse, à côté de son appartement, il commence à me parler de Bil’in.

Bil’in ou le village de la résistance

« Lors de la construction du Mur en 2003, des hectares de terres palestiniennes sont détruits ou se retrouvent intégrés dans la zone « israélienne ». Face aux arrachages d’oliviers et aux confiscations des parcelles agricoles, plusieurs villages de Cisjordanie commencent à manifester. La répression militaire ne se fait pas attendre. Les arrestations des manifestants par l’armée israélienne ont découragé plus d’un à prendre part à la résistance. En 2005, seul le village de Bil’in continue, de façon hebdomadaire, à manifester » explique le cinéaste.

Pour Shai, Bil’in trouve sa force dans son comité populaire, « une structure démocratique, où seuls les habitants décident des actions à mener ». Un comité qui s’est surtout fait connaître par ses actions directes et ses initiatives artistiques et symboliques. Attachés à des oliviers, enchaînés sur des barils  placés sur la route ou encore déguisés en Avatar, les manifestants ne manquent pas de créativité. Ce village de 1’600 habitants, situé près de Ramallah, peut aussi compter sur la présence de nombreux militants israéliens et internationaux (comme les Prix Nobel de la paix Desmond Tutu et Jimmy Carter). Une présence qui, selon Shai, change la donne : « Sans ce soutien extérieur, les manifestations seraient nettement plus risquées pour les Palestiniens. La violence duTsahal serait encore plus forte ».

Malgré tout, l’armée continue d’opérer des raids nocturnes dans le village. « Elle évoque des raisons de sécurité pour intervenir. Or, elle vient surtout pour casser la résistance. Dernièrement, les soldats débarquaient à Bil’in deux fois par semaine, lançaient des bombes sonores dans des maisons et arrêtaient des habitants ». Deux leaders du mouvement ont d’ailleurs été mis en prison, l’un d’entre eux étant accusé de détenir des armes dans sa maison. « Les seules armes qu’il possède sont celles qu’il a collectées après les manifestations comme preuves des violences de l’armée! Ce sont les bombes sonores usagées, lancées par des soldats israéliens! » s’indigne le réalisateur.

Depuis le mois de mars, Bil’in est décrété « zone militaire » par le gouvernement de Netanyahou. Les manifestations y sont donc à présent formellement interdites, sous peine que le Tsahal ouvre le feu. Pourtant, Shai reste confiant : « La résistance n’est pas cassée à Bil’in. Au contraire, elle prend de plus en plus de place, même si les conditions sont de plus en plus difficiles. Les actions non-violentes des villageois continuent et continueront.» [1]

Tel Aviv : une ville déconnectée de la réalité

Il y a quatre ans, Shai présente « Bil’in mon amour » au Jerusalem Film Festival et reçoit le prix du meilleur documentaire. Cette projection suscite l’étonnement de nombreuses personnes du public. Alors qu’elles croyaient connaître la situation en territoires occupés, elles découvrent une autre réalité… qu’elles ignoraient. « Le problème c’est que la vie à Tel Aviv est complètement déconnectée de ce qui se passe à quelques kilomètres. On ne se sent pas concerné par l’occupation, puisqu’on ne la considère pas. On préfère ne rien en savoir» répond le cinéaste. Il ajoute : « Même si certains Israéliens n’approuvent pas mes films, ils montrent en général de l’empathie. C’est difficile pour eux. Beaucoup sont d’accord que je les montre en Israël, mais pas en dehors de nos frontières. Il y a cette peur qu’on favorise l’antisémitisme avec de telles projections. Pour ma part, je ne pense pas qu’un antisémite attend de voir mes films pour le devenir. Moi, ce qui m’inquiète, c’est l’avenir de la Palestine et d’Israël ».

« J’ai plus confiance aux mouvements civils »

Avec calme et conviction, Shai m’explique sa vision de la paix : « Les politiciens israéliens disent souvent : « Nous voulons la paix !», mais ça signifie une paix sous les lois israéliennes, sans considération du peuple palestinien. Pour moi, il faut d’abord que l’occupation cesse, qu’il y ait enfin justice et liberté, après nous pourrons parler de processus de paix. Les droits humains sont sans cesse bafoués par Israël sans que les gouvernements officiels ne bougent le petit doigt. Personnellement, j’ai plus confiance aux mouvements civils. Le boycott c’est ce que nous pouvons faire pour susciter un changement. D’ailleurs, le boycott culturel est en marche. Par exemple, Elvis Costello ou Santana ont décidé d’annuler leur concert en Israël ». Il relève aussi le fait que de plus en plus d’Israéliens émettent des auto-critiques et désirent vivre dans une vraie dignité. « Même si c’est une minorité, elle existe » dit-il. 

Avant d’aller récupérer son chien qui s’est enfui dans la ruelle d’à côté et de m’indiquer quels quartiers de Tel Aviv il faut que je visite, il me lance : « Aujourd’hui je continue d’espérer en un processus de paix viable, mais tu sais… c’est dur d’y croire ».  

 


[1]             Il y a deux ans, les protestations ininterrompues de Bil’in ont poussé la Cour suprême d’ordonner au gouvernement israélien de changer le tracé du mur. En théorie, les villageois auraient dû récupérer une partie des 2’600 hectares volés. Pour l’instant, rien n’a encore changé.

Florence Métrailler

3 Responses

  1. Avatar
    LeeneandCo
    | Répondre

    Et pourtant, il faut y croire!
    Merci pour cet article vraiment intéressant et plein d’espérance. 
    Si de plus en plus d’Israéliens, comme Shai, ouvrent les yeux, 
    on peut espérer en des jours meilleurs. 
    Si ce réalisateur revient en Suisse,
    est-ce que le LBB pourrait nous en informer ?

  2. Avatar
    Régis
    | Répondre

    Excellent cet article! En plus, il me permet effectivement de retrouver un brin voire une lueur d’espoir..Vraiment cool.

  3. Avatar
    Falastin
    | Répondre

    Ce jeudi (14 octobre), Soirée Solidarité avec les résistants pacifiques de Bil’in, organisée par l’Espace autogéré, rue César-Roux 30 à Lausanne. 

    Programme: dès 20h00: repas, suivi de la projection du film « Bil’in mon amour » du réalisateur israélien Shaï Pollack, des Anarchists against the Wall.

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