Chère rédaction du 24heures,
Je ne vous lis pas. Parce que je l’avoue : je me contrefiche de la plupart des sujets que vous traitez. Je ne suis pas du tout intéressé par l’actualité “sérieuse”. Les sujets graves, politiques et économiques, ne parviennent généralement pas à générer beaucoup de réflexion chez moi. Ils me paraissent le plus souvent superficiels, ennuyeux, répétitifs. Totalement hors de mon contrôle, de toute manière. Même lorsque des fondamentalistes perpètrent un nouvel attentat ou lorsque la BNS abandonne le taux plancher, je ne m’emballe pas… En quoi toutes ces choses me concernent-elles ? J’ai suffisamment de soucis personnels, et j’y réfléchis déjà trop, sans vouloir en plus me charger de ceux du monde.

Après une dure et interminable journée de travail, pourquoi prolonger la torture en s’informant des tourments de la société, qui sont absolument infinis, généralement incompréhensibles, le plus souvent tout à fait insolubles ? Alors que je ne parviens même pas à saisir vraiment quels sont mes propres problèmes, et que je suis le plus souvent trop lâche et paresseux pour entreprendre quoi que ce soit afin de les résoudre ? Non vraiment, le temps libre est fait pour se détendre et se reposer, pas pour se triturer le ciboulot inutilement. L’existence est décidément un fardeau déjà bien trop lourd, et je préfère l’humour et la dérision afin de l’alléger… A la radio par exemple, j’ai toujours préferré me marrer un bon coup en écoutant le dernier sketch de François Pérusse plutôt que le dernier flash info. De même, jusqu’au milieu de l’année passée, il n’y a qu’une raison qui me poussait à saisir votre journal quand je tombais dessus. Je me contentais de le retourner pour y regarder le seul travail de qualité, celui du grand maître caricaturiste Burki, afin de m’esclaffer. J’ai d’ailleurs écrit un article sur le départ à la retraite du bonhomme (à lire ici), tout endeuillé que j’étais – car la fin des dessins de Burki représente une plus grande perte, à mon avis, que celle de tous les dessinateurs assassinés de Charlie réunis, paix à leur âme cependant !
Monsieur Junod a ainsi élaboré un projet complètement dément : monter un spectacle intitulé “La Voix du Peuple” avec pour seul texte, ou presque, des extraits judicieusement choisi dans votre courrier des lecteurs. Il a dû se coltiner un travail colossal de lecture, de tri, de sélection… Sur la base de plus de 1500 lettres étalées sur une période de dix ans, il a groupé les opinions et autres coups de gueule du peuple suisse par thèmes : les impôts, la religion, le bon sens, les chiens, la circulation,etc…

Je suis allé ce mardi à la première du spectacle que Junod a concocté, à la Grange de Dorigny. Eh bien je peux vous dire que le résultat final est extrêmement réussi. Les textes sont interprété par quatre comédiens très talentueux, follement énergiques et idéalement complémentaires. Et ils ne se contentent pas de réciter, loin de là. Certaines scènes leur demandent au contraire un gros investissement physique… Entre séances de psychothérapie, achats dans un supermarché, courses effrénées et pas de danses, Junod n’a pas manqué de créativité pour mettre en scène le courrier des lecteurs.
Pas de spectacle réussi cependant sans un bon texte, et le Peuple est fort, très fort. C’est que vos lecteurs, bien qu’ayant des cheminements de pensée souvent effarants, s’expriment plutôt bien à l’écrit. On s’inquiète parfois de la prolifération du langage sms, qui serait prétendument susceptible d’abrutir notre jeunesse. Mais qu’on se rassure : la bêtise humaine n’a pas besoin du language sms pour s’exprimer, on en est complètement convaincu après avoir regardé : “La Voix du Peuple !”. “Les deux minutes du Peuple” de notre ami Pérusse sont désormais surclassées. On rit d’autant plus qu’on se trouve face à du réel, des gens ont VRAIMENT pensé et cru les bêtises qu’ils ont écrites. Sans avoir toujours pris le recul nécessaire, on l’espère en tout cas…


Quelques esprits chagrins reprocheront à la Voix du Peuple de faire trop rire justement, et que les choix des textes n’ont été faits que sur ce seul critère, au détriment d’une réflexion plus fine et intellectuelle sur les modes de pensée du peuple suisse. Je balaie ce reproche. Le spectacle représente à mon avis assez bien tous les bords, en donnant certes les exemples les plus inouïs. Pour moi, “La Voix du Peuple” est peut-être un spectacle populaire, mais dans le meilleur sens du terme. Comme je l’écris au début de ma lettre, pourquoi toujours vouloir alourdir notre esprit plutôt que l’alléger ? La Voix du Peuple est une invitation à remarquer avec hilarité toute les absurdités et les contradictions de notre société et de nos contemporains qui la composent.
Et pour ceux qui veulent en savoir plus :
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