Sally Mann, sa famille, sa terre

Posté dans : Culture 1
En ce moment au musée de l’Elysée, l’œuvre de l’Américaine Sally Mann nous propose une plongée dans l’intimité de ses souvenirs et de ses questionnements. Une exposition choquante, trop intime, trop naturelle, trop belle, qui ne laisse en aucun cas indifférent.

Une fois à l’entrée de l’exposition, une première image nous accueille : un cliché d’Emmett (noir et blanc, comme l’ensemble des clichés), le fils de l’artiste, alors encore enfant, posant nu dans l’eau, le regard défiant ; de l’autre côté de la porte d’entrée repose une citation, un sermon sur la mort. Malgré cet avertissement, rassurez-vous, nul besoin ici de laisser votre espérance aux vestiaires, le voyage qui vous attend au-delà de cette porte n’a de commun avec l’enfer que sa poésie et son regard troublant sur la mort.

Une fois la porte franchie – et passée la légère déception de ne voir aucun poète surgir d’entre les morts pour nous guider – l’exposition débute avec la série intitulée Immediate Family, photographiée sur un espace d’une dizaine d’années durant la jeunesse des trois enfants de Sally Mann (Emmett, Jessie et Virginia).  Au travers de cette première série, la photographe nous fait partager sa vision de ses enfants, alors encore des ébauches d’adultes, mais qui semblent afficher des traits d’une maturité troublante, parfois choquante. Les poses choisies, le nu, la fausse cigarette, le flirt avec l’idée de la mort et une certaine sévérité dans le regard des enfants sont évidemment voulus, mais on ne peut s’empêcher d’être à la fois émerveillé et mal à l’aise devant ces clichés qui semblent vouloir tordre la temporalité, mêlant l’insouciance et la gravité avec une beauté dérangeante.

Au même étage, les séries Deep South et Virginia nous exposent des paysages du Sud des Etats-Unis, véhiculant toujours cette impression d’accéder à un sanctuaire interdit, de se promener dans les recoins de la mémoire d’une inconnue. Il faut dire que Sally Mann ne travaille pas en numérique, point de retouches photoshopesques et autres ajustements numériques post-prod. L’Américaine se trimbale un antique appareil du 19ème qui est en partie responsable de ce rendu si organique et ce sont, entre autres, ces imperfections qui donnent cette touche particulière à son travail qui saisit le spectateur et l’immerge impunément dans l’ambiance des clichés. Sans cette fine détérioration de l’image, il est possible que ces mêmes photos aient pu paraître trop romantiques, ou même kitsch, mais le procédé leur confère des allures de reliques et les voile d’une sorte de fragilité qui nous pousse à chuchoter à leurs abords, de peur qu’elles ne s’effondrent et s’en retournent dans les souvenirs de la photographe.

Ces premières rencontres passées, le périple continue dans les hauteurs du musée, qui accueille les séries What Remains et Faces, peut-être les plus troublantes de l’exposition ; l’artiste partage ici ses questionnements sur la mort et l’oubli. Faces nous fait retrouver les visages des enfants de Sally Mann, adultes, s’affichant sur d’immenses portraits, flous, griffés, déchirés et quasiment indifférentiables les uns des autres (rendu obtenu grâce au procédé du collodion humide). Avec ces visages qui semblent surgir de mémoires perdues, Sally Mann ravive là encore chez le spectateur l’impression de jouer avec la temporalité en imaginant une fuite prématurée dans l’oubli du visage de ses enfants. Portée par ce même ton, la série What Remains envisage la mort sous l’aspect dérangeant de clichés pris dans une “Body Farm” dans le Tennessee, étrange lieu où des cadavres étaient laissés à la décomposition dans la nature à des fins médicales Bien qu’évidemment quelque peu macabre, cette série conclut l’épopée intimiste de l’exposition sur notre rapport à notre corps et à notre mortalité avec des photos qui peuvent certes choquer, mais qui ont le mérite de nous confronter à ces thématiques avec une sorte de douce indécence qui force à la réflexion.

En conclusion, les mots ne pouvant dignement remplacer l’expérience, je ne peux conclure qu’en vous encourageant à vivre par vous-mêmes le voyage dans les méandres de l’enfer sublime et déconcertant de Sally Mann, dont le musée de l’Elysée nous ouvre gracieusement les portes jusqu’au 6 juin de cette année.

Pour tous les détails pratiques :
www.elysee.ch
Entrée 8.- (moitié prix pour les étudiants)
(et si vous en avez le temps, ne manquez pas le reportage dédié à Sally Mann diffusé au sous-sol du musée)

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Yann Schrag

  1. Avatar
    corto
    | Répondre

    C’est vrai que ce musée est réputé pour la qualité de ses expos, celle-ci en particulier fait vraiment envie. Ta présentation y contribue largement.
    Je crois savoir qu’une expo sur les polaroïds a lieu en même temps?

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