Retour de Bondy

Posté dans : Société 5
"La différence entre une démocratie et une dictature, c’est qu’en démocratie tu votes avant d’obéir aux ordres." Charles Bukowski

Paris, arrêt Haussman St-Lazare, quai 51. Accompagné de Mehdi, l’initiateur du Lausanne Bondy Blog – dont je salue ici l’initiative, et la belle aventure humaine et journalistique qui a suivi – je m’engouffre dans le RER E. Magenta, Pantin, Noisy, Bondy. En un petit bond et quelques minutes, nous voici dans la ville qui a vu naître le premier blog éponyme en 2005.

 

Nous débouchons sur la place du marché sous un soleil généreux. Il est presque midi. Les marchands sont encore là mais il va bientôt falloir remballer. C’est le moment des bonnes affaires. L’animation bat son plein.

Nous nous installons à deux pas, à la terrasse du Murat. Le temps d’un instant, nous sommes spectateurs. Autour de nous, les discussions sont vives et amicales, l’ambiance agréable. Je commande un renversé. Un quoi ? Un café au lait quoi…

Mehdi triture son Natel, Idir débarque. Grand, veste en velours bleu marine, quelques cheveux gris. Peu après, il est suivi de Mohamed, qui traîne un cabas duquel on voit affleurer le Libé du jour. Deux rédacteurs du Bondyblog. Mohamed est présent depuis les débuts, Idir a commencé à écrire peu après, en juin 2006. Tous deux sont bien occupés, Idir par son boulot à LCI – le bondyblog ca t’ouvre des portes mon pote – Mohamed par ses nombreuses casquettes – professeur, metteur en scène, producteur, musicien.

Plutôt calme Bondy je dis, un faux air naïf, l’œil posé sur le monumental rond-point garni de fleurs, entretenu minutieusement. C’est qu’il y plusieurs Bondys, un dans lequel l’ambiance est pavillonnaire, un autre où les barres d’immeubles rendent la vie plus âpre mais c’est quand même pas Clichy tu vois.

Et les gens, ils réagissent à la politique de Sarkozy ? Je relance, assez curieux. Mohamed s’anime. Le sentiment qui domine, c’est l’apathie. Les scandales se succèdent, ça fait quelques lignes dans les journaux et rien ne change. T’as un mec du gouvernement qui peut insulter ouvertement toute une frange de population et il reste en place. Ici c’est la survie, et quand tu survis, tu n’as pas le temps de te battre.

Je me demande d’ailleurs jusqu’à quel point la population de Bondy – et d’ailleurs – s’intéresse à ces scandales. Sont-ils même au courant ? Pour la plupart, j’en doute. Ce qui compte, c’est le quotidien. Mais les mots rejoignent parfois bien trop vite la réalité.

Mohamed nous quitte et nous nous dirigeons vers la maison d’Idir à quelques centaines de mètres de là. Toute la famille nous accueille chaleureusement. Seul le père est absent, il est au bled. Une chorba (soupe algérienne ndlr) et un smoussie (sic) à l’orange plus loin – et après avoir salué les poules d’Idir qui picorent dans le jardin, derrière la maison – je demande à aller voir Bondy nord. “Quoi, tu veux aller au Mordor ?” me lance Idir. Il a un humour caustique, que j’aime beaucoup, le genre d’humour qui déteste le politiquement correct, un humour brut, franc, qui contient toute la violence des relations sociales, qui ressort ainsi, presque inoffensive, débarrassée de son aspect mortifiant, dans toute sa splendeur pathétique.

Nous voilà donc à bord de la petite Ford surchauffée du beau-frère d’Idir. En route pour le Mordor – surnom donné par certains bondynois aux cités du nord (terre peu hospitalière du Seigneur des anneaux ndlr).

Un pont arqué nous masque la vue. Une fois franchi, frontière symbolique, on entre dans les quartiers les plus pauvres de Bondy. Les rues sont plutôt désertes, quelques groupes ça et là, surtout des jeunes ou des passants pressés. On est presque dans le cliché. J’aimerais m’attarder mais je ne suis pas seul. Il faut filer. Le safari vous a plu ? Comme un sentiment d’inachevé. Et si c’était cela le drame des banlieues ? Cette opacité si difficile à dissiper. J’y retournerai. Seul.

Il nous faut aller à Paris rencontrer Antoine Menuisier, le rédac’ chef du Bondyblog. Idir nous accompagne. Nous passons par Gare du Nord. Au milieu de la foule bigarrée se dresse une enseigne criarde et interlope : ‘Saveurs d’Auvergne’. Hortefeux, sors de ce corps !

Bondy c’est déjà fini, cela n’aura duré que quelques heures. J’y reviendrai. Mais il y a du boulot à Vernier. La banlieue n’est pas une spécialité française. Alors, au boulot.

Samuel Dix-Neuf

5 Responses

  1. Avatar
    bondynoise
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    “Je me demande d’ailleurs jusqu’ à quel point la population de Bondy-et d’ailleurs-s’intéresse à ces scandales? Sont-ils même au courant? Pour la plupart, j’en doute.”

    C’est à prendre au second degré, j’espère.Je n’arrive pas à croire que vous puissiez vous poser de telles questions sans rien connaître de la ville. Vos paroles expriment un certain mépris, à l’égard des Bondynois. Vous avez “visité” Bondy au pas de charge et votre impression ne reflète pas la réalité.

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      lie
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      Alo Bondynoise, vous ici ?
      Son impression, un peu rapide à vos yeux, est justifiée par rapport au constat de Mohamed Hamidi que je partage tout à fait : “Mohamed s’anime. Le sentiment qui domine, c’est l’apathie. Les scandales se succèdent, ça fait quelques lignes dans les journaux et rien ne change. T’as un mec du gouvernement qui peut insulter ouvertement toute une frange de population et il reste en place. Ici c’est la survie, et quand tu survis, tu n’as pas le temps de te battre.”

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      Samuel Dixneuf
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      Chèr(e) bondynoise,

      Ni premier, ni second degré ici. Et qu’est-ce que la réalité, si ce n’est la somme des subjectivités ?

      Ce qu’ont omis de signaler ceux ou celles qui ont gracieusement reposté ma prose ici, c’est que ce texte est “Un récit subjectif de notre virée bondynoise“. Voir sur le VBB.

      D’autre part, je n’attaque par les bondynois -cette manie de se recroqueviller sur son fief- je dis : “la population de Bondy -et d’ailleurs-” (Paris, Genève, Oslo, Ouagadougou etc. peu importe). J’avance une hypothèse. J’affirme, sans pouvoir le prouver formellement -mais des études, montrant qu’Internet n’est pas plus la voix du peuple que les journaux classiques, comme on aime à le croire (http://novovision.fr/?Internet-est-il-la-voix-du-peuple) viennent étayer mon intuition- j’affirme donc que la grande majorité de la population n’a qu’une vague connaissance de ce qui se passe dans le monde politico-economico-mediatique. Parce qu’elle n’a pas le temps -ou l’envie, ou le besoin, ou les moyens- de s’informer et que ce qui importe aux journalistes, chercheurs ou autres sociologues est parfois assez éloigné de ce que pense et veut la majorité (silencieuse).

      Bien à vous,

      S.

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    bondynoise
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    Samuel Dix-Neuf,

    Merci de me donner les éléments manquants.  Le titre avait son importance. J’avais fait lire votre article à des Bondynois et ils avaient mal réagi. Le 93 est le département mal aimé et son image est ternie depuis les évènements de 2005. Quand le metteur en scène, Daniel Benoin,  fait dire au comédien Michel Boujenah, dans la pièce de théâtre, l’argent des autres (jouée à Nice actuellement), que  le 9-3 est” le coin le plus merdique “,  la  Séquano-Dyonisienne ,que je suis, ne peut rester de marbre face à une telle remarque. 
    Bonne journée.

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      Samuel Dixneuf
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      Je suis de tout coeur avec vous contre les stigmatisations en tout genre ! Je ne connais pas le contexte de la réplique de Boujenah ni la teneur de la pièce dont vous parlez, je ne prendrai donc pas position. Quoiqu’il en soit, je suis décidé à retourner à Bondy et dans le 9-3 car il y a bcp à voir et à apprendre.
      Au plaisir de vous y recontrer.

      S.

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