Le mercredi à Kinshasa : c’est le jour du PMU (1/2)

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Un mercredi après-midi dans un bar tenu par des Congolais, une simple alternative au billet Afriquiyah Airways pour se mettre en mode acounamatata. Direction rue de la Borde pour une pointe d'exotisme lausannois et un bon break dans un monde de stressés. PMU et philosophie carpe diem, un petit coin d'Okapi, un petit coin de Paradis?

Les couvre-chefs vissés sur les caboches, les bouches mi-ouvertes et les regards figés dans une même direction, une dizaine d’hommes en état hypnotique fixent l’écran plat de l’Okapi bar. Le suspense est à son comble et les publicités suivies des bla-bla infinis du commentateur font encore languir les clients parieurs. Au bout des tickets blancs du PMU pendent des rêves, le jour de chance ne tient qu’à quelques galops. Les chevaux fous s’élancent enfin. Un type se lève de sa chaise en criant à “Rombaldi” n°5 : «Si tu gagnes, je t’emmène au Cameroun!», un autre, cramponné à son verre de bière, “tippe” pour insulter l’animal sur lequel il a placé ses espoirs et surtout une part de ses économies: «Pchit, tssss…nul-nul-nul!». Une fois la course terminée, seuls les soupirs de déception l’emportent, mais à l’Okapi on ne désespère pas, le prochain pari sera le bon. 

« Le temps c’est comme une flèche, si tu ne le tues pas, il te tue »

Du haut de mon tabouret bancal, je constate que je suis la seule femme du bistrot (du moins avant l’arrivée de la patronne et de sa soeur), et que la couleur de mon épiderme me différencie quelque peu de ces amateurs de courses hippiques. Qu’importe, ça n’a l’air de gêner personne. En plus des noms de jockeys et trotteurs qui résonnent dans la pièce, un mélange d’accents et de langues feraient certainement le bonheur de quelques linguistes de passage. Comme refrain de ce bruit de fond coloré, résonnent les « j’arrive tout de suite » d’un patron serveur, mais il faut savoir une chose, la rapidité dans le service de l’Okapi est vraiment relative. 

Plusieurs minutes après ma commande, ma gorge a des similitudes avec la mer d’Aral : des-sé-chée ! Le boss, Osango Lokosha, dit “ Le King ”, repasse devant ma table et me lance d’un air surpris: « Bah! T’es là, c’est vrai! … Mais je ne t’ai pas oubliée! ». Les secondes défilent et ma déshydratation s’intensifie. Au bout d’un moment, un client s’avance vers moi en me disant : « Pas encore servie ! C’est bien un thé froid que tu as commandé ? ». J’acquiesce et le type s’en va derrière le bar remplir un bon 3dl de Ice Tea bien frais, avant de revenir vers moi en me lançant: « C’est la maison qui offre !». Que demande le peuple!

Monsieur Jamal, un topographe reconverti dans les assurances, vient se poser à ma table (un lieu stratégique pour mieux mater le départ de la course du prix Paris Normandie). Avec son sens aigu de la vanne, il interpelle un gars bien silencieux accoudé au bar: « Elle est pas belle ta vie maintenant? Qu’est-ce que t’en as de la chance, hein! T’es le plus chanceux du bar ! ». Et moi, naïve, j’imagine tout de suite que l’homme qui a tant de “ baraka ” a gagné le jackpot en misant sur “ Nostras d’Amos ” ou qu’il s’est fait des couilles en or grâce à “ Malcolm des Prés ”. Jamal rectifie mon trip de mytho: « La seule chose qu’il a gagnée, c’est celle de boire son verre et c’est déjà pas mal! ». Puis il ajoute: «Et le patron le plus lent du monde c’est celui-là, si je ne vais pas 10 fois passer la commande, je ne bois pas mon café ». Mais l’ambiance reste bon enfant, car ici, le temps on ne le calcule pas. Quand on aime la vie, on ne compte pas les heures! Nous, nous avons des montres, mais eux, ils ont le temps…

L’Okapi ce n’est pas un endroit où tu viens en solitaire boire des coups pour tromper l’ennui. Ce bar « c’est chez toi, c’est la famille » au point qu’on n’hésite pas à le confier quelques heures à certains clients, quand la patronne et le patron doivent s’absenter. Et puis, comme dit “ le King ”, l’Okapi ce n’est pas un bar typiquement congolais, ce n’est pas l’Afrique non plus, c’est tout simplement: l’ONU! En bref, « y’a de tout! : des Suisses, des Nigérians, des Congolais, des Algériens, des Brésiliens etc. même une Mongole venait parfois faire le service! ». 

La patronne avait dit arriver vers 13 heures, elle rentre dans son établissement deux heures plus tard. Osango “ le King ” lui raconte alors combien il s’est activé, me prenant à témoin: « Hein dis que j’ai tourné comme un papillon…ou comment on dit déjà…comme un poisson dans un bocal !». Je reste là encore quelques heures à bavarder avec les boss et Jamal, tout en buvant une bière offerte (décidément!). Moi-même je commence à perdre la notion du temps et, franchement, ça fait du bien. Les yeux scotchés à l’écran TV, le “ King ” sera sans aucun doute en retard à son rendez-vous chez le physio. Tant pis, ce dernier n’a qu’à apprendre la patience. Et comme dirait le PMU, en allant à l’Okapi : « On parie que vous allez y gagner »!

Florence Métrailler

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