Lieux d’être. Lausanne, Athènes et Istanbul.

Posté dans : Culture 1
Marika Zisyadis, jeune réalisatrice, m'a accordé une interview où elle me parle de son premier film: "Lieux d'être". Il sera projeté ce jeudi 14 janvier à 20h30 au cinéma l'Oblò.

Après avoir suivi des études d’arts appliqués à Vevey, puis en communication visuelle et d’arts visuels à l’ECAL, Marika Zisyadis a reçu une bourse d’art plastique du Canton de Vaud qui lui a permis de mettre en place le projet de ce film poétique retraçant le parcours migratoire de sa grand-mère paternelle. Le film a été tourné en Grèce et en Turquie. Il est parsemé de souvenirs de cette femme, Sol Behar, juive sépharade, émigrée en Grèce puis en Suisse depuis le début des années soixante. Rencontre avec cette réalisatrice.

Comment est né ce projet?

Il est le prolongement d’un travail artistique qui s’inspire d’une histoire de famille. C’est de l’art vidéo. Pendant mes études, cela m’intéressait déjà. J’ai tourné principalement en format très court d’environ 2 minutes. J’aimais filmer de la poésie captée dans le quotidien. J’aime parler de petite poésie à laquelle on a accès tous les jours. 
 
En arts visuels, on était très libre. Mais pendant mes études, j’ai rejeté toutes ces questions. Ce projet est une histoire de famille, d’héritage, de politique et des questionnements autour de mes racines. Cela a pris du temps à devenir important pour moi. Puis j’ai eu envie d’aller questionner tout ça. Et j’avais envie d’apprendre le grec, dans la mesure où je me sens autant Suisse que Grecque. 

Et concernant ce concours pour la bourse?

J’avais écrit un projet où j’expliquai l’envie d’aller à la rencontre des récits de ma grand-maman. Je fais partie de la “deuxième génération”, issue des sans-papiers arrivés en Suisse. Et je ne pouvais y arriver que là-bas. Maintenant, je sais mieux d’où je viens, ce que j’aime, tout cela est aussi lié aux images. D’être allée là-bas, cela donne aussi plus de légitimités à mes images. 

Et sur place, comment cela s’est-il passé?

J’ai passé 6 mois en Grèce. Dans un premier temps, je suis restée à Athènes chez ma famille. Puis je suis allée rejoindre ma grand-maman à Istanbul pendant 5-6 jours. Elle a redécouvert cette ville. Après je suis retournée à Athènes où j’ai pris des cours de grec le matin et j’avais le reste de la journée pour filmer. Pourtant, j’ai eu l’impression de revenir avec rien du tout. Et après, il y a tout le travail de montage. 

Qu’est-ce que tu imaginais du séjour avant de partir? Et quelles sont tes impressions maintenant que tu es revenue?

Comme la plupart des petits-enfants d’immigrés j’imagine, pour moi c’était le pays parfait car je le connaissais l’été et donc pendant les vacances, la fête, etc. C’était une vision idyllique. Et au début, c’était idyllique, tout était nouveau, parfait. Puis on construit, on apprend à comprendre mieux. J’étais là-bas pendant les émeutes qui ont éclaté début décembre 2008, dans le quartier où je vivais en plus. Cela m’a aidée à me rendre compte que j’ai de la chance, chance de pouvoir vivre où je suis, de pouvoir imaginer une prochaine exposition, un film, etc. Ces jeunes grecs n’en ont pas la possibilité. Ils sont obligés de partir. Cela m’a rendue assez triste. Et en même temps j’avais une vision enfin objective de mon pays. Accepter ses origines, c’est aussi voir les défauts de son pays, enfin… je pense. 

Concernant les personnes que l’on voit dans le film, ce sont des rencontres fortuites ou des connaissances?

C’est un mélange. J’aime travailler comme ça. J’avais une sorte d’orientation; je recherchais des images mais j’étais aussi à la recherche de personnes. Il ne s’agit pas d’une autobiographie ou d’une biographie. Le film est créé à partir d’histoires. J’ai essayé de fixer sur des personnages et de raconter une histoire à partir de ces personnages pour dresser un tableau de ma Grèce aujourd’hui. 

Et comment s’est passé le montage?

Je m’étais fixée de faire le montage en Grèce. Mais j’y arrivais pas, je ne savais pas vers quoi j’allais… Dans un premier temps, il a fallu découvrir et enregistrer, enregistrer. Il ne s’agit pas d’un documentaire “réel” de la vie. C’est une fiction, une histoire que je crée. Une histoire inventée. Je ne dois pas coller au récit. Ce n’est pas une vérité absolue. C’est une bribe d’histoire de l’immigration et ce que cela en fait de moi. 

J’aime regarder… prendre le temps de regarder. Et accepter de prendre le temps. Dans le film, à un moment on voit ces immigrés qui montent dans un bateau. Encore aujourd’hui quand je regarde ces images, je suis révoltée. Ce sont des faits d’actualité partout. Tu peux regarder TF1… ou t’arrêter un moment et regarder. C’est juste des “visions” inscrites en moi et qui sont pour moi importantes à un moment donné.  

Et pourquoi avoir choisi ta grand-maman?

Je l’avais déjà filmée, des enregistrements faits pour moi. Je trouvais qu’elle avait une histoire forte qui m’intéressait. Et je voulais que ce soit une histoire qui ne se perde pas. On est de deux époques différentes… et pourtant. Un passé, un présent et un futur à esquisser. 

Comment a-t-elle réagi quand tu lui as proposé?

Elle a été très contente. Elle m’a tout de suite suivie dans mon envie. Elle a fixé les dates de voyages, elle a fait les réservations pour les billets d’avion. Elle m’a souvent relancée. Mais après coup, je ne crois pas qu’elle avait réalisé, mesuré le fait que j’allais la filmer pendant 5-6 jours continuellement. 

A Istanbul, on peut percevoir l’émotion de ta grand-mère… comment a-t-elle vécu ce retour?

50 ans ont passé. Une vie s’était faite entre deux. C’est violent. C’est toujours violent, pour tout le monde quand tu regardes ta vie, tes regrets, les endroits d’où tu es parti et où tu es arrivé. C’est très déstabilisant. C’est l’histoire personnelle qui fait le film… C’est une manière de raconter. Il y a une sorte de flou entre Athènes, Istanbul et Lausanne.

* Photo de Marika Zisyadis intitulée “Elle aurait bien pleuré si elle en avait eu envie”

Projection du film “Lieux d’être (Lausanne, Athènes et Istanbul)” au cinéma l’Oblò ce jeudi 14 janvier à 20h30.

http://www.oblo.ch/

Articles similaires

Sitara Chamot

  1. Avatar
    safran
    | Répondre

    J’adore l’article miss Sita! Mlle Zysiadis dit des choses qui me parlent beaucoup, et qui parle probablement à bcp de personnes issues de la 2è ou 3è génération…belle initiative! 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.