Le romand pour les nuls – leçon I

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Les francophones non-helvétiques imitent souvent l’accent suisse. Mais savent-ils parler le « suisse » ? Voici quelques notions à destination des voyageurs de passage à Lausanne…

Il y a un an, après plusieurs heures de train, je posais le pied sur le quai de la gare de Lausanne. Pour le Belge que je suis, l’un des premiers chocs culturels fut la langue… Grosso modo, ma réaction fut celle-ci : « tiens, c’est du français… mais pas mon français !? ». Ça se peut, ça, docteur ?

La différence avec « mon » français réside tout d’abord dans l’accent, bien sûr. Il s’agit du bel accent vaudois, avec cette façon particulière d’énoncer les phrases comme on raconte une histoire. C’est généralement cet accent que les étrangers utilisent pour imiter « l’accent suisse »… avec plus ou moins de succès (accent suisse qui n’existe pas, je l’ai appris par la suite, tout comme il n’y a pas d’accent belge ; il y a plutôt un accent vaudois, un accent valaisan, un accent jurassien, etc.).

Outre l’accent, la différence la plus marquante et la plus drôle se trouve dans le vocabulaire et les expressions. La première fois que l’on m’a adressé un « tchô Etienne, ça joue ? », j’ai eu peur. Je me suis retourné, pour voir s’il n’y avait pas quelqu’un derrière moi. J’ai pensé que je pouvais aussi être victime d’une caméra cachée, et j’ai cherché autour de moi un objectif ou un micro. Et puis, comme l’autochtone qui avait prononcé ces mots continuait à me fixer avec l’air de quelqu’un qui attend une réponse, je me suis dit que cela devait être la façon locale de me souhaiter une bonne journée – ou quelque chose comme ça.

Après de multiples malentendus et d’épisodes d’incompréhension, je suis parvenu à comprendre l’idiome romand. J’ai beaucoup progressé, et j’arrive désormais à me comporter plus ou moins normalement en société.

Pour toi lecteur, voici le fruit de ce travail autodidacte. Derrière cette simple liste de mots se cachent de longues heures de recoupements, d’interprétation et d’hypothèses… J’espère que tu pourras apprécier à sa juste valeur le cadeau que je te fais !

1) «Tchô » signifie ciao, salut. C’est vraiment quelque chose de typique en Suisse romande, utilisé à la fois pour dire bonjour et au revoir. Attention, cela reste familier : la vendeuse d’H&M risque de vous regarder d’un drôle d’œil si vous l’utilisez en quittant le magasin. Voilà, chers amis francophones, d’où vient le fameux « tchô » de Titeuf… C’est parce qu’il est suisse ! Variante : « tchô bonne », qui équivaut à « salut bonne soirée », mais qui peut aussi vouloir dire « salut bonne balade le long du Léman et surtout fais attention aux rollers donc on se voit dimanche prochain » ou encore « salut bonne bourre ». Ce qui est cool avec les ellipses, c’est que chacun choisit ce qu’il veut entendre.

2) Un incontournable : « Salut, ça joue » ou « Je passe à 10h, ça joue pour toi ». Il s’agit de l’équivalent du « ça va ». Il peut également signifier « ça marche, ça fonctionne ».

3) Typique également, l’adverbe « monstre » Vient sûrement de monstrueusement. C’est l’équivalent d’« hyper » ou de « vachement ». Ainsi : « c’est monstre-cool! » ou « c’est monstre-cher! ». Cela semble plus être un langage de « djeun’s », je ne pense pas que Daniel Brélaz le dirait en interview à la radio.

4) Attention les oreilles… A Lausanne, le chiffre 80 se dit « huitante » alors qu’il est prononcé « quatre-vingts » en France et en Belgique. L’utilisation de « huitante » n’est pas une généralité romande, car à Genève, à Neuchâtel et dans le Jura, on dit « quatre-vingts ». En Suisse romande, 90 se dit « nonante », comme en Belgique et contrairement à la France où l’on dit « quatre-vingts-dix ». Quand on vient d’un autre pays francophone, le « huitante » est légèrement déconcertant au début…

5) Un « Natel » est un téléphone portable. Le mot est issu du réseau de Swisscom qui porte (portait ?) le même nom. Il semble que chaque pays ait sa propre manière d’appeler ses petits engins, puisqu’il s’agit d’un « portable » ou d’un « mobile » en France, d’un GSM en Belgique et d’un « cellulaire » au Québec. Cela ne résoud pas la question existentielle suivante : ils envoient des SMS ou des textos ?

6) « Tu peux utiliser le téléphone sans autre » signifie « sans souci, sans problème ». Il faut comprendre « sans autre considération », petite ellipse. Tout comme « tchô bonne », c’est un peu déconcertant au début… J’attendais toujours un mot qui ne venait pas : « Sans autre QUOI ?? Sans autre.. ornythorinque / balai à chiottes / aspirateur ??? ».

Voici déjà la fin de cette première leçon du « Romand pour les nuls ». Grâce à ces quelques mots, toi lecteur qui n’est pas suisse, tu pourras survivre dans l’univers romand. Envie d’en apprendre plus ? (Je te le conseille, car avec six mots, tu n’iras pas loin…) Rendez-vous à la deuxième leçon !

Etienne

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Etienne Doyen

10 Responses

  1. Avatar
    manuela
    | Répondre

    Felicitations ! Apparemment tu as tout à fait intégré ce jargon qui fait le charme de notre petit pays romand… Question : pour quel accent as-tu opté ?

    • Avatar
      etienne_doyen
      | Répondre

      Ah, très bonne question! Disons que je n’ai pas choisi d’accent, mais qu’il s’est plutôt imposé à moi! Je suis fort marri… Je pense qu’il s’agit d’un accent vaudois, puisque je travaille à Lausanne et que je fréquente majoritairement des vaudois.

      J’aurais peut-être l’occasion d’y revenir, mais cela fait toujours bien rire quand en Belgique je reviens avec un accent suisse… c’est fou comme ça s’attrape vite!

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    dani
    | Répondre

    Hi hi hi… excellent !

    Mais je vous envie la “loque à reloqueter” !!!! 😉

    • Avatar
      etienne_doyen
      | Répondre

      Merci, content que ça te plaise! et ce n’est pas fini…

      Effectivement, nous avons des “loques”.. terme pouvant signifier plusieurs choses, mais équivalant entre autres à la “panosse” romande. Je pourrais, à l’occasion, faire un post sur les belgicismes, il y a matière;)

      • Avatar
        dani
        | Répondre

        Un lexique belge-suisse ?  😉

  3. Avatar
    régine Lamant
    | Répondre

    Merci pour cette première leçon. Nous profiterons de ces quelques nouveaux mots de vocabulaire lors de notre séjour en Suisse’romande’ la semaine prochaine!

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    mlle-cassis
    | Répondre

    Alors oui effectivement, question cruciale à laquelle personne n’a répondu: les romands disent-ils “texto” ou “SMS”? Eh bien nous disons, bien sûr, SMS! (sauf mon copain Arek – qui est comédien – depuis qu’il est à Paris mais c’est pour l’exportation donc ça compte pas). 

    Parmi quelques belgicismes que je vous envie:

    – la farde (nom générique pour tout objet dans lequel on peut stocker des documents, de la chemise en plastique au dossier en passant par le porte-documents)
    – le chipotage (action de chipoter, càs tripoter, bidouiller, bricoler un machin) et surtout….
    – le BROL (tellement plus classe que “bordel”) ex: “non mais c’est quoi ce brol!!!”

  5. […] Pour apprendre un peu de patois suisse romand, cliquez ici. […]

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    Le p'tit Jura-Bernois
    | Répondre

    Perso je dis jamais le mot monstre utilisé par ex. Dans c’est.monstre grand. Mais sinon “ça joue” toujours, “tcho” aussi,…
    Sinon y’a aussi “schynder” que personne ne sait (ça se dit dans le Jura-Bernois)
    La phrase je vais schnynder le moteur de mon boggey (je vais traffiquer le moteur de mon vélomoteur/scooter).
    Dans le Jura-Bernois le “on” se disent presque “en” mais un peu plus fermé (je sais ça veux rien dire)
    Perso je dis envoyer un message, c plus simple!

  7. Avatar
    Gallay
    | Répondre

    Je suis systématiquement sidéré de l’étonnement des Frouzes (autre régionalisme romand) qui disent que huitante et nonante, en Suisse romande, sont des quasiment des anomalies, voire des particularismes régionaux. Pourtant TOUTES les langues issue du latin respectent la manière étymologiquement parfaite de nommer ces chiffres. Les autres langues aussi.
    Wikipedia : En Europe, le terme quatre-vingts est préférentiellement utilisé en France et en Belgique. Ailleurs dans le monde, il est généralement employé par les pays francophones issus de l’empire colonial français et l’empire colonial belge.
    L’existence de ce terme semble s’expliquer par l’influence gauloise sur le français. Les Gaulois, en effet, comptaient par vingtaines et non par dizaines1. De ce mode de calcul proviennent également quatre-vingt-dix et soixante-dix – forme mixte de trois-vingt-dix.
    C’est cette survivance française du système vicésimal de numération qui est une particularité désuète, alors que les Français pensent que tout les autres ont tort (ce qui est une attitude on ne peut plus française, personne ne dira le contraire…)
    En italien ottatanta.
    En portugais oitenta.
    En espagnol ochenta.
    En roumain optzechi.
    Sans parler de langues germaniques, scandinaves, de l’anglais. De toutes les autres, en fait. Mais je ne suis pas compétent pour vérifier ce point pour les langues du monde.

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