Le romand pour les nuls – leçon VII

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Les francophones non-helvétiques imitent souvent l’accent suisse. Mais savent-ils parler le « Suisse » ? Voici quelques notions à destination des voyageurs de passage à Lausanne…

Ce qui est fascinant avec une langue, c’est que personne ne parle exactement la même. Bien sûr, les Suisses romands parlent le français (ok, j’admets que la première fois que j’ai rencontré un valaisan, je n’étais pas aussi affirmatif – mais j’ai appris par la suite à les comprendre, et à les aimer aussi). Pourtant, chaque suisse romand personnalise ce français et y glisse ces petites expressions inutiles qui lui donnent une couleur. Le très célèbre « ou bien » que l’on rajoute à la fin d’une phrase en est l’exemple parfait : pas besoin d’être linguiste pour comprendre que l’information supplémentaire qu’il véhicule est inférieure au nombre de cheveux que compte la tête à Mathieu. Pourtant, les Suisses romands « ou-bien-isent » à tour de bras.

L’adolescence est la période magique des expressions inutiles. Moment communautaire par excellence, il voit les jeunes développer un langage commun typé, ce qui permet de les reconnaître dans le métro avant même d’avoir vu leur look émo. Dans le domaine des tics de langage, il faut reconnaître que nos adultes en devenir rivalisent d’ingéniosité. Dans les débats nourris auxquels il a eu la chance d’assister dans les toilettes du Romandie samedi dernier, Mehdi a peut-être entendu quelques-unes de ces expressions. Passons-les en revue.

Une notion récurrente dans les discussions d’ados est l’hypocrisie. Au contact de ses congénères, le pré-pubère découvre avec horreur que l’être humain est doué de la capacité de mentir et simuler des émotions. Atterré, il jure ses grands dieux qu’il ne s’abaissera jamais à de tels procédés et tente de les déceler chez ses camarades. C’est ainsi qu’on pouvait entendre dans les toilettes du Romandie samedi soir :



“Sonia c’est tellement une hypocrite ! Quand on est à deux, elle est hyper sympa avec moi et me dit qu’on est « best am’s ». Mais dès qu’elle traîne avec Julie et les autres, elle arrête pas de casser sur mon dos !”

Tout à son engagement moral, l’adolescent a une autre obsession : le respect. Alors qu’il n’est pas plus tolérant que son alter ego enfant ou adulte, le Minipouss s’échine à dire qu’il respecte tous les hommes et toutes les choses dont Dieu a jugé bon de remplir la Terre. Cette lubie peut parfois tourner au paradoxe :



“Oh Michal il me fait chier. Je l’aime pas, et je l’emmerde. C’est qu’un fils de sa maman. Mais je le respecte, tu vois.”

Ne rions pas, car la vie des ados est dure. Elle est peuplée d’abus et d’agressions :

“- Oh, tu as vu comment le contrôleur CFF il m’a agressé ou bien ?!”
“- Ouais, c’est abuser.”

Mais malgré tout cela, les jeunes sont admirables, car ils assument. Quoi, au juste ? Pas grand-chose, si on considère qu’ils sont logés et nourris et que la seule exigence qui pèse sur eux est de réussir quelques malheureux examens. Leur principale inquiétude est de se brancher des jeunes du sexe opposé et de charger le top 50 sur leur Ipod :

“Ben oui maman, j’ai raté mon année, mais je m’en fous, j’assume !”

En grandissant, l’adolescent abandonnera progressivement ces expressions charmantes, mais ce sera pour en retrouver d’autres. Quittons les toilettes du Romandie et rendons-nous dans le TSOL qui emmène les étudiants universitaires vers leur marécage d’Ecublens. Si vous tendez l’oreille, vous vous rendrez compte qu’il existe de multiples manières d’exprimer l’affirmation.

“Complètement / À fond / D’office / C’est clair / Oublie / Hallucinant.”

Essayez, vous verrez : il est tellement facile d’utiliser des expressions inutiles quand on peut simplement dire « oui » ! Un mot, trois lettres, ce serait grossier de ne pas trouver une réponse plus élaborée.

Le Suisse romand ne démérite pas dans la production et l’utilisation d’expression inutiles. En voici un petit florilège : 

1. « c’est net » : petit passe-partout utilisé pour renchérir :

“– La Patrouille des Glaciers, c’est un truc pour les militaires ou les valaisans. En fait, c’est un truc pour les militaires valaisans.”
– C’est net.”

2. « tellement » : adverbe utilisé pour marquer l’insistement. 

“– Ces genevois y sont tellement grandes gueules !
“– Ah ouais mais oublie quoi.”

3. « assez » : adverbe insupportable utilisé pour modérer toute affirmation. Très suisse, il permet de faire du compromis, de ne jamais être dans l’affirmation franche, de cultiver l’indécision :



“Ce week-end je suis monté en Valais, je me suis fait un 3000 en peaux de phoque avec des potes, on avait une belle vue sur les Alpes et la vallée du Rhône, il faisait grand beau… c’était assez bien.”

4. « c’est chou » : horripilant synonyme de « c’est mignon ». Le filon est tellement exploité qu’on craint qu’il n’en restera bientôt plus. Mais des experts disent qu’on pourra toujours trouver de nouveaux gisements… :

“– Je te présente mon fils.”

“– Oh, c’est chou !”
“– Il a trois ans.”

“– Oh, c’est chou !”

“– Oui, enfin c’est juste un être humain comme un autre.”

“– Oh c’est chou !”

5. « si tu veux bien » et « j’entends » : petits tics de langage, à emporter avec soi et à placer n’importe où quand on a un petit creux (de phrase). Ainsi, la simple affirmation suivante :


“La Suisse est une Confédération.”


peut ainsi se transformer en :



“Non mais j’entends, la Suisse, si tu veux bien, c’est une Confédération.”

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Etienne

5 Responses

  1. Avatar
    funambuline
    | Répondre

     Entre le “si tu veux bien” et le “j’entends” je m’avoue coupable du “tu vois” et je ne suis pas la seule, crois-je.

    • Avatar
      Anonyme
      | Répondre

      le “ou bien” est-il aussi usité que ce qu’on dit, ou est-ce un cliché, comme le “une foué” dont les Français abusent lorsqu’ils imitent les Belges ?

      Petite remarque, en rapport avec le com précédent : l’auteur de cet article use et abuse des “tu vois”… Hein dis Nétienne ?

      Ah ah

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        etienne_doyen
        | Répondre

        Le “ou bien” est effectivement utilisé, pas une phrase sur deux, mais suffisamment pour qu’on le remarque en venant de l’étranger et pour que votre serviteur juge digne de vous le rapporter. Idem pour le “une fois” belge.

        Pour ce qui est de l’abus du “tu vois”, c’est fort probable mais vous me l’apprenez très cher..

  2. Avatar
    mdamejo
    | Répondre

    A part “c’est chou”, je suis pleinement coupable de tous ces délits. Et multi-récidiviste en plus.

  3. Avatar
    Pierre ALAIN
    | Répondre

    C’était “assez” bien, contrairement à l’analyse qui en est faite ci-dessus, signifie plutôt, c’était merveilleux. Comme on dirait ce serait quand même “pas mal” de décrocher le gros lot, par exemple.
    Par ailleurs,”ou bien” utilisé après une question, suggère plutôt qu’il s’agit d’une évidence que l’on veut souligner. On y ajoute parfois “quoi”. Exemple: Tu marches avec nous ou bien (quoi) ?

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