Paroles de requérant d’asile

Posté dans : Politique 8
Accélération des renvois, centres d’accueil fermés et surchargés, la situation des requérants d’asile est en passe d’exploser. Récit de mes deux mois d’enquête au Service de la population et dans les centres de requérants.

Tout débute au mois de septembre et mes premières rencontres avec Moussa*, jeune requérant Afghan de 28 ans, Hassan*, 30 ans, du Sénégal et Diope*, 43 ans, d’Erythrée. 12 semaines pendant lesquelles nous nous sommes vus, pendant lesquelles j’ai pu partager leur quotidien, tenter au mieux l’immersion dans leur réalité. Deux mois qui m’ont permis de voir évoluer la situation, de dormir dans les centres et de recueillir les témoignages. Diope n’est malheureusement plus là pour en parler. Un mois après sa dernière audition au Service de la Population, il vient d’être renvoyé. Je l’ai accompagné pour son dernier voyage…… à l’aéroport de Genève Cointrin sous escorte policière. Hassan n’a plus donné signe de vie. Il est sur le départ. Moussa, lui, est toujours là. Il s’accroche tant bien que mal. Difficile quand tout est fait pour vous faire partir. Originaire de Kaboul, il a vécu plusieurs drames dans sa vie, dont le dernier se joue ici, en Suisse. Témoignage.

Farouche opposant au régime Taliban, Moussa fait d’abord deux ans de prison en Afghanistan. Menacé, il décide de tenter sa chance à l’étranger. La Suisse ? Une destination comme une autre. Cela aurait pu être l’Allemagne, la France, l’Italie ou la Grande-Bretagne. Moyennant 15’000$ pour son passeur, c’est en juillet 2004 qu’il quitte la capitale afghane pour Genève ; un périple à hauts risques vers l’Occident. Première étape : Karachi au Pakistan. Un faux passeport et un faux visa en poche, ils prennent l’avion pour Dubaï, le temps de faire une pause pour quelques jours et prendre des forces. La destination finale, Moussa ne la connaît pas : « C’est le passeur qui décide » explique-t-il. Ca sera Genève. Les trois premières nuits se font à l’hôtel, avec le passeur : « Le dernier jour, mon passeur me montre Vallorbe (la petite ville héberge l’un des centres d’accueil pour requérants) et m’explique comment faire ma demande d’asile. Depuis, on ne s’est plus vus. »

Il ne le sait pas encore, mais ses démarches vont être un véritable parcours du combattant. Un combat qu’il est en train de perdre, 4 ans et demi après son arrivée. Les poches vides, aucune connaissance de la langue, Moussa passe une nuit au centre de Vallorbe avant d’être transféré à Chiasso, au Tessin où il passera 3 semaines. Puis ça sera Sainte-Croix, Crissier, Chavannes, Vennes, Simplon. Autant de centres qu’il écumera pendant un an et demi pour des séjours de plus ou moins longue durée.

L’intégration se fait véritablement à Sainte-Croix : « Il y avait trois heures de cours de français par semaine, explique Moussa. Ce n’est malheureusement pas suffisant. » Il demande donc à son assistant social de venir à Lausanne pour y suivre des cours supplémentaires : « A Lausanne, je prenais des cours intensifs de français mais j’ai surtout rencontré d’autres Afghans. Après 6 mois en Suisse, cela m’a vraiment fait du bien de pouvoir tisser un réseau social. » C’est également dans la capitale vaudoise qu’il entreprend de rechercher un travail.

Parallèlement, les renvois s’enchaînent.  Les centres en profitent pour fermer, gonflant les effectifs des structures encore ouvertes. Moussa y est confronté tous les jours, jusqu’à ce jour de février 2006 où il décroche un boulot. En qualité de manutentionnaire dans une grande entreprise de la Riviera vaudoise, il gagne 3850 francs (2500 euros): « Dès que j’ai pu trouver un travail, j’ai pu avoir mon appartement. » Il y travaillera deux ans. Entre temps, la nouvelle loi sur l’asile entre en vigueur.

Il y a trois mois, la nouvelle tombe : « Vous devez quitter la Suisse dans 10 jours. » Quatre ans et demi d’intégration ruinée. Menacé dans son pays d’origine, Moussa ne peut être renvoyé : « J’ai dû annoncer ma situation à mon patron. Il était sous le choc. Mais il ne peut rien faire. Tout ce qu’il sait, c‘est qu’il n’engagera plus de personnel au bénéfice d’un permis N. Trop instable. »

Le jour de l’expulsion, il travaille encore, puis c’est la dépression : « Hier encore j’étais autonome. Le lendemain, je dois tout recommencer à zéro. Son permis de travail retiré, il perd son appartement. En 24 heures, il passe du statut de travailleur à celui de clandestin. Exit les 3850 francs de salaire, le jeune Afghan bénéficie désormais de l’aide d’urgence offerte par l’EVAM : 280 francs (186 euros) par mois pour se nourrir et vivre. Une véritable incitation à la délinquance : «Quand t’es dans cette situation, on peut te proposer n’importe quoi pour vivre, tu le fais. »

Fin septembre, le jeune Afghan fait parvenir son dossier de recours à Berne. La décision de renvoi est suspendue, son interdiction de travailler maintenue, jusqu’à quand ? « Le système te coupe toutes perspectives d’avenir. Impossible d’avancer. » Moussa fera au mieux. Récemment, il vient de décrocher un travail au noir dans un resto. Trois semaines de formation à plein temps non payées plus tard, il peut désormais faire une quinzaine d’heures par semaine. Un boulot à l’appel payé 10 francs de l’heure (7 euros). Le patron, lui, ne lui a pas posé de questions sur son statut. Il a pris le risque, Moussa aussi. Sans assurances, pas de défenses. Le jeune homme le sait.

Mehdi Atmani

*Prénoms fictifs

Mehdi

8 Responses

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    Anonyme
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    Vu de l’extérieur, cet article confirme pas mal d’idées sur la politique de la Suisse en matière d’asile. La France n’est pas mieux non plus. Dieu sait ce que Sarko nous prépare.

    Très bon article en tout cas et courage à Moussa

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      romuald
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      En France, c’est l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides) qui est chargé des dossiers de demandes d’asile notamment.

      Lorsque l’OFPRA rejette une demande d’asile, il est possible pour le demandeur d’asile de réclamer à ce que l’OFPRA reconsidère sa décision (recours grâcieux) ou de demander à passer devant une commission d’appel (cour nationale du droit d’asile) où, en français et appuyé par un avocat, il doit prouver qu’un éventuel retour forcé serait une menace pour lui.
      Ensuite enquêtes sont menées auprès des ambassades etc.

      Concernant l’entrée des clandestins en provenance d’un pays en guerre, je puis témoigner (je bosse en frontière aérienne à Roissy) que le procureur est systématiquement averti, et qu’il décide généralement de ne pas renvoyer dans son pays en guerre une personne en situation irrégulière (détentrice d’un passeport falsifié)..
      Ce qui n’exclut pas qu’en cas de contrôle ultérieur sur le territoire, la personne en situation de clandestinité ne puisse pas être rattrapée par la loi.

      Maintenant, la situation politique a évolué depuis juillet 2004; tout l’Afghanistan n’est pas en guerre, puisque les combats sont localisés dans des zones bien précises, et surtout le gouvernement actuel n’est pas un gouvernement de talibans – quand bien même il est corrompu.
      Difficile de dire s’il risque sa vie, s’il venait à être renvoyé en Afghanistan…

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        PatrideA.
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        Les médias ont généralement tendance à parler des requérant(e)s seulement lors des révisions de la loi sur l’asile ou lorsque les flics font des descentes dans des FAREAS (ou autres centres) pour “attraper les dealers”. Merci donc pour cet article, qui a l’avantage de montrer les demandeurs d’asile d’une autre façon et de leur laisser, enfin, la parole.

        Pour ceux et celles qui ne l’auraient pas vu, allez voir le film de Fernand Melgar: “La Forteresse”.

        http://www.youtube.com/watch?v=q5zzSs4GWJk
        http://www.hebdo.ch/Fernand_Melgar_Film_Locarno_requerants_680_.html

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        fleks
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        Article engage, bien ecrit.
        Comme d hab et comme partout, rien n est tout blanc ou tout noir.
        Il y a des abus dans l asile et egalement bien des renvois injustes.
        Au niveau de la procedure, en Suisse ca ressemble beaucoup a ce qui a ete decrit par Romuald pour la France.

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          mehdi_atmani
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          Merci Fleks pour tes remarques. Il est vrai que j’aurai pu mentionner plus clairement dans l’article que le témoignage donne un éclairage spécifique sur la situation, propre au parcours de Moussa. Mais il existe tellement d’autres cas, dont la situation est totalement différente.

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        Anonyme
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        Romuald. Merci pour ton complément d’info. Toutefois concernant la situation en Afghanistan, ton analyse est un peu hasardeuse. Je ne suis pas un expert de la question mais je peux t’assurer que la situation ne s’est pas améliorée, au contraire. Les différents rapporteurs, gouvernementaux, journalistes et autres, signalent une situation alarmante. 

        http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=500000&bcid=624811#bcid=624811;vid=9920480

         

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          romuald
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          Le journaliste dont il est question dans le reportage (Zalmaï Ahad) a pu retourner en Afghanistan en 2001, date de l’intervention des Occidentaux. Depuis, la situation s’est dégradée à cause de l’incapacité des Occidentaux à gérer l’après-guerre (le nation building comme on dit) ce qui est habituel avec les USA; et la corruption qui gangrène le gouvernement afghan.

          Ce que dénoncent surtout les Kabouli n’est pas tant la guerre, mais l’extrême-pauvreté.
          Les enlèvements, assassinats semblent essentiellement concerner les Occidentaux présents sur place; tandis que les attentats ne sont pas discriminatoires au sens où ils peuvent toucher tout un chacun.

          Mais, et on peut le regretter, en ce qui concerne une demande d’asile l’OFPRA en France ne protège que celles et ceux dont la vie est directement en danger
          Par exemple, si les Talibans placent un contrat sur la tête d’un Afghan contraint de fuir, et l’élimineraient s’il revenait à Kaboul, l’asile lui serait accordé. Je suppose qu’il en est de même en Suisse..

          Maintenant, l’OFPRA peut protéger une personne au titre de la protection subsidiaire, càd si l’instabilité du pays en question présente un risque réel pour la vie du demandeur.
          Après, je ne sais pas si une personne peut demander à la fois la protection subsidiaire, et l’asile. Et j’ignore si l’équivalent existe en Suisse.

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            coco
            |

             Ils dénoncent aussi les attaques américaines : “Le Président Hamid Karzai a déclaré mercredi qu’il abattrait les avions américains qui bombardent les villages afghans s’il en avait la possibilité, nouvel indice de la montée des tensions entre l’Afghanistan et l’occident alors que se renforce l’insurrection talibane.”

            Comme toujours, on voit l’ efficacité de l’armée américaine.

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