« Nous sommes avec vous » ou quand les jeunes créateurs lausannois soutiennent le Japon.

Une quinzaine d’étudiants-créateurs-graphistes ont réalisé en un temps record une œuvre éphémère et novatrice, en hommage et soutien au peuple japonais. Le Lausanne Bondy Blog a vu, entendu, et a été ému.

La journée se termine. Le soleil descend lentement à l’horizon. Les ombres s’allongent sur les trottoirs et, au milieu du capharnaüm ambiant, le pont Chauderon se dresse tel un monstre de pierre. Marcher dessus est un honneur, un privilège. Comme si cette construction centenaire nous accueillait à bras ouvert et nous laissait traverser ses 250 mètres en toute quiétude, jouant le rôle réconfortant de ces choses qui ne changent pas, quels que soient les évènements qui nous accablent.

Pourtant, aujourd’hui, quelque chose est différent. Une inscription au sol interpelle et questionne. « Take a picture here ». L’ordre est simple et affectif. Il titille notre curiosité et casse, pour notre plus grand plaisir, la perspective d’un retour au foyer lassant et sans vie. Et si je parle de perspective, c’est que cette notion est au cœur du sujet. À peine les yeux levés et l’esprit ouvert, on distingue alors nettement un arrondi aux couleurs sobres et reconnaissables, une erreur dans le paysage tranquille de notre ville. Entre deux branchages, se révèlent un sigle malheureusement trop répandu et une date qui fera désormais parti de l’Histoire, au même titre que le 6 août 1945. En contrebas, aux couleurs du Japon, trône le symbole universel de la radioactivité, le tout orné du 11 mars 2011. Puis encore plus haut, on distingue la mention « Eracom ». Une bande d’étudiants engagés et concernés mettent la touche finale, tels des fourmis affairées et concentrées.

Allant à leur rencontre, ma tête bouillonne de questions. Le travail est fini, l’œuvre est complète, aboutie. De près, tout semble disparate et ordonné à la fois. Rien à voir avec ce que j’ai vu depuis les hauteurs de la dame de pierre. Le point de vue n’est pas le même, m’explique-t-on, de trop près, il est impossible de tout comprendre, de voir la chose dans son ensemble, dans son résultat définitif. Leitmotiv des étudiants de la classe GR 380, cette idée de point de vue est au cœur de ce cri de soutien.



Le Japon connaît une de ses heures les plus sombre et nous autres
occidentaux ne pouvons rien faire. Nous ne pouvons pas aller là-bas pour les aider. Alors, au lieu d’en parler et de commenter la catastrophe comme s’il s’agissait d’un fait-divers, nous avons décidé de réagir et de faire ce que nous savions faire, à notre niveau, pour leur montrer qu’on pense à eux, qu’à des milliers de kilomètres de leur île, des gens pensent à eux et le montrent. Enflammée, une des quatorze étudiantes de cette classe de dernière année de graphisme, défend leur concept, leur initiative. C’est la passion qui les fait vibrer, leur humanité, leur générosité et leur solidarité aussi. C’est un mémorial, un hommage et surtout une preuve de soutien.

Puis, la fraîche bise de ce début de printemps laisse vite place à la chaleur d’un bar proche, où les langues se délient plus facilement. Les mains se réchauffent et dévoilent des traces de peinture rouge sanglantes, qui métaphorisent parfaitement l’engagement et la volonté que chacun de ces étudiants-créateurs-graphistes ont mis au service de cette œuvre. Nous voulions faire quelque chose de nos mains, m’explique Emilie à ma gauche, relever nos manches et y aller sans retenue, donner de notre personne pour cette cause. Et réaliser ça sur le terrain avec des matériaux de récupération était la meilleure manière de le faire. Nous l’avons réalisée de A à Z.
Maintenant, ça ne nous appartient plus, continue Karim, placé en face de moi. C’est une œuvre éphémère. Qui sait, peut-être dans 3 jours, elle ne sera plus là. Alors il faut en profiter au maximum. On a mis un symbole sur le Pont Chauderon, là où la vue est optimale, pour que les passants profitent et se questionnent.

D’ailleurs, c’est aussi ça, ce drapeau japonais transformé en drapeau radioactif, s’exclame Mélissa à ma droite. C’est la question du point de vue. On ne peut voir l’ensemble de cette perspective que d’un seul endroit. Il faut un recul nécessaire pour comprendre. Et c’est ce qui nous a motivés aussi : mettre en évidence le fait que les médias nous montrent plusieurs points de vue, plus ou moins justes et pertinents, mais jamais le point de vue global de la situation là-bas. C’est ce que nous avons voulu montrer. Cette catastrophe est globale, elle a directement touché des milliers de personnes au Japon et indirectement touché le monde entier. Ce qui s’est passé n’est pas qu’une simple inondation, c’est un événement qui va redéfinir l’avenir de l’Humanité et de la Terre dans leurs entiers.
Cette œuvre est aussi éphémère que la médiatisation,
reprend Cathy, l’enseignante du workshop ” Photographie : idée du point de vue “, c’est un reflet de cette information. Ici, on doit s’élever au sens propre pour voir l’ensemble de ce que nous avons fait. Il serait bien de faire la même chose avec les images que l’on voit et les textes que l’on lit. Car si on s’écarte de l’ensemble, la véracité de notre vision disparaît et devient incomplète.

Le ping-pong vocal continue ainsi bon train et chacun y va de ses éclats de fatigue et de fierté. Car au-delà de la performance, c’est l’expérience qui les habite. Ce que l’on retient de tout ça ? Une expérience instinctive et immersive. On a eu une idée tous ensemble et on a suivi notre cœur, on a fait ce qui nous semblait juste au moment où on le sentait. Et voilà le résultat ! C’est une très belle fin pour trois ans de travail et d’études, une expérience enrichissante et valorisante. On espère simplement que les gens s’arrêteront, réfléchiront, se feront leur propre idée de notre message et ne seront plus les mêmes une fois leur chemin repris.

Ils peuvent êtres fiers d’eux, ces étudiants-créateurs-graphistes. Réalisée en deux jours, à quinze, cette fresque est un signal artistique et engagé, qui interpelle et nous fait prendre conscience que pendant que nous allons travailler et nous plaignons de notre travail répétitif et ennuyeux, d’autres retrouvent les corps sans vie des êtres aimés.  Alors rendons hommage à ceux qui rendent hommage, qui dénoncent et surtout qui soutiennent : Sophia Bennani, Emilie Benvegnin, Vanessa Cojocaru, Sébastien Doutaz, Mehdi Fazlija, Pierre-emmanuel Lemaire, Julianne Mary, Aurélie Morard, David Mottier, Mélissa Renou, Sébastien Rigamonti, Fabien San Vicente, Nicolas Spitz et Karim Zidi.

Et remercions également Cathy Karatchian, Christian Sonnay, Max Widmer, Marc-Henri Pavillad (et aussi Jerôme Eichmann, Martine Walzer, les doyens et la direction de l’Eracom).

Sur ce, le Lausanne Bondy Blog invite et encourage chaque Lausannois et chaque Lausannoise à venir voir de leurs propres yeux cette œuvre qui ne sera peut-être plus là d’ici la fin de la semaine. Rendez-vous donc au pont Chauderon, à la droite de l’ascenseur de Vigie, là où ce petit symbole vous interpellera.

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Florian Poupelin

2 Responses

  1. Avatar
    karatchian
    | Répondre

     Vous êtes super !
    Merci à Florian de sa gentillesse et aussi de sa disponibilité
    Le texte est magnifique
    Je le mets en ligne
    Je vous embrasse très fort
    Cathy Karatchian

  2. Avatar
    karatchian
    | Répondre

     Vous êtes super !
    Merci à Florian de sa gentillesse et aussi de sa disponibilité
    Le texte est magnifique
    Je le mets en ligne
    Je vous embrasse très fort
    Cathy Karatchian

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