Le gamin au vélo, ou quand les Dardenne se réinventent.

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Pirates des Caraïbes 4 ou Fast and Furious 5 ? Le choix est cornélien. Le Lausanne Bondy Blog, lui, vous conseille de tout son coeur Le gamin au vélo, une fable tendre et bouleversante des frères Dardenne, double lauréat de la Palme d'Or.

Cyril veut parler à son père, il bouillonne. L’adulte à ses côtés essaie de le raisonner. Mais rien n’y fait. Cyril s’empare du téléphone et entend à nouveau cette femme mécanique qui lui dit que ce numéro n’est plus attribué. La ligne coupe et l’oreille toujours collée au combiné, Cyril attend un miracle. Comme si, sortie de nulle part, la voix de son père allait résonner et le rassurer. Enfermé depuis un mois dans un foyer pour jeunes, il tourne en rond et ne comprend pas pourquoi il est là. Son père devrait bientôt venir le chercher, c’est ce qu’il croit dur comme fer.

Cyril est le personnage principal du nouveau film de frères Dardenne : Le gamin au vélo. Trois ans après Le Silence de Lorna, les spécialistes belges du cinéma social continuent leur chemin, toujours fidèles à eux-mêmes. Dans le fond comme dans la forme, tous les éléments dardenniens y sont : mise en scène naturelle, acteurs sidérants de simplicité et récit prenant et émouvant. Sauf que cette fois-ci, ils s’autorisent quelques adoucissements qui vont, tout au long de ces  87 minutes, réinventer leur style sans pour autant le trahir.

Premier élément inédit : la musique. A plusieurs reprises, le Concerto n°5 de Beethoven est utilisé. Marquant la fin d’un acte et le début d’un autre, ces quelques notes sont une surprise totale pour les spectateurs, habitués aux sons crus et bruts des événements, qui jusqu’alors ponctuaient toute la filmographie des réalisateurs. Ayant longtemps hésité, ces derniers ont finalement bien fait de se lâcher un peu, car cette musique solennelle et profonde contraste avec le reste du film, ayant ainsi plus d’impact, et renforce les émotions aux moments clés de l’histoire, là où les larmes montent facilement aux yeux.

C’est également la première fois qu’un acteur aussi jeune porte le film sur ses épaules. Thomas Doret, 12 ans, est simplement sidérant et nous rappelle sans mal le jeune Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups de Truffaut. Les Dardenne racontent d’ailleurs que parmi les 150 garçons auditionnés, Thomas Doret fut le seul a leur faire croire à leur scène, comme s’ils étaient devenus de simples spectateurs. Thème récurrent de leurs oeuvres, l’enfant est ici illustré sans concessions, entre innocence de l’âge et survie inconsciente. Contrairement à Rosetta et à Le fils,  le personnage de Cyril n’est pas encore à l’âge de raison et se retrouve victime des situations qu’il subit sans vraiment s’en rendre compte. Il n’arrive pas toujours à différencier le bien du mal et se lance aussi de lui-même dans ces situations, le plus souvent pour trouver un substitut paternel. Cette naïveté ne dure pas longtemps et il apprend à se blinder, comme la plupart des enfants en manque d’amour. Il est déterminé dans ses choix, têtu et prêt à tout pour se sentir exister.

Enfin, le changement le plus perceptible, celui qui nous travaille une fois sorti de la salle, est la façon dont les frères Dardenne nous racontent cette histoire. Plus de pathos et plus de psychologie ou de morale trop appuyées. Le récit nous apparaît comme s’il se passait devant nos yeux. Les prises de position sont quasi-inexistantes et on sent un certain laisser-faire de la part des réalisateurs. Leur mise en scène est plus distante, moins collée aux personnages. Les dialogues, plus naturels et simples. On sent les respirations du film. Ils ne nous mettent plus le nez dedans, comme ce fut le cas avec Rosetta et L’Enfant, et nous laissent le loisir de voir par nos propres yeux, sans trop nous influencer. Il en ressort ainsi une tendresse et une douceur inédites aux Dardenne, qui nous fait apprécier d’autant plus le métrage. On finit la séance avec plus d’espoir qu’à l’accoutumée et l’amertume habituelle semble avoir disparu.

Habitués du Festival de Cannes, les deux frères ont remporté cette année le Grand Prix avec Le gamin au vélo. Récompense qui viendra facilement s’ajouter aux deux Palmes d’Or, pour Rosetta (1999) et L’enfant (2005), et au Prix du Scénario, pour Le Silence de Lorna (2008), que les frangins ont déjà raflés.

Le gamin au vélo rassemble ainsi toutes les qualités sociales et artistiques des Dardenne, tout en y ajoutant la tendresse qui leur manquait parfois. Ils réinventent ainsi leur cinéma pas à pas et nous font découvrir une nouvelle facette de l’enfant qui, face à l’adversité, endure et continue. Un grand film à l’humilité inégalée.

En salles dès le mercredi 25 mai.

Florian Poupelin

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