Le Point V ( ; ) écrit le sexe au pluriel

Le Point V ( ; ) écrit le sexe au pluriel

Sept Lausannoises se lancent le défi d’unir leurs voix pour explorer leur rapport à la sexualité par l’écriture. Ceci est leur première nouvelle.

UNE AUTRE PEAU [1/2]

Alice, assise auprès de sa sœur dans l’herbe, commence à s’ennuyer de rester là à ne rien faire. Elle lèche son index pour attraper les dernières miettes de gâteau au citron incrustées dans le papier alu – vestiges de la fête d’anniversaire de la veille. C’est un dimanche qui se ressemble, entre prélassement et mauvaise conscience d’être improductive. Alice se lève de son linge en époussetant les brins d’herbe et les fourmis sur ses jambes.

– Tu m’accompagnes dans l’eau ?

– Vas-y sans moi, lui répond la voix cassée de Rachel, j’ai encore trop la gueule de bois pour avoir envie de me baigner.

Alice s’avance vers la rive sur la pointe des pieds, pour limiter le contact entre sa peau et le gravier du petit chemin qui sépare l’étendue d’herbe où se languit Rachel et la petite plage. Le sable lui brûle la peau, elle se hâte d’arriver au bord de l’eau où une vague vient caresser ses orteils.

Elle marche en direction du large et s’enfonce dans la fraîcheur du grand lac qui l’engloutit toute entière. La jeune femme nage, bien au-delà des bouées, puis fait la planche quand la fatigue s’empare de ses muscles. Elle reste ainsi une minute, à la frontière de l’eau et du ciel, les cheveux en soleil autour de sa tête. Elle a envie de se fondre dans cet environnement liquide.

Personne aux alentours.

Elle dénoue la cordelette derrière sa nuque et fait glisser sa culotte jusqu’à ses chevilles. Son maillot au bout des doigts, Alice s’abandonne aux flots et savoure la joie rare d’être nue sous le zénith. L’eau se fait soie, l’enveloppe et la caresse. Des frissons parcourent son corps entier. Elle prend une grande inspiration, ferme les yeux et se laisse couler vers le fond froid du lac. Le changement de température remonte le long de ses membres pour atteindre ses cuisses, là où Joaquín l’avait caressée la veille, en cachette, sous la table de la terrasse alors que la fête battait son plein. Le souvenir de son regard inquisiteur, de sa bouche entrouverte provoque une onde de désir qui vient se loger dans les parois de son sexe. 

Sans titre, Le Point V

Manquant d’air, elle remonte vers le bleu topaze de la surface et se dirige vers le radeau situé à une trentaine de mètres de la rive. Souple, elle se hisse hors de l’eau et s’étend sur les lattes de bois lisses. Le roulement des gouttelettes, le long de son cou, dans la vallée creuse de ses aisselles, derrière ses genoux, la ramène aux événements qui ont suivi les premiers effleurements des doigts de Joaquín. Elle se sent vibrer à nouveau. Imitant ses gestes à lui, elle pose une main sur son pubis et se délecte de la douce pression qu’elle y applique. Lentement, elle fait glisser son index vers l’ouverture de sa vulve, sa respiration s’intensifie et s’accélère, tout son corps se tend comme les cordes d’une harpe, dans l’attente de la délicieuse mélodie que ses doigts s’apprêtent à jouer. 

Alice ferme les yeux. Elle perçoit le clapotis régulier de l’eau contre le radeau et un léger grincement de toute la structure qui la soutient. Le mouvement de va-et-vient que la masse liquide applique au radeau semble se calquer sur celui de sa main. Saisie d’un étourdissement, elle ouvre les yeux sur un ciel imprégné d’une lumière d’après-midi. Une ou deux mouettes passent. Leurs cris rauques emplissent l’espace. Des images de la veille ressurgissent, tandis que la main décrit des cercles plus larges – lèvres, anus, cuisse, clitoris. Le sexe de Joaquín durci qui repose sur le ventre, patient, tandis qu’elle effleure son torse de ses ongles. Le velours de ses yeux plongés dans les siens. Une vague d’excitation parcourt le corps de la jeune femme, gagnant le sommet de son crâne qu’elle sent comme coiffé de milliards de petites antennes prêtes à capter le plus infime souffle d’air. 

L’onde continue sa course, se propage dans les plis du corps de la jeune femme, embrasse courbes et contours, laissant dans chaque muscle une douce tension, comme un appel à la délivrance, alors que les cercles tracés par ses doigts se resserrent. Accélérant le rythme de son va-et-vient, elle sent la lame la soulever, la crispation s’intensifier, ses orteils se recroquevillent sous l’assaut. L’image des longs cheveux de Joaquín qui reposent sur son ventre. Son visage enfoui entre ses cuisses. Sa langue qui dessine des lignes mystérieuses. Le supplice des mains qui descendent le long de ses jambes, pressant sa chair, massant jusqu’à ses pieds, apaisant et ravivant à la fois les contractions qui les animent. 

Les visions se succèdent dans un tourbillon, la jouissance affleure au bout de ses doigts qui s’agitent, et cependant l’assouvissement ne vient pas. Son corps semble soudain lui résister. Une inquiétude familière voit le jour dans son esprit, la même irritation rampante l’assaille. Les cris de mouettes se font insistants, le clapotis de l’eau qui la berçait jusqu’alors lui donne mal au cœur et le grincement du radeau devient assourdissant. Le froid lui fait rouvrir les yeux, ses iris se rétractent, éblouis par la vive lumière, et la frustration confuse de la veille la saisit à nouveau. 

Découvrez la seconde et dernière partie par ici.

  1. Avatar
    Kostas
    | Répondre

    Des dessins magnifiques! J’adore les couleurs, les lignes, le fond, tout! Les vendez-vous?

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