Les aventures d’Indiana Proche ou la disparition des Space Invaders

Les aventures d’Indiana Proche ou la disparition des Space Invaders

En voilà un à qui notre slogan sied comme un gant ! Depuis quinze ans, Pierre Corajoud redécouvre incessamment Lausanne au gré de ses flâneries. Explorateur dans sa propre ville, cet amoureux des chemins propose anecdotes et balades insolites à qui veut bien prendre son temps.

Tout a commencé un soir de pluie battante. Les rafales éclairées par un lampadaire posèrent une lumière nouvelle, presque cinématographique sur l’entrée d’un ancien hôtel, non loin de chez lui. « Je ne l’avais jamais remarqué auparavant. Ca m’a donné une sensation d’évasion énorme, et j’ai réalisé qu’il n’y avait finalement pas besoin d’aller bien loin pour avoir le sentiment de voyager » commente-t-il. Précisons qu’easyJet et autres transports low cost n’existaient pas en ce temps. « J’ai alors décidé de partir de chez moi au petit bonheur la chance pour redécouvrir ma ville. Pendant des mois, j’ai essayé tous les chemins possibles, même les culs-de-sac, et dans tous les quartiers j’ai déniché des endroits sympas que la plupart des Lausannois ne connaissaient pas. » Pierre Corajoud alors âgé d’une vingtaine d’années sort ainsi son tout premier guide en 1997, accompagnant qui veut sur les neuf parcours qui s’y dessinent. Celui qui se décrit comme un « aventurier du proche » n’a depuis cessé de partager ses balades insolites et les flâneurs répondent à l’appel. Près de 4000 personnes l’ont suivi l’année dernière ! Seule ombre au tableau : son éventuelle implication dans la disparition des extraterrestes… Je sais, le suspense bat son plein, mais nous y reviendrons plus tard.

« Être dans les lieux avec un regard neuf, candide, d’enfant, sans intellectualiser, juste vivre ses émotions. » Voilà comment il me décrit sa démarche. « Au début, les gens me prenaient pour un fou ! C’est peut-être aussi parce que j’étais jeune. » Du coup, malgré un succès immédiat auprès du public, les soutiens financiers ne se sont pas bousculés. Pendant cinq ans, Pierre a mené sa barque tout seul, organisant des balades publiques à son compte et écoulant ses livres sur le marché. Aujourd’hui, il ne travaille pratiquement que sur mandat, sollicité tout au long de l’année ! Un succès qui l’étonne encore et qu’il explique par l’évolution de notre société : « Sans vouloir faire de la sociologie à deux balles, je pense qu’on est dans un monde de plus en plus compliqué, stressant, technologique. Alors évidemment, il y a un retour à des choses simples comme faire son pain ou se balader. » Et ça fait quinze ans que ça dure ! Une longévité qui interroge : Les ruelles de Lausanne sont-elles inépuisables ? « Non, dans mes balades beaucoup de choses reviennent d’année en année, c’est le regard qui change. » Et à force de s’y rendre, de les dévoiler, certains endroits ne risquent-ils pas de perdre leur charme ? Et c’est là que le bât blesse.

Souvenez-vous, en 2009 le LBB vous parlait d’Invador, un artiste qui sillonne les rues du monde entier – y compris celles de Lausanne – muni de pixels de céramique pour y installer ces petits extraterrestres tout droit sortis d’un jeu vidéo. Eh bien notre explorateur ne les a pas manqués et les a même adoptés. « J’ai trouvé ça génial parce que ça permettait justement de redécouvrir des espaces connus de tous, sous une autre échelle. Alors quand j’en ai découvert un ou deux, j’ai commencé à chasser les autres. Il y en avait 19 ! » De cette quête est née un nouveau projet lancé l’année dernière : la balade des extraterrestres. « Le public s’est ouvert, il y avait des jeunes, des enfants, des adultes qui se sont pris au jeu comme des gamins en cherchant les extraterrestres. C’était génial ! Jusqu’au mois de novembre où j’ai découvert qu’ils avaient disparu. » Ils ont été entièrement détruits et remplacés par d’autres mosaïques, « moins belles » me dit-il, « et je m’en mords les doigts même si je ne pouvais pas vraiment le prévoir, c’était un risque à prendre en dévoilant leur emplacement. » Une disparition passée totalement inaperçue, et des auteurs inconnus qui devaient être sacrément motivés, sachant que certaines mosaïques se situaient à 7 mètres de hauteur.

« Mais ça reste un cas très particulier, cet art était conçu pour être éphémère. Le remplacer c’est presque la suite logique. Par exemple lorsque je fais une balade qui tourne autour des arbres, je n’ai pas peur que quelqu’un vienne les arracher plus tard ! » conclut Pierre en souriant. Pas de frein donc pour les balades envisagées en 2012, dont le programme sera dévoilé dans le courant du mois de mars. Notre entretien touchant à sa fin, je ne pouvais m’en aller sans demander à ce grand connaisseur de la ville quel y était son coup de cœur. « C’est comme les enfants, » me répond-il. « Difficile de dire quel est le préféré ! Mais s’il fallait choisir, pour moi, l’un des plus beaux lieux sur terre est l’Hermitage. On y trouve tant de choses ;  une belle maison, un parc à l’anglaise, et surtout ce jeu entre la nature et la ville, tantôt cachée, tantôt présente selon les saisons. La trouée dans les arbres laisse apercevoir la cathédrale et le lac, et puis il y a le plus bel arbre à des kilomètres à la ronde, un hêtre pleureur qu’on a laissé pleurer, tout simplement magnifique. »

À tous ceux que ça laisse songeur, je vous invite à redécouvrir Lausanne sous toutes ses formes. À travers ses motels, ses reflets ou sur les traces du passionné Pierre Corajoud. À tous ceux qui s’étonnent de la disparition passée sous silence de nos extraterrestres lausannois, je vous dis : affaire à suivre.

3 Responses

  1. Avatar
    Fleks
    | Répondre

    Ca donne envie de partir une fois redécouvrir sa ville

  2. Avatar
    Mum
    | Répondre

    Belle idée pour découvrir une ville où il est si facile de se perdre

  3. Avatar
    Rachel
    | Répondre

    Je viens de m’apercevoir aussi de la disparition des Space Invaders. Je suis en colère. Grâce à la brochure, j’ai déambulé avec plaisir dans Lausanne à leur recherche. Il m’en manquait encore quelques uns. Je continuerai avec plaisir à les traquer (avec mon appareil photo), à Genève, Fribourg ou Paris.
    Merci à Pierre Corajoud pour tous ses guides.

Répondre à Fleks Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.