Lettre ouverte aux Indignés suisses.

Posté dans : Politique 5
Où, comment, et contre quoi s'indigner en Suisse ?

Lundi 18/07/2011 | Posté par Félix

Le 14 juin dernier, un communiqué du Mouvement des Indignés à Lausanne faisant suite aux premières manifestations a été publié. Ayant résidé deux ans et demi à Barcelone, et m’étant intéressé à la situation politique espagnole, l’annonce (lue dans un entrefilet du 20 minutes, un jour, où, horreur, j’ai osé dépasser la Une) m’a envahi d’une sourde appréhension. Après avoir lu leur communiqué, cela m’a intrigué encore plus.

En effet, il y est stipulé que les Indignés lausannois sont “des gens ordinaires” et qu’ils se reconnaissent dans la charte des indignados (ou indignats (CAT)) espagnols. Cette référence directe à la contestation espagnole, dont les prémisses ont étés aperçues lors de la “révolution Islandaise”, durant laquelle une manifestation à Reykjavik a donné suite à la démission du gouvernement, ne m’a pas semblé la plus judicieuse en Suisse. Comment peut-on, de premier abord, parler de citoyens helvètes comme “des gens ordinaires” ? Peut-on parler des résidents d’andorre comme “citoyens français ordinaires” ? Car chaque mouvement de contestation de grande ampleur a une origine simple : la misère, qui sévit au Portugal, en Grèce ou en Espagne (ou dans les pays acteurs de “la révolution arabe”). Les autres récriminations, violence policière, corruption, respect des droits de l’homme, éducation sont tout d’abord au second plan. Et même, comment pourrait-on attribuer ces défauts à la Suisse, où, quand j’ai débarqué, la première chose que l’on m’a dite fut : “Ici, la police est polie quand elle t’arrête, elle ne te causera pas de problèmes majeurs”. Je n’ai pas eu l’occasion de le vérifier, mais je veux bien y croire.

On ne peut pas dire que la misère est tombée sur la Suisse. On n’y voit pas, à priori, d’expulsions manu militari menées par les banques, le nombre de sans domicile fixe ou de gens retournant vivre chez leurs parents n’y a apparemment pas explosé de manière exponentielle comme c’est le cas en Espagne, en Grèce ou en France. Il n’y existe pas de villes-fantômes, les gens ordinaires n’y font pas les poubelles pour se nourrir, n’y assument pas cinq emplois au noir afin de survivre. En d’autres termes : le contexte diffère. Or, ici, les Indignés lausannois semblent avoir suivi exactement la même démarche qu’en Espagne ou en Grèce, c’est-à-dire exploiter l’espace public, à savoir la place de la Riponne, sans sembler faire attention à leur statut de privilégiés, en tant que résidents suisses.

Que représente l’espace public ?
Les “citoyens ordinaires” qui se réunissent en ce lieu, en Suisse, me semblent peu avisés. Que demandent-ils ? Ils veulent élaborer une vraie démocratie directe, maintenant. Ils veulent trouver des solutions aux crises qui secouent notre planète en ce moment. C’est légitime. Mais de la même manière qu’un siège social est l’image de la société à laquelle il appartient, la place publique est l’espace du peuple, et aussi l’espace réservé au gouvernement. Si les Egyptiens sont descendus place Tahrir, c’est parce que celle-ci était celle qui représentait le mieux la force de l’Etat.

Et y a-t-il un pays où le peuple a plus de pouvoir qu’en Suisse, où le pouvoir est si décentralisé ? Comment pouvoir en réclamer plus ?

Je ne cherche pas à dresser ici un panégyrique du système politique Suisse, mais bien à montrer les contradictions qui me sont apparues. En Suisse, il y a aussi des expulsions forcées, parfois à tort. En Suisse, la police est partout bien qu’invisible, et le fichage s’étend. En Suisse, les banques, les grandes sociétés qui y ont leur sièges sociaux ont un pouvoir énorme. Les tabloïds gratuits tels que le 20 Minutes favorisent la désinformation, et tendent à abrutir leurs lecteurs ; tout y est basé sur l’argent (omniprésent), jusqu’à interdire de séjour des étrangers qui auraient un impayé de facture datant de leur dernier séjour. On pourrait cibler ces excès, ceux des multinationales et ceux des banques, les Suisses pourraient aller manifester devant le Crédit Suisse pour sa participation coupable et assumée dans la crise des subprimes, pourraient s’indigner devant le siège de Nestlé du comportement désastreux en terme d’écologie de la firme.

Et que font-ils ? Comme les citoyens Espagnols ou Grecs, ils se regroupent dans l’espace public, montrant ainsi leur désaccord avec le pouvoir direct, c’est-à-dire le gouvernement. Qu’est-ce que le Gouvernement Suisse et que peut-il faire pour remédier à la situation ? Pas grand chose (c’est la réponse aux deux questions). Aujourd’hui, trois semaines après les premières mobilisations, la contestation ne s’est pas bien étendue. Peut-être parce que les Indignés de la place de la Riponne n’ont ni choisi le meilleur endroit, ni la meilleure cause. Indignés, ceci est un conseil : votre révolution ne pourra pas être et ne sera pas à l’image de celles en Islande, en Espagne ou en Grèce. Vous n’êtes ni Grecs, ni Espagnols, ni Islandais, et encore moins Arabes.

C’est votre révolution, et vous devrez vous prendre aux motifs Suisse d’indignation, et non vous mobiliser en simple soutien des indignés internationaux. Votre lutte doit se préciser. Si vous voulez absolument vous référer au mouvement espagnol, inspirez-vous de leurs manifestations dansantes dans les banques. Vous n’avez aucun pouvoir fort et national en face duquel vous indigner : Dénoncez le reste de manière forte ! Attaquez vos banques et vos multinationales sur le plan moral ! Ne les laissez pas accaparer l’image de la Suisse à leur profit.

À lire :
En espagnol : “Indignadanos” (“indignons-nous”), du juge Baltasar Garzon : http://www.publico.es/espana/382715/indignadanos

En vidéo : Flashmob du collectif Flo6x8 indigné dans une banque : “banquier, banquier, tu a les billets et moi une dette” : http://www.youtube.com/watch?v=TXalrVsdupI

En images :
Un manifestant espagnol embrasse un garde civil : http://ep00.epimg.net/politica/imagenes/2011/05/21/actualidad/1305999838_462379_1306000341_normal.jpg
Des mossos d’esquadra (CRS catalans) éloignent, lors du délogement de la place de catalogne, un manifestant handicapé, en vue des affrontements à venir : http://www.bitsrojiverdes.org/wordpress/images/brutalidad15mbarna.jpg.

Félix –

5 Responses

  1. Avatar
    angeldust63
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      Il est vrai qu’on ne peut pas faire de comparaison entre la Suisse et la grèce ou l Espagne ou encore l’italie. Mais il ne faut pas non plus croire qu’en Suisse tout est rose. On vous a dit que la police est polie..mais vous n’y avez pas été confronter. Alors il ne faut pas *croire* mais savoir avant de parler. La société a beaucoup changé ces dernières années. J’adorait l’Italie quand j’étais jeune, j’y ai vécu et travaillé..mais il est vrai qu’aujourd’hui je suis bien en Suisse. Je suis une simple salariée, j’arrive à peine, à ce que les services sociaux appelent  le minimum vital. Bref, mes fils peinent à trouver du travail. Pour les jeunes c’est pas facile. Oui, l’un deux était parti mais il est revenu vivre à la maison. Ici aussi les loyers sont élevés ou même introuvable suivant quel canton. Ici aussi il y a de la misère, des sans abris, des vieux qui vivent avec presque rien ( étant aide-soignante je vois des situations dramatiques pour un pays soit-disant riche comme la Suisse) Le chômage n’est plus non-plus ce qu’il était. La preuve j’y était encore de septembre 2010 à mars 2011…je travaillais en interim quelques heures par jours et je n’ai rien touché comme supplement de chômage. Je vivais avec environ  900 à 1600frs par mois. j’ai elevé seule mes fils..oui je pense que ça aurait été bien plus diffile de le faire en Espagne. J’ai essayé..en italie. On est revenu au bout se 6 mois. je pourrais écrire un livre!!!Bref..tout dépend aussi des caratères des gens. Certains ne sont jamais content même si ils avaient la lune! 
    C’est bien que les gens se révoltent..oui, je suis de tout coeur avec cette jeunesse espagnole. je ne connais pas beaucoup l’histoire du pourquoi du comment. je sais seulement qu’il y a et il aura toujours des différences, des guerres, des riches et des pauvres et des injustices. l’espoir fait vivre! la vie malgrès tout est belle. Il y a aussi la maladie..et celle-ci quand elle frappe..personne n’y peut rien et vous êtes seul face à elle. je crois que si les gens émettaient un peu plus de positivité dans leur façon de penser au quotidien (et oui vous avez raison..arrêter de lire ces journaux gratuits chaque jour qui lobotise le cerveau) peut-être que le monde irait mieux. Si on arrêtait de penser que l’herbe du voisin est plus verte et qu’on se contentait de voir ce qu’on a!!! 
    Et si on veut se révolter alors il faut pas seulement gueuler sur le système..mais aussi proposer quelque chose de concret!
    Avec mes meiileures salutations!

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      mike
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      Je dois avouer que ce post m’a d’abord laissé perplexe, et qu’il a fallu que je me pose et que je réfléchisse un peu pour pouvoir faire un commentaire en tant soit peu constructif. Déjà, pour ce qui est de la partie de ton texte où tu dresses un bilan  du paradis économique qu’est la Suisse, où personne ne s’inquiète de son avenir, je remercie la personne qui a fait le commentaire d’avant pour sa réponse qui se rapproche de ce que je voulais dire à ce sujet.
      Passons donc à la partie majeure du texte où la Suisse est à ton sens l’exemple de la démocratie, “Et y a-t-il un pays où le peuple a plus de pouvoir qu’en Suisse, où le pouvoir est si décentralisé ? Comment pouvoir en réclamer plus ?” nous dis-tu… Crois-tu sincèrement que la Suisse fasse exception au reste du monde, que nous vivions dans une vraie démocratie? Le monde entier vit sous le règne de la dictature du marché et du politiquement correct. D’un côté il s’agit de faire du profit et de maintenir en place le système capitaliste, forçant l’être humain à aller à l’encontre de sa vraie nature, en glorifiant le travail et l’accumulation de richesses (habitus du travail d’ailleurs construit socialement de toute pièces lors de la révolution industrielle et depuis transmis de génération en génération sans remise en question aucune). De l’autre côté, il s’agit également de ne surtout pas émettre d’opinion qui dérange, il s’agit par exemple de voir le racisme (le seul racisme étant bien sûr celui du blanc contre les autres) partout et bien se conformer à ce que l’on peut lire dans les médias en général et dans les journaux gratuits en particulier (que tu dénonces également, je te l’accorde) qui construisent ce qui est bien et ce qui est mal de penser à propos de tel ou tel sujet. Le plus grand danger de tout ce que je viens de décrire est le fait que, contrairement aux autres dictatures plus voyantes, ce type de dictature a su se faire passer pour une démocratie. On me dira, “mais voyons, ce n’est pas une dictature vu que tu as la liberté de dire cela”, justement, c’est là le point central. Les gens croient pouvoir voter, mais pour quoi, pour qui? Il n’y a aucune différence entre voter UDC ou POP, puisque dans aucun des cas le système lui-même n’est remis en cause, il s’agit juste de se quereller sur des détails pour mieux masquer l’essentiel. La droite me fait vomir, mais je suis également persuadé que la gauche traditionnelle que tu sembles défendre est en fait le pire ennemi de ceux qui triment, puisqu’elle ne fait que renforcer le système en le faisant paraître moins insupportable à grands coups de réformes et de congés payés. Hé oui, voter, c’est abdiquer… 
      Rassure-toi, je ne suis pas complétement crétn et aveugle, et je ne suis pas en train de dire que la Suisse c’est horrible, que je crains pour ma vie etc, mais reste qu’une phrase comme “Comment pouvoir en réclamer plus?” me rend encore plus triste qu’énervé, car elle me fait me rendre compte à quel point la situation est alarmante, à quel point le système a été intégré et qu’il semble tout ce qu’il y a de plus légitime… 
      Parlons de légitimité d’ailleurs: crois-tu qu’un état, comme la Suisse et tous les autres, dont la domination repose sur le principe du monopole de la violence, morale ou physique, soit légitime? Ne crois-tu pas qu’il est totalement utopique de croire que c’est en dansant dans les banques ou en embrassant des flics que le système capitaliste puisse être renversé? Personnellement j’en doute, et donc je te rejoins sur le fait que se réunir à la Ripponne le week-end pour une séance de masturbation intellectuelle collective pour ensuite rentrer bien satisfait de soi s’affaler dans son canapé Ikea en regarder les infos de Darius et retourner travailler le lendemain, ça ne sert effectivement strictement à rien…

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        angeldust63
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         Bravo pour cette réponse Mike..je partage entièrement!

        Et il y aurait encore beaucoup à dire………..
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          Félix
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          En tant qu’auteur de cet article, je dois reconnaître que je connais mal la Suisse, et j’ai ici fait trop d’erreurs de généralisation. Je vous remercie d’ailleurs de vos commentaires.

          J’ai par contre vu les critiques qui ont suivi les indignés de Lausanne, de la part notamment du petit baron UDC local, si ma mémoire est bonne, les accusant de récupération politique :  l’article que j’ai ici publié se voulait un guide pour les déjouer, se basant sur le travail de documentation que j’avais effectué sur le mouvement indigné. Je ne croit pas que la vraie démocratie existe, je n’ai jamais affirmé cela. Je n’ai pas non plu pensé une seule minute que les règles du marché qui font marcher une grande partie du monde (clopin-clochant, je vous l’accorde) soient moins forte en Suisse qu’ailleurs.

          Mais tout ça est moins visible. 
          Et si le peuple peut attaquer les forces d’oppression, c’est par là même où elle sont visibles, c’est à ce moment que son combat sera diffusé. En Espagne, en France, En Grèce, les manifestants peuvent s’en prendre à un pouvoir très fort, comme vous ne l’avez jamais vécu. Les scandales touchant les classes politiques sont assez flagrants, exagérés, comme en Italie (où c’est un autre mouvement d’indigné, le peuple violet, qui prends la parole); pour que tous soient choqués sans que les médias ne puissent faire la moindre chose pour les sauver. Le pouvoir sait y être très violent, de par l’action de ses militaires (les CRS, comme les Gendarmes ou les Mossos d’escuadra, sont des militaires).  

          En Suisse, c’est beaucoup beaucoup moins visible, et de loin. 
          C’est pourquoi il faut s’en prendre à une autre représentation du pouvoir, pour montrer que l’on a compris leur jeu, et que l’on ne s’y fiera plus. Suis-je confiant en ce type de manifestations dans les banques, de leur répercussions ? Assurément. Car montrer que l’on a le courage de dire “Non !” eut déclencher chez d’autres la même volonté, ce qui sera utile, car nous détenons un pouvoir immense, qui est celui de noter consommation, de quelle importance soit-elle. Si il faut être vulgaire et parler argent, faisons. Et sachons profiter à ceux qui le méritent tout en blâmant ceux qui volent leur succès. 

          Je suis désolé de n’avoir pas de solution, j’essaie tout au plus d’apporter des fragments de réponse ! 

          • Avatar
            art
            |

            Car chaque mouvement de contestation de grande ampleur a une origine simple: la misère, qui sévit au Portugal, en Grèce ou en Espagne (ou dans les pays acteurs de «la révolution arabe»). 

            J’ai arrêté de lire ici, évidemment tu n’as vraiment pas compris les motivations derrière les contestations européennes. C’est le provincialisme suisse à l’origine d’une vision si préjugée.   

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