Le dîner de sons

Posté dans : Culture 3
En ces temps froids et enneigés, le peuple est loin de se douter que se déroule un évènement qui va bouleverser son mois de juillet: le grand complot du tube de l'été. Confession d'un conspirateur.
Aujourd’hui c’est pas d’habitude. Aujourd’hui c’est mon jour préféré de l’année. Aujourd’hui pas de contrats à signer, pas de promo assignée et pas de médiocres à saigner. Les têtes de noeuds venus pousser la chansonnette ou me filer leur maquette flanquée d’un nom débile au marqueur noir repasseront au prochain jour ouvrable, aujourd’hui c’est férié chez les grands noms du commerce musical mainstream à tendance flouzienne. Oui, chez LES grands noms car la trève n’est pas qu’interne. Aujourd’hui, le concurrent devient copain. Exit les guégerres pour imposer aux pisseuses l’ange des ténèbres le plus emo-core pop punk de l’année ou le musculeux renoi à la voix la plus veloutée. Pour vingt-quatre heures, on oublie les lois du marché. Aujourd’hui, l’objectif est bien plus noble. Aujourd’hui, on choisit le tube de l’été.

C’est en 1991 qu’un confrère français, à la fois fasciné et décontenancé par le succès à l’intérieur de ses frontières de “la Zoubida” de l’immense Lagaf’, fit chauffer du bigophone pour lancer le complot. Le principe, devenu coutume, est simple. On réunit, chaque année à la mi-décembre, les magnats de l’industrie musicale dans un endroit secret, en général la villa de l’un d’eux. Par magnats, je n’entends pas les présidents de groupe. Eux, on sait bien que la musique, ils en ont pas grand chose à carrer, du moment que tourne leur petite affaire. Non, par magnats j’entends les responsables artistiques influents, ceux dont les décisions peuvent être perçues par le clampin  de base affalé devant MTV ou tout autre espace de promotion de notre petite soupe. “Cette seumaine, dans Fan2 leu mag, reuçois l’anneau gastrique fantaisie de Chimène Badi”, c’est notamment le genre de petites chatouilles qu’on doit, si ce n’est à moi, aux sbires qui s’activent sous mon joug. Chaque participant au séminaire est chargé d’une mission bien spécifique et plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord: amener la plus grosse bouse possible pour la partager avec ses petits camarades. Certains, comme moi, constituent tout au long de l’année un pot-pourri des plus grands scandales musicaux arrivés à leurs esgourdes, tandis que d’autres, moins à cheval sur leurs plannings, recherchent activement la perle. On écoute les pistes en se gaussant joyeusement, comme des mômes, pensant déjà au but final de toute cette mascarade: sélectionner le vainqueur et rendre son écoute et sa diffusion vitales pour la partie de la planète dont ce n’est plus l’eau ni la bouffe qui remplit ce rôle.

C’est à ce moment là que le mélomane un tant soit peu concerné va me demander ce qui change de la routine, finalement. C’est vrai, même séparément, nous avons toujours régulièrement produit du caca, c’est pas nouveau. A ceux-ci je concéderai que c’est en effet une loi: si on veut faire des pépèttes, on doit verser dans le tendance, le facile, le mièvre, le grammaticalement insoutenable, c’est comme ça. On peut pas rester underground toute sa vie si l’on aspire à devenir un vieux Beau collectionneur de 4×4, en vue d’affronter dénivelés mortels et autres pièges retors de la ville (pis ça chie, ces 4×4!). Et puis on y croit un peu en nos poulains, nos artistes Poulydor, et on se dit parfois même qu’on avait raison, puisqu’on arrive tout le temps à leur trouver quelques fans, même momentanément. Mais voilà, ce qui change avec notre journée de conspiration, c’est que cette fois-ci, on le fait pour le plaisir. Ce jour là, l’obligation se mue en hobby. Toutes les recettes de l’évènement seront reversées équitablement à nos oeuvres de malfaisance. On partage tout. Pourquoi? Imaginez un peu la sensation de pouvoir que l’on éprouve lorsqu’on croise un ado dans la rue qui dispose de notre effroyable choucroute en guise de sonnerie de natel. Imaginez l’indicible satisfaction que l’on peut ressentir quand on toise un parterre de cons qui reprend une chorégraphie que l’on a soi-même élaborée, ivre comme un âne, dans un chalet à Gstaad. Comprenez la joie que l’on ressent à comprendre que l’on peut vous fait gober n’importe quoi si on se contente de le mettre dans une pub Coca-Cola.

Ainsi, depuis la Zoubida (les éventuels tubes de l’été antérieurs étant les fruits d’un système capitaliste classique) se sont succédés nos grands gagnants: la Macarena; Wes; Cumba Gawlo; Yakalelo (yakalelo!); Ricky Martin, aujourd’hui décédé; Aventura (es un obsesión); las Ketchup, notre chef d”oeuvre; Crazy Frog et toutes ses déclinaisons encore vivaces aujourd’hui; Dragostea din Tei et notre prouesse de la faire chanter à trois groupes en même temps et de la vendre à triple aux plus énormes buses d’entre vous; notre trésor national DJ Bobo; et j’en passe. Le 1er avril 2009 sortira au cinéma un fim de Disney appelé “le Chihuahua de Beverly Hills”, carton annoncé, et je ne me souviens pas que nous ayons déjà essayé de vous imposer un même tube une seconde fois… Je crois que je vais gagner, cette année.

Merci à Alex “Strat One” Perrenoud pour le plot du complot.

Yann Marguet
          

Yann Marguet

3 Responses

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    strat_one
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    strat_one
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    L’ante-sélection est faite, le bébé est dans la boîte. En tendant mes esgourdes d’auditeur masochiste, j’en perçois déjà quelques accords précurseurs!  Bonheur, les petits musicomploteurs, aux molaires qui baignent, s’apprêtent à régurgiter (dans ta face, le monde) leur exploit musicacal de la belle saison à venir!
    Paris lancés que le Poulydor 2009 ne fera pas dans l’iconoclaste et l’irrévérencieux…

    Bon M’sieur Marguet, c’est quand vous voulez qu’on se rejette une petite tournée d’insipide Baujolais-Nouveau en mp3 dans le conduit auditif!

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      stunned
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       Encore emerveillé par la prose magistrale du Sieur Marguet. Un bouquin, un bouquin!!!!

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