Petite histoire d’une version inédite du Coran

Posté dans : Société 2
Lausanne, ville Suisse, pays chrétien, a vu naître une traduction unique et innovatrice du Coran et la plus grande bilbliothèque européenne en matière de droit arabo-musulman. Le LausannBondyBlog raconte.

Monsieur Sami Aldeeb Abu-Salieh, responsable du droit arabo-musulman à l’Institut suisse de droit comparé de Lausanne, a entrepris de traduire le Coran en français. Des traductions françaises, il en existait déjà me direz-vous ! Mais celle-ci est une première mondiale. C’est la seule version du Coran en ordre chronologique sur le marché, toutes langues confondues. Qu’est-ce que ça veut dire ? L’édition du Coran qui circule actuellement parmi les musulmans classe les 114 chapitres du livre par ordre de longueur, les plus longs au début et les plus courts à la fin. On ne sait apparemment pas vraiment pourquoi, en tous cas ça ne facilite pas sa lecture pour les non-initiés… Au-delà de ça, de voyages en voyages à la recherche d’ouvrages de droit de toutes nationalités, Sami Aldeeb a contribué à constituer à Lausanne la plus grande bibliothèque européenne traitant du droit dans les pays arabes et musulmans. Qui est cet homme et pourquoi cette nouvelle traduction du Coran ? 

Il était une fois Sami Albeeb, Lausannois, chrétien, d’origine palestinienne. Il a grandi en Cisjordanie dans un village à majorité chrétienne, entouré de 80 autres villages musulmans. Cette religion voisine suscite forcément sa curiosité et fait finalement partie intégrante de sa propre culture. C’est pour ça qu’à l’adolescence, il s’achète un Coran qu’il lit, et auquel il ne comprend rien. Il retentera l’expérience plusieurs fois sans grand succès, jusqu’au jour où un professeur égyptien lui explique que les chapitres ne sont pas dans l’ordre chronologique et que cela faciliterait grandement sa compréhension. C’est donc dans cette optique qu’il décide de toucher à l’intouchable. En effet, personne avant lui n’a osé changer l’ordre de ce texte sacré.

D’autres auraient pu le faire, mais personne ne l’a fait. En effet, il existe une classification des chapitres en ordre chronologique faite par l’Université islamique Al-Azhar au Caire, le centre islamique le plus important dans le monde. Il suffisait donc de suivre cette classification, mais la peur de la controverse a certainement joué un rôle dans cette inébranlabilité. Aucune autre version ne mentionne non plus les variantes du Coran pourtant acceptées par les autorités religieuses musulmanes. Plus de la moitié des versets du Coran auraient subi des variantes changeant parfois complètement le sens de certains mots, mais elles n’ont pas été publiées et restent du domaine des spécialistes. Finalement, aucune autre version n’indique les ressemblances entre certains passages du Coran et les écrits juifs et chrétiens antérieurs. Il a fallu 5 ans a Sami Aldeeb pour réunir toutes ces informations en un seul et même ouvrage qui, avant d’être publié, s’est confronté à plus de 40 refus d’éditeurs belges, français et suisses.

L’ordre chronologique met en évidence le fait que le Coran contient une première partie plutôt pacifique et une deuxième plutôt guerrière. Dans cette seconde partie, le texte devient politique et juridique, ce qui n’était pas le cas de la première plus poétique. Certains passages semblent alors contradictoires, mais en les lisant dans cet ordre, on comprend qu’il s’agit en fait d’une évolution dans le temps. Il faut savoir que la révélation reçue par Mahomet s’est déroulée sur une période de 22 ans. Cette traduction facilite donc la lecture des textes et permet de voir l’évolution de la pensée religieuse, juridique et politique de Mahomet. Tout comme les références aux textes juifs et chrétiens permettent de voir l’évolution entre la communauté musulmane naissante et les communautés religieuses qui existaient déjà.

C’est en se référant à une vingtaine d’autres traductions existantes, n’allant jamais à l’encontre de ce qui est admis par les autorités musulmanes et dans le respect de tout ce que représente le Coran dans l’Islam que Sami Aldeeb a effectué ce travail. Pour ne pas heurter les croyances des musulmans, il a même ajouté une table des matières indiquant l’ordre normal des chapitres. De cette façon, le lecteur est libre de le lire dans l’ordre canonique habituel ou dans l’ordre chronologique. L’idée était à la fois de pouvoir l’utiliser comme instrument de travail, de recherche, et de le rendre accessible à tous, d’où la vingtaine de pages explicatives au début de l’ouvrage. “Nous cohabitons et nous devons nous comprendre les uns les autres. Nous devons comprendre le message des uns et des autres”, s’exprime-t-il dans une interview télévisée disponible sur son site internet. Il ajoute que “mélanger les cultures, avoir accès les uns aux autres, aux connaissances des uns et des autres, aux textes sacrés des uns et des autres ne fera, espérons-le, que rendre la cohabitation plus pacifique et plus agréable”. Discours qui ne devrait pas tomber dans l’oreille d’un sourd par les temps qui courent ! Lire et s’intéresser aux différents textes sacrés qui sont au fondement de bon nombre de normes régissant chaque société est peut-être un début pour pouvoir terminer par : ils cohabitèrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.

The end

www.sami-aldeeb.com

Cristina

2 Responses

  1. Avatar
    Rose
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     Article passionnant! Voilà le genre de choses que j’ignorais et que j’aime apprendre. Quant à l’étude des textes sacrés d’origine: c’est certainement une étape vers la tolérance et l’acceptation de la différence d’autrui, ceci dit je ne peux personnellement envisager une pensée que libérée de tout dogme, ce que sont loin d’enseigner les religions, quelles qu’elles soient. Ce point de vue n’engage évidemment que moi.

    • Avatar
      cristina_sanchez
      | Répondre

      Merci beaucoup Rose. J’avoue que j’ai appris plein de trucs en écrivant cet article ! Sinon je suis d’accord avec toi, je préfère envisager une pensée libérée de tout dogme. Mais les ignorer me semble bien difficile, ils sont ancrés quelque part. Selon moi il faut les comprendre pour pouvoir s’en libérer, relativiser, prendre du recul ! Encore faut-il le vouloir..

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