Les Ateliers de Bellevaux : où l’art se fait

Les Ateliers de Bellevaux : où l’art se fait

Posté dans : Culture, Lausanno-lausannois 0
Lausanne est ville de culture, c’est redondant de le dire. Pourtant, on parle plus souvent des lieux d’exposition que de ceux de production. Pour y remédier, je suis allée rendre visite à Emma Lucy Linford aux Ateliers de Bellevaux. Au détour des quelques 1000m2 répartis en ateliers et espaces de travail, on croise des artistes établis et des jeunes graines. Tous permettent de faire perdurer le dynamisme créatif de la région.

Pousser la porte du 27 chemin d’Entre-bois, c’est faire se déplacer, ne serait-ce qu’un peu, le réel et le présent. Bienvenue aux Ateliers de Bellevaux, vivier culturel et créatif perché entre Sauvabelin et la forêt d’Entre-bois, urbain mais un peu à part. Le lieu a le caractère d’une hétérotopie. Il est à la fois hors du monde et en son sein, puissamment, puisque l’art parle de la vie, de nos vies, inscrites chacune dans un ensemble social, politique ou poétique. 

27 ch. d'Entre-bois
27 chemin d’Entre-bois.

1000 m2 pour l’art
Le lieu existe depuis 2004 et regroupe à l’origine une quinzaine d’artistes d’horizons divers. Ils se partagent 500m2 – soit un étage entier du bâtiment occupé par la Société Générale d’Affichage – et y installent leurs ateliers. Le regroupement se constitue en association et survit sans aucune contribution financière de la ville. En 2015, ses membres parviennent à négocier un nouvel espace, en bas de l’escalier métallique qui dessert le bâtiment depuis l’extérieur, et sont rejoints par les artistes de Fer de Lance.  Cet « en-bas » représente 500 m2 supplémentaires qui sont répartis entre de nouveaux espaces de travail et trois lieux communs : un atelier d’impression, un atelier de maquette ainsi qu’un espace d’exposition polyvalent. Actuellement, c’est Christian Girard qui expose ses toiles évanescentes, et son accrochage installe un temps de suspension au sein d’un lieu en bruissement perpétuel. Tandis que l’atelier d’impression et l’espace d’exposition font l’objet d’une subvention, le reste existe grâce au financement participatif et au loyer – modeste – dont s’acquitte chacun de ses occupants.

Labyrinthe des merveilles
Emma Lucy Linford a accepté de me guider dans ce dédale. Elle, elle occupe un atelier « en haut », avec quatre autres personnes. Un « coup de bol » tant les places y sont convoitées. En effet, dans les locaux d’origine, les artistes sont généralement plus établis, ancrés dans leurs pratiques depuis plusieurs années. Les ateliers sont fermés, souvent individuels et disposés symétriquement de part et d’autre d’un long couloir. Une petite cuisine et un lieu commun permettent néanmoins des rencontres imprévues et des discussions collectives. En bas, la partition des espaces est plus légère, faite de cloisons arrêtées, d’étagères, de murs sans portes et d’espaces ouverts où l’on s’accommode avec joie de la cohabitation. Tout a été construit grâce à l’énergie collective et par les occupants eux-mêmes. Il y a dans cet arrangement spatial un aspect presque organique et les choses bougent plus souvent qu’en haut. Les artistes eux-mêmes y sont parfois de passage, encore un peu nomades, souvent émergents et quelquefois toujours aux études. Emma m’emmène de lieux en lieux, s’excusant systématiquement du « cheni » qui y règne. Je trouve au contraire que l’apparent chaos ambiant donne une teinte particulière à chaque détour. Les univers des artistes s’y côtoient sans se confondre. Leur énergie créative rejaillit sur toutes les surfaces de l’espace. Ici, les inspirations et les collections se mêlent aux esquisses, aux essais, aux erreurs fertiles et aux pièces plus abouties.

 

 

Une pluralité de profils
Aux ateliers de Bellevaux, on rencontre des profils aussi différents que complémentaires. Dans un grand canapé, un peintre discute avec une sculptrice. Plus loin, un architecte est attablé avec un photographe et parle cinéma. Ils sont rejoints par une curatrice qui vient de fumer une clope avec son voisin. Lui est réalisateur justement. On y fait milles rencontres et tous sont unanimes sur l’avantage du collectif, de l’interdisciplinarité et de l’entraide. Quelques fois des oeuvres hybrides voient le jour dans ce chaudron où tous les arts se côtoient. Le plus souvent, ils se donnent simplement un coup de main pour illustrer une brochure, photographier un travail, exposer une pièce. Les Ateliers de Bellevaux, c’est un lieu mais c’est surtout un réservoir de talents, un espace habité. Pour qu’il soit incarné, j’ai lancé un appel ouvert aux quelques 45 artistes ou designers qui y développent leur pratique. Je leur ai demandé de se présenter, de me parler en quelques lignes de leur travail et de m’envoyer une image. Je souhaiterais conclure avec cette galerie de portraits à grignoter (ou dévorer) à l’envie.


.

« Pures, brutes et libérées, mes pièces prennent forme à l’aide de la technique du crochet et à travers l’expérimentation de diverses matières. Chaque sculpture est nourrie d’écrits avec lesquels j’érige ma théorie des espaces des rêves et de la pensée. L’écriture et la matière ont une place de protagoniste dans mon travail. Je tisse les mots tout comme je tisse la matière. Ainsi, langage et substance se mêlent et s’entremêlent, voilent, dévoilent ou dérobent les formes de la pensée. Oscillant entre abstraction et figuration, je tente de créer un paradoxe entre les pièces elle-mêmes dans le but de donner des clés de lecture sans jamais dévoiler les valeurs intrinsèques de l’œuvre. Par ce biais, je laisse une marge d’interprétation au spectateur tout en préservant le secret contenu au cœur des sculptures. » Emma Lucy Linford

.

« Il y a la transcription d’un espace où il serait possible de dire l’événement, peut-être comme un silence. Cet événement qui semble un passage dénudé, simple, une quête d’ouvert. L’ouvert lui-même

Nous savons la tension et l’instant contraire, où cela bascule, et cela bascule, où cela se ferme, et cela se ferme.

Il y a la transcription d’un espace où il serait possible de vivre, de contempler, de reconnaître l’instant suspendu, son milieu, la couleur et les seuils qui se forment à son abord ; où le rapport des couleurs en cette lisière appellerait quelque chose de tous rapports. » Christian Girard

.

« Après une formation de peintre en bâtiment, je décide de mettre ma passion et ma technique au service d’un domaine en constante évolution: la peinture décorative. Cette dernière est, pour moi, le catalyseur d’une nécessité créative; elle me permet d’exprimer ma sensibilité et entraîne – avec elle – toute ma concentration. Ordonnée et soucieuse du détail, diversifiée dans mes collaborations, je considère chaque projet comme une opportunité de m’exprimer et de m’épanouir artistiquement. » Lola Sacier

 

 

« La BD est un objet destiné à être vue par d’autres, par conséquent, la notion de partage est primordiale. » Kevin Crelerot se glisse au cœur de sa pratique inhérente: le dessin. Sa patte est reconnaissable entre mille. Stimulé par la richesse des pratiques qui cohabitent aux ateliers de Bellevaux, ce dessinateur curieux, passionné, habité s’extirpe peu à peu de sa technique académique pour tendre vers un univers artistique qui lui est propre. Pour lui, le dessin est avant tout, une expression personnelle issue de ses réflexions et observations sur le monde. Emma Lucy Linford présente Kevin Crelerot

.

« Je cherche à composer, par le geste, des scènes réalisées à partir de souvenirs divers. Il s’agit de peindre un paysage, une figure et la lumière. Ni modèle, ni esquisse préparatoire. La scène d’ouverture de The Offender, de Beth B, se mêle à une anecdote téléphonique alpine vécue par mon grand-père lors de son service militaire, pour prendre place sur une plage des Caraïbes. Un moulage de coquetier traînant dans l’atelier ou un canard du lac Léman pourraient aussi faire partie de la scène. Ces compositions se regroupent par unité de lieu et d’action, formant un ensemble. Cela me permet d’entremêler récurrences et suspensions, de chercher des points de jonction ou de rupture et de penser l’agencement des éléments. » Léonore Thélin

.

« Formé à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève, je tourne depuis 2009 des films – principalement documentaires – en indépendant. Mes projets sont pour la plupart autofinancés, le choix des sujets totalement libre. Je m’intéresse à ce qui est de l’ordre de l’expérience intérieure du monde et de notre relation à la dite banale réalité. Mon background multiculturel (chileno-suisse) me pousse toujours à envisager les lieux communs sous un angle différent, à la recherche de leur beauté cachée et surtout du partage possible avec les autres – de la pré-production au partage avec le public. » Jean Paul Fuenzalida, réalisateur

 

 

« Je suis ce que je fais. », murmure Selim Boubaker. Sur ce postulat, je ne me permet plus de discuter la richesse, la sensibilité et la sincérité de cet artiste aussi surprenant qu’inclassable. Telle une quête identitaire, la question de l’inhérent est la source de toute son œuvre. Brut, pur, intrinsèque. Emma Lucy Linford présente Selim Boubaker

.

« Je travaille avec des dessins de grands format autour de la question de la perception de l’environnement et de la reconstruction mentale du paysage. Mes dessins aux crayons gris sont composés à partir de tableaux anciens, de photos privées, mais aussi d’instruments optiques qui cadrent, grossissent, déforment et que j’aborde donc comme des visages. Actuellement et jusqu’à la fin de l’année, mes travaux sont exposés à la galerie Locus-Solus à Prilly. » Noémie Doge

.

« Le design graphique se définit pour moi par l’échange, la confrontation d’idées, d’outils et de supports. Il est question de fabriquer des images par des moyens high et low-tech. Je cherche à développer une attitude multi-disciplinaire qui provoque la rencontre des procédés, sans rupture entre les phases de conception et de production. Engager une collaboration étroite pour transformer la relation client-designer en dialogue. J’aime imaginer un graphisme engagé, doucement subversif. Je vois le design comme une chimie qui observe notre environnement. Il est pour moi comme une invitation à chercher, se projeter pour ouvrir de nouvelles perspectives, investir l’espace public et susciter le débat. » Alice Vodoz

.

« Étudiant en architecture, je suis passionné de design industriel et de conception globale. Ma démarche vise à faire parler mon imagination en investissant l’espace, en créant une spatialité respectant la dynamique de l’environnement ainsi que les lignes souhaitées. Imaginer, créer, dessiner et réaliser est rendu possible au sein des ateliers de Bellevaux. » Charles Jenny

.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.