NTL 07 : le Capitole

NTL 07 : le Capitole

Posté dans : Culture 0
La nostalgie des toiles lausannoises - Bobine 07 : le Capitole. A Lausanne, les toiles se suivent et ne se ressemblent pas. Des années 1900 à nos jours, le LBB vous propose de découvrir les 1001 vies des salles de cinéma lausannoises : les glorieuses, les déchues et les survivantes. Cette semaine, le Capitole. En lien avec le site d'archives photographiques notrehistoire.ch

Ouverture CapitoleCe soir-là, ce n’était pas le film qui m’avait marqué (un truc catastrophe ou mythologique quelconque), mais la salle elle-même. Dès sa marquise, elle m’avait happé et pris en otage consentant dans sa dimension cinématographique si singulière, mélange d’un passé glorieux et d’une force de survie sans faille. Puis, les films s’y sont enchaînés sous mes yeux : intimistes, blockbusters, courts-métrages, visions de presse… et toujours cette aura implacable et si grandiose. Les escaliers, la tapisserie, les rideaux, les toilettes, le stand de friandises et de boissons, la moquette, les plafonds peints. Et la salle bien-sûr : ce parterre qui semble sans fin, ce rouge si vif malgré les années, les lampes si finement décorées et enfin et surtout cet écran monumental et si imposant. La citation culte de Godard prend avec Capitole tout son sens : « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télé, on la baisse. » La Capitole est la quintessence de la beauté de la salle de cinéma. Et cette fois-ci, il n’existe aucune excuse pour ne pas la découvrir, puisqu’elle est une des rares de la série La nostalgie des toiles lausannoises à toujours être en activité aujourd’hui, et ce depuis 1928.

Le bar du Capitole, toujours aussi splendide aujourd'hui.
Le bar du Capitole, toujours aussi splendide aujourd’hui.

Décidée en décembre 1927 par la Société Anonyme du Capitole, la construction de la salle débute en juin 1928 et ne prendra que cinq mois pour être achevée. Dessinée par le Lausannois Charles Thévenaz, elle s’étale en largeur le long de la Rue du Théâtre. Le Capitole est inauguré le 29 décembre 1929 et offre un choc esthétique aux spectateurs. Peints par le décorateur Jean-Jacques Mennet, les plafonds éblouissent par leur beauté. Les lampes, elles, sont invisibles. La lumière change de tons en toute douceur sans agresser l’œil, du mauve au bleu, en passant par le rouge. Et au fond, proviennent de la scène des sons divins. Deux orgues ont été installés et permettent rapidement à plusieurs concerts (Orchestre de la Suisse Romande, musiciens à bouche) et autres spectacles (French Cancan, les Rivels, Borah Minevitch) de prendre place au Capitole, en sus des films.

Vingt ans plus tard, le Capitole devient exclusivement un cinéma. C’est à cette occasion que la salle est entièrement rénovée, car pour garder son statut de « salle la plus moderne et confortable de la ville », elle doit suivre les progrès techniques cinématographiques qui, ces dernières années, ont connu un bond gigantesque. La scène est refaite pour permettre l’installation d’un écran panoramique dernier cri. L’acoustique est revue. La décoration et les lumières changent aussi, tout en gardant leur charme d’avant, grâce notamment à plusieurs lustres faits sur mesure. Les fauteuils sont remplacés par de nouveaux plus molletonnés et plus larges. D’abord amorcées au début des années 1950, ces transformations se finalisent surtout en 1959, grâce à l’architecte neuchâtelois Gérald Pauchard, qui simplifie les plans de la salle et fait passer les entrées frontales de trois à cinq.

Les belles années du Capitole.
Les belles années du Capitole.

Durant cette période, le Capitole emploie vingt-cinq personnes : placeurs, guichetiers, barmen, concierges… La salle de cinéma tourne à plein régime. C’est l’après-guerre, les gens sont plus positifs et veulent profiter de la vie, et la télévision ne s’est pas encore démocratisée. C’est aussi une époque faste pour le cinéma : grosses productions hollywoodiennes, westerns, Cinémascope, Technicolor et enfin le grand cinéma italien. Les projections sont souvent mondaines. On y vient pour se faire voir, pour rencontrer le beau monde. On peut d’ailleurs y croiser Roger Moore, Katharine Hepburn ou encore la reine d’Espagne Victoria-Eugénie. Les spectateurs achètent même leur ticket à l’avance, avant de savoir le titre du film. Et les soirs de grandes premières, la rue du Théâtre est bloquée par la foule qui déborde sur la chaussée. Ayant rempli la salle tous les soirs durant un mois, Le Jour le plus long de Darryl Zanuck est le parfait exemple de la réussite du Capitole.

C’est en 1956, en pleines années de gloire, que la jeune Jurassienne Lucienne Schnegg, aujourd’hui surnommée « la petite dame du Capitole », prend les rênes de l’immense salle. Des heures de gloire au renouveau du cinéma hollywoodien des années 1980, notamment avec le succès d’E.T. de Steven Spielberg, qui resta 14 semaines à l’affiche et attira 85 000 spectateurs, elle dirige la salle d’une main experte et fait face à toutes les difficultés, quitte à occuper plusieurs postes simultanément. Elle fait également en sorte que la salle s’adapte le plus possible aux avancées technologiques de projection et de sonorisation. En 1981, elle remplace tous les fauteuils de la salle et fait installer de nouvelles moquettes. Mais dès la fin des années 1990, les multiplexes envahissent petit à petit la ville et le public se fait de plus en rare, jusqu’à quasiment déserter la salle. Le Capitole survit néanmoins grâce à la ténacité et l’énergie de Lucienne Schnegg, qui devient propriétaire de la salle en 1996 et tient toujours la barre aujourd’hui, 64 ans après son premier emploi de secrétaire pour la salle.

Lucienne Schnegg devant le Capitole en 2005. Photo utilisée pour l'affiche de "La petite dame du Capitole" de Jacqueline Veuve.
Lucienne Schnegg devant le Capitole en 2005. Photo utilisée pour l’affiche de “La petite dame du Capitole” de Jacqueline Veuve.

En 2010, la Ville de Lausanne annonce son rachat du Capitole, en vue de reloger la collection et les trésors de la Cinémathèque Suisse et de lui offrir une salle digne de ce nom. Fatiguée, Lucienne Schnegg accepte ce rachat et est ravie de voir l’avenir de sa salle assuré par des institutions stables et devenir un temple du cinéma, puisque la Cinémathèque y passera ces rétrospectives et y organisera des avant-premières avec invités de marque. Mais des fonds importants sont nécessaires pour rénover le Capitole et procéder à l’installation définitive du fonds de la Cinémathèque Suisse, et en attendant de les rassembler, plusieurs évènements prennent progressivement place au Capitole depuis maintenant trois ans, avec notamment l’avant-première du palmé Amour de Michael Haneke en octobre 2012, l’avant-première de Like someone in love d’Abbas Kiarostami en sa présence, la projection de la copie restaurée attendue de Rear Window d’Alfred Hitchcock, la présentation de la version intégrale de Carlos d’Olivier Assayas par lui-même et bientôt deux magnifiques projections des Temps Modernes de Charlie Chaplin et du Mécano de la « Générale » de Buster Keaton, toutes deux musicalement accompagnées. Autant dire que le rêve de Lucienne Schnegg est réalisé : son cinéma survivra et émerveillera encore les spectateurs.

Enfin une histoire qui finit bien. Pas de fermeture, pas de rachat capitalisé, pas de destruction d’infrastructure. Le Capitole est encore en vie et le sera encore pour longtemps. Ce privilège lausannois est rare, puisque cette salle est la plus grande salle suisse de cinéma à être encore en activité aujourd’hui, et en même temps la plus vieille du pays. Un double record qui lui a permis d’être classé bâtiment de niveau 3, donc indestructible, et d’être soumis à la décision du Conservateur Cantonal, afin d’assurer sa survie. Mais nous savons tous, à Lausanne, que le Capitole doit surtout sa non-mort à Lucienne Schnegg qui au fil des ans est devenue l’âme de la salle. En témoigne le magnifique documentaire de Jacqueline Veuve, La petite dame du Capitole, sorti en 2010 et retraçant la destinée hors-du-commun de cette dame aujourd’hui âgée de 88 ans, qui a donné sa vie à cette salle, sa salle, et qui la gère toujours en attendant l’installation définitive de la Cinémathèque Suisse.

Ce monument qu’est le Capitole trône au milieu de notre ville, les bras ouverts au cinéma et aux spectateurs. C’est un plaisir infini d’y entrer, de s’asseoir dans ses fauteuils rouges moelleux, d’admirer ses plafonds et de ressentir son aura incomparable et imposante. A chaque fois que je m’y rends, je remercie Lucienne Schnegg d’avoir tenu bon toutes ces années pour nous permettre à nous, amoureux du cinéma, d’admirer nos images tant aimées dans une salle si magnifique et si emblématique.

La salle en 1928 et aujourd'hui.
La salle en 1928 et aujourd’hui.

Mardi prochain, nous passerons derrière le Capitole, emprunterons la Rue du Midi pour rejoindre celle du Petit-Chêne et enfin arriver devant le multiplexe des Galeries, qui avant d’être la propriété du géant Pathé était plus connu sous le nom du Rex, puis du Georges V.

Photos © Lucienne Schnegg, Service de la culture de la Ville de Lausanne, Cinémathèque Suisse,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.