En premier, c’est une gare. Vallorbe-Lausanne. Voie 9, pas 3/4. Combien d’aller-retour ? J’ai perdu le compte au fil du temps. Il y a eu nos sorties en club, dans des bars, tant de cigarettes fumées au Lapin Vert. Nos rires avides du monde et toute une mélancolie quand je revois ces photos de Debbie prises sur l’esplanade de la cathédrale. A la découverte de la ville et de la vie se mêlait un goût d’interdit et de vodka cranberry.
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2006 – 2010
Après la gare, Lausanne c’est l’avenue Louis-Ruchonnet ou le bus 3. Direction l’Eracom, un jour par semaine. Les copains de cours avec qui on prend des purikura à la borgne de la salle d’arcade, les mercredis qui s’éternisent au Freeport ou aux Brasseurs. Nos vendredis ou samedis où, sans même plus le préciser, nous nous retrouvons à la Blatte pour refaire le monde entre deux caresses à Biscotte.
A cette époque, je pensais qu’un jour je vivrais à Lausanne avec Jay. On voulait un appartement avec des murs blancs, des tableaux, un tourne-disque et des plantes. Je l’imagine serveur à La Coccinelle chaque fois que je passe devant le café. Le plan était simple, gagner suffisamment pour avoir le temps d’écrire et dessiner. Vivre d’amour et d’eau fraîche, on ne peut pas vivre que d’amour et d’eau fraîche, répétait ma mère. Le temps lui a donné raison.
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2010 – 2012
Je suis partie de la maison maternelle, mais Lausanne était impossible à envisager. J’ai choisi Vevey, le train toujours, voie 3 cette fois, et puis du bleu à s’en noyer. Pour échapper à la détresse j’aurai signé n’importe où. On sortait au Loft café, au D!, à la Ruche. Parcours classique. Nuit balisée. Lit inconnu. Parfois un peu de sang sur mes genoux, saleté de pavé.
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Lausanne est devenue ma musique nocturne. Douce et frénétique. Mais de ces voyages au bout de la nuit on finit toujours par revenir. Au petit matin, plus tardivement dans la journée, avec des bleus parfois ou l’odeur des autres sur la peau. A dormir à gauche, à droite, la ville est progressivement cartographiée, quartier par quartier.
Et puis, il y a eu des cours du soir à Provence. Des vendredis après-midi clandestins au parc de Montbenon puis au bord du lac. Des tentatives de révision au Palais de Rumine. La célébration de notre réussite fin juin et Lausanne dans la douceur de l’été et la fumée des barbecues.
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2012 – 2017
Rentrée universitaire. Le M1 dépasse l’arrêt Provence. J’ai des cours dans l’auditoire où j’ai eu ma remise de CFC. J’apprivoise les dédales de l’Anthropole. Mes soirées se passent au milieu des livres à la bibliothèque dans une solitude studieuse. Le bureau du journal devient une seconde maison où nos affaires s’emmêlent et traînent. Le temps hors du campus est aboli. En marge de la ville, la vie aurait pu continuer comme ça toujours.
Trois ans plus tard, le monde vous rappelle à lui, même si les études ne sont pas bouclées. Qu’importe. On sait désormais que la vie est désordre. Entre Vevey, la Sallaz et Dorigny, un étrange équilibre s’installe. Ce n’est pas une vie professionnelle, ce n’est plus une vie étudiante. Ce n’est pas une vie adulte, ce n’est plus une vie d’enfant. Dans le flou, une forme se dessine.
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« Une ville, cela se peuple », a écrit Mathilde. « Je rencontre du monde, j’en perds. », a constaté Alex. Il y a des croisements, des frôlements, des hasards. Une géographie définie en fonction d’un cercle social qui tend à se fixer avec le temps. Aux carrefours, le présent et le passé se superposent sans se confondre. Les lieux sont marqués par nos passages. Devant nous se rejouent des disputes. C’est ici qu’on s’est dit au revoir. C’est le long de cette rue qu’on s’est donné la main en silence dans la nuit. C’est ici qu’on a fait une photo où nous rions tous aux éclats. C’est cette avenue qu’on a descendue en caddie. On a fait l’amour dans cet immeuble. On a senti notre cœur battre dans cette ville et se mêler à une vaste sensation collective.
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