La littérature romande, ça vous inspire ? – « Silencieuse(s) », une BD sur le harcèlement de rue

La littérature romande, ça vous inspire ? – « Silencieuse(s) », une BD sur le harcèlement de rue

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Souvent les travaux de maturité ainsi que les autres dossiers de cet acabit n'ont, malgré tous nos efforts, aucun impact sur les autres. Finalement, il semblerait que malgré les longs mois passés à leurs compositions, seul la note compte vraiment. Pourtant, il arrive qu'un TM prennent une certaine envergure, c'est le cas de celui de Salomé Joly portant sur le harcèlement de rue. Après avoir terminé son dossier, l'idée d'une BD lui a trotté dans la tête et de fil en aiguille, de bouche à oreille, un éditeur en a entendu parlé et s'est intéressé au projet. Il ne manquait plus que des illustrations afin de concrétiser ce qui n'était alors qu'une idée.

BD Silencieuse(s)

Résumé

Silencieuse(s) c’est l’histoire d’Agathe, Julie, Mahé, Zoé, Anaïs, Sarah, Lana et Solène, huit femmes âgées de 16 à 35 ans, venant de différents horizons. Amies, voisines ou inconnues. Toutes partagent pourtant un point commun, toutes sont victimes à un moment donné d’un acte de harcèlement de rue. Insultes, attouchements, interpellations déplacées, poursuites, etc., chacune d’entre elle vit une de ces situations et va réagir à sa façon. 

Ce qui se détache de cette lecture

Cette bande dessinée nous fait passer d’un fragment de vie à un autre, la transition est accomplie grâce aux rencontres des différents personnages : on laisse une jeune femme pour en découvrir une autre. Cela fait penser à de petits épisodes, des flashs, qui montrent, avec efficacité, différentes situations de harcèlement de rue. Ces petites histoires permettent d’exposer non seulement les actes mais également ce qui arrive après pour les victimes, les blessures, la peur et même la honte qu’elles peuvent ressentir.

Les dessins dégagent une poésie et une délicatesse certaines, dans des tons rose et doux, ils sont très féminins. Peut-être d’ailleurs un poil trop pour attirer un public masculin, ce qui est dommage, car il n’y a pas que les filles qui doivent être sensibilisées à cette problématique. Les hommes sont également concernés et si eux ne prennent pas conscience du problème, rien ne changera en profondeur.

La bande dessinée reste hélas trop succincte. Les différents épisodes sont bien illustrés, mais ils restent de simples éclairages sur un bref instant de vie, il manque une profondeur, qui pourrait mettre plus en valeur l’importance et les conséquences qu’un simple acte peut avoir sur la vie d’une victime de harcèlement de rue. L’histoire d’un seul personnage aurait peut-être pu approfondir la problématique et donner au récit plus d’impact. Autrement, une histoire plus noire aurait pu être ajoutée, afin de montrer que certaines ne reçoivent aucun soutien de leur entourage, famille comme ami(e)s et les aboutissements qui en découlent. Cependant, cela reste une bande dessinée bien réalisée, qui arrive à dépeindre différentes situations, ainsi que les regards de l’entourage (parents, copines, petits amis, etc.) des jeunes femmes apposés sur ce problème. Cette BD arrive à toucher, à faire penser à des situations vécues ou entendues, elle surprend parfois et révolte aussi. Dans tous les cas, elle ne nous laisse pas insensible.

J’ai beaucoup apprécié la conclusion de la bande dessinée, qui se demande combien de journaux intimes ont été noircis par les ressentis, la peur, la colère, les doutes, sans oublier les sentiments de culpabilité des filles. Elle ajoute qu’il faut se rendre compte que ces filles ne sont pas les responsables de ces actes, mais bien les victimes. J’ai également adoré les croquis qui ont été ajoutés aux dernières pages de l’album.

En résumé, il s’agit d’une belle idée pour amener au devant de la scène un sujet de cet acabit. Elle reste cependant peut-être un peu trop brève pour apporter véritablement une vision concrète et percutante à tous. Sa lecture demeure toutefois digne d’intérêt.

Le harcèlement de rue quèsaco ? 

Il s’agit d’attitudes verbales et/ou physiques adressées de manière agressives, blessantes, intimidantes, irrévérencieuses, insultantes, insistantes voir menaçantes à une personne à cause de son sexe, de son apparence, de son appartenance etc. dans un lieu public (rues, transports en commun, parcs…). Ces actions sont des formes de violence et de discrimination répétées, qui entrainent entre autre de forts sentiments d’insécurité.

Harcèlement de rue Lausanne
Harcèlements de rue les plus fréquents à Lausanne

A Lausanne, comme ailleurs on ne retrouve que trop ce genre de situation. Après une interpellation au conseil communale sur ce sujet, une étude a été entreprise il y a une année par l’observatoire de sécurité de la ville de Lausanne en collaboration avec l’EPFL et l’Institut de recherche Idiap, afin de mieux connaître la réalité de cette problématique au sein de la ville. L’étude a démontré que le harcèlement de rue était une réalité à Lausanne et que des mesures devaient être prises par la commune afin d’améliorer la sécurité. 210 personnes ont été interrogées (majoritairement des femmes), durant la période de juin à juillet 2016, à différents endroits de la ville et à toutes heures (aussi bien de jour que de nuit). Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont assez impressionnants. Selon l’étude réalisée, 63% des femmes ont déclarées avoir subit du harcèlement de rue durant la période de juin 2015 à juillet 2016 et 72% d’entre elles sont âgée entre 16 et 25 ans. On découvre également que 50% des femmes ont été agressées au minimum une fois par mois. D’après les témoignages, tous les agresseurs étaient des hommes et 55% des harcèlements étaient l’œuvre de groupe.

Ces chiffres ont de quoi choquer et surprendre, car du côté des plaintes, c’est le calme plat. En effet, la police ne récolte que dix à douze plaintes par année touchant ce phénomène et ces plaintes concernent uniquement des cas d’attouchements.

Alors pourquoi n’en parle-t-on pas plus ?

Comme le présente très bien la BD, il y a la honte, la peur de la réaction des autres, que vont-ils penser ? Il y a surtout l’impression d’être responsable, d’avoir causé l’agression, idée souvent transmise au travers des discours des autres, ceux qui n’ont jamais vécu pareille situation, ou qui croient tout savoir. D’ordinaire ce genre d’idée conforte, un harcèlement, une agression, cela n’arrive pas à tout le monde, seulement à ceux qui les provoques. Donc si on reste tranquille dans notre coin, aussi transparent et banal qu’un bout de plastique, rien ne nous arrivera. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que cela fonctionne et lorsque on croisera un type ou deux qui ne trouveront rien de mieux que de faire voler en éclat nos illusions, on le comprendra enfin. On tentera de se persuader que ce n’est pas si grave, bien sûr on se sent mal, mais ce n’était qu’une fois, ou deux, ou trois, mais il n’y a pas mort d’homme. Après tout ce n’était que des mots, horribles, certes, mais rien que des mots, rien que des sons, des gestes, rien que ça. La police et la justice ont d’autres choses plus importantes à traiter, les meurtres, les viols, les agressions, les vraies, celles où on se retrouve à l’hôpital… De toute manière que pourraient-elles faire ? Retrouveraient-elles seulement les agresseurs ? Prendraient-elles au sérieux cette histoire ? Bien sûr que non, cela ne servirait qu’à se retourner contre soi. On sait déjà ce que les autres vont dire, ce qu’ils vont penser, la même chose que nous… avant que cela ne nous arrive. Mieux vaut se taire.

Lausanne ne dégage pas toujours un visage accueillant.

Ces réactions sont compréhensibles. Pourtant, si tout le monde réagit de cette manière, rien ne changera jamais. Mais comment y faire face ? Salomé Joly et Sibylline Meynet ont créé une bande dessinée, espérant que celle-ci se transforme en support de prévention dans les écoles et qu’elle puisse faire taire ce silence, créer un impact, afin de sensibilité les jeunes et les moins jeunes à cette problématique. La ville de Lausanne, elle a prit des mesures afin de combattre ce fléau, qu’elle a d’ailleurs inscrit dans son programme de législature. Elle espère avoir tous mis en place à la fin de l’année 2017. Au programme : de meilleurs éclairages, une présence renforcée dans les lieux « à risques », de la prévention, des formations et discussions sur le sujet avec les professionnels de la sécurité, les organisateurs de manifestations, ainsi qu’avec le large public et la mise en place de co-piétonnage, c’est-à-dire former des groupes, afin que personne ne rentre seul durant la nuit.

La conceptrice

Salomé Joly est une genevoise de 21 ans, actuellement étudiante en droit à l’Université de Genève. Silencieuse(s) est sa première bande dessinée.

L’illustratrice

Sibylline Meynet est originaire de Haute-Savoie, elle s’est rapidement lancée dans l’art de l’illustration et en a fait son métier. Elle a déjà illustré plusieurs bandes dessinées, un livre de recette, un artbook, a mis sa patte dans un court métrage d’animation et ne s’arrêtera pas là. Elle a illustré et adapté l’idée originale de Salomé, donnant ainsi vie au projet.


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