
En décembre dernier, alors que je surfais en toute sérendipité entre deux sites d’actualité, je suis tombé sur un article du 24 heures qui annonçait que neufs experts du «Great Wine Capitals Global Network» (GWCGN) étaient venus explorer Lausanne et sa région en vue d’une potentielle adhésion au sein de ce club international d’œnotourisme, où siègent déjà de prestigieuses capitales viticoles telles que Bordeaux, Bilbao, Vérone, Adélaïde en Australie ou Mendoza en Argentine. Laissant ensuite pour un temps cette information végéter dans ma tête, j’ai découvert la semaine dernière en retournant à nouveau un peu fortuitement sur le site web du GWCGN que Lausanne figurait désormais dans le menu déroulant des «Great wine capitals». Bien qu’aucune information ne vienne décrire la ville outre mesure (le développement est certainement en cours) et que rien concernant cette adhésion ne soit paru dans la presse jusqu’alors, le simple fait qu’un onglet «Lausanne-Switzerland» occupe une place sur le site porte à croire que Lausanne fait désormais officiellement partie du club!
Lausanne et ses domaines viticoles sur La Côte et le Lavaux

Rappelons d’abord un fait peu connu: même si les pieds de vigne comptabilisés sur le territoire-même de Lausanne se résument peu ou prou aux 600 ceps plantés dans le parc du Lanquedoc – d’où nous est offert un panorama splendide –, la ville n’en demeure pas moins le plus grand propriétaire viticole public du pays, ce grâce aux cinq domaines dont elle a la possession en Lavaux et sur La Côte.

S’il en ainsi, c’est qu’une bande de moines cisterciens, sans doute lassés de passer le plus clair de leur temps à méditer sur le Très-Haut, ont décidé dès le XIIème siècle d’entamer des travaux de défrichage et de terrassement sur les pentes accidentées de Lavaux et sur les reliefs de La Côte, en vue d’y planter de la vigne. Bien leur en a pris: cet acte de bravoure a non seulement permis d’assurer un auto-approvisionnement durable en vin liturgique, dont on s’abreuve encore aujourd’hui – certes de manière plus profane et récréative – mais a aussi établi les bases architecturales d’une région naturelle d’exception, dont la reconnaissance s’est parachevée en 2007 par l’inscription de Lavaux au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Aujourd’hui, les cinq domaines viticoles appartenant à Lausanne couvrent 33 hectares, répartis sur les communes environnantes de Saint-Saphorin, Cully et Rivaz pour Lavaux et de Mont-sur-Rolle, Perroy et Allaman pour la région de La Côte. La gamme des vins embouteillés par la ville de Lausanne est large: les classiques comme le Chasselas, le Pinot noir, le Gamay et le Gamaret sont évidemment représentés, tout comme d’autres cépages moins courants dans notre région tels que le Pinot gris, la Syrah et le Merlot.
Lausanne à équidistance des principales régions viticoles helvétiques

Si Lausanne est choisie comme ville ambassadrice du vin suisse, c’est qu’elle occupe une situation géographique idéale, particulièrement centrale vis à vis des trois plus importants cantons producteurs du pays, à savoir le Valais (33% du volume total), Vaud (26%) et Genève (9%). De plus, force est d’avouer que le Valais et Vaud occupent une place de premier ordre dans l’histoire de la viticulture suisse: l’importante proportion de surfaces agricoles que les deux cantons ont originellement réservé à la vigne (critère quantitatif), leur maitrise «avant-gardiste» des méthodes de vinification par rapport à d’autres cantons comme Genève ou Neuchâtel (longtemps réputés pour n’embouteiller que de la piquette) et les nombreux grands crus qui en découlent, particulièrement appréciés tant par les experts que par les consommateurs (critère qualitatif), sont autant d’arguments qui justifient objectivement qu’une ville valaisanne ou vaudoise occupe un tel poste. La ville de Sion, bien que bordée de vignes, a été jugée trop petite selon les critères du GWCGN. Quant à Genève, elle n’a manifestement pas tenté sa chance, à moins que le vin ne l’intéresse guère, trop occupée à poursuivre sa mission de spéculation sur le prix du café éthiopien et du riz vietnamien. Qu’il en soit ainsi: Genève protège ses positions dans le très lucratif négoce des matières premières pendant que Lausanne s’érige en capitale nationale du pinard. C’est certes nettement plus modeste mais ça a l’avantage d’être beaucoup moins douteux éthiquement parlant.
Capitale de l’œnotourisme suisse, ça suppose quoi?
Le réseau du GWCGN se fixe pour mission générale de favoriser les échanges commerciaux, touristiques et pédagogiques entre les différentes villes membres. Le titre de capitale de l’œnotourisme acquis par Lausanne accroitra donc sans aucun doute et loin en dehors de ses frontières la visibilité du patrimoine gastronomique, naturel et culturel de Lausanne, du canton de Vaud et de la Suisse. Aussi, il paraît clair que pour les autorités lausannoises, Lausanne Tourisme et l’Office des vins vaudois, qui sont à l’origine de cette candidature, faire partie du club GWCGN suppose des retombées économiques intéressantes, tant pour les acteurs en lien direct ou indirect avec la viticulture (vignerons, détaillants et hôteliers en tête) que sur les recettes touristiques enregistrées par la région en général.
Outre cette plateforme de promotion privilégiée que représente le GWCGN pour ses adhérents, le club organise également des concours en matière d’excellence et d’innovation dans l’œnotourisme et décerne des prix annuels aux domaines viticoles gagnants.
«VIPsation» du vin

A y regarder de plus près et en parcourant le site web du GWCGN, notamment les offres de séjours qui y sont proposées pour partir à la découverte des différentes régions viticoles (repas gastro et résidence en hôtels 5 étoiles font partie du programme), il paraît assez évident que ce club s’adresse avant tout, pour ne pas dire exclusivement à une clientèle détentrice d’un épais portefeuille. Rien de très surprenant là-dedans: dès lors que les notions de luxe et de rareté viennent à être associées à un produit (même banal à priori), il apparaît forcément une offre spécifique réservée à un segment de consommateurs aisés. Le vin et l’aura qu’il dégage, liée d’une part à son histoire ancestrale mais aussi à sa capacité de renouveler sans cesse l’émerveillement de nos papilles, compte donc forcément sa frange d’amateurs huppés. Soulignons que parmi eux, certains ne manquent évidemment pas d’éprouver de la curiosité et un plaisir sincère à découvrir les caractéristiques gustatives du vin, au même titre que bon nombre d’entre nous. D’autres en revanche, par vantardise et/ou par pure cupidité, y décèlent seulement le fruit d’un juteux business en courtisant les seuls grands crus millésimés, certains pouvant atteindre un niveau de cherté proprement délirant; il suffit de consulter la page des Bordeaux sur n’importe quel site de vente aux enchères pour entrer aussitôt dans une autre dimension de l’univers vinicole et comprendre de quoi il en retourne…
Hommage à Bacchus
Au fond, peu importe si le club GWCGN entend faire la part belle à la société mondaine avant tout. Ce réseau d’envergure internationale vient de faire de Lausanne la capitale suisse du pinard, ce qui est plutôt un honneur, tant le rôle lui colle bien à la peau. Au point qu’après avoir rebaptisé la station d’Ouchy «Ouchy-Olympique» en référence au CIO qui y siège depuis 1915, nous pourrions envisager d’en faire de même pour célébrer l’importance culturelle du vin dans l’histoire de Lausanne, en renommant prochainement d’autres stations du m2: que diriez-vous de «Délices viticoles»? Ou de «Bacchus-Bessières»?
En définitive, je vois personnellement un seul véritable avantage dans ce titre gagné par Lausanne: la prochaine fois que je me délecterai d’un Chasselas sur une terrasse de Lavaux ou d’une Humagne dans un chalet valaisan, je pourrai me consoler en me disant qu’à défaut de bien s’exporter, à l’image du vin suisse en général dont la consommation reste locale à 98%, ces deux cépages suisses emblématiques siègent désormais au panthéon du «Great Wine Capitals Global Network» aux côtés du mythique Cabernet bordelais et de la toute puissante Amarone della Valpolicella.

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