La littérature romande, ça vous inspire ? – « Le Dernier Échangeur »

La littérature romande, ça vous inspire ? – « Le Dernier Échangeur »

Les romans se déroulant à New York, Londres ou Paris on en trouve à la pelle. Mais pour raconter une histoire, pas besoin d'aller bien loin, Lausanne comme destination, ça vous dit ?

En choisissant ce livre entre les rayonnages d’une bibliothèque, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. La couverture n’était pas la plus attrayante qui soit, mais il s’agissait d’un roman policier dont l’action se passait ici : forcément une petite lueur de curiosité n’a pas tardé à s’allumer au fond de mon regard.

« Attends ! lâcha Angelo avec autorité. Tu crois pas qu’on a un autre problème… Autrement plus gros que ton petit ego ? Tu trouves pas qu’on meurt beaucoup dans ton entourage ? J’ai pas envie de te perdre, en tous cas pas pour le moment… » Abimi, Daniel. Le Dernier Échangeur. Orbe: B. Campiche, 2009, p. 221.

Résumé

Sans plus une once de motivation, Michel Rod laisse sa vie s’écouler entre son travail de journaliste et ses soirées bien arrosées. L’horrible meurtre d’un chirurgien esthétique dans le jardin de l’Hermitage va peut-être lui permettre de relancer sa carrière, ou tout du moins, que son rédacteur en chef le laisse en paix pour un moment. Mais l’affaire se corse rapidement et bientôt Lausanne croule sous les cadavres. Fidèle à son métier, Rod fouine un peu partout et à force de fouiller, on finit toujours par trouver quelque chose, juste ce qu’il faut pour s’attirer des ennuis, si bien que la vie du journaliste ne va bientôt plus tenir qu’à un fil.

 

Ce qui se détache de cette lecture

A la lecture de ce polar je me suis sentie un petit peu moins en sécurité à Lausanne. Heureusement, ce sentiment n’a pas tardé à disparaître. L’histoire reste une fiction qui me parait plus plausible dans une grande ville des États-Unis que dans le chef-lieu du canton de Vaud. Sous la plume de l’auteur, Lausanne se transforme en ville remplie de dangers, de meurtres à la pelle, parcourue par des gangsters et des escrocs de tout poils. On y parle de trafic de drogues, de prostituées et des mœurs pas très catholiques de certains notables de la ville.

D’ailleurs, si l’on devait résumer le livre en trois mots ce serait: alcool, sexe et meurtre. Cependant, les sujets abordés par ce roman sont plus vastes, on retrouve également l’ennui, la dépression et la solitude, trois états dont souffrent la majorité des personnages. C’est cette lassitude, la monotonie et le manque d’intérêt de leur vie actuelle, qui va les propulser à tenter chacun à leur manière de redonner un peu de goût à leur vie qui manque cruellement d’étincelles. Certains vont se tourner vers l’alcool et ses vertus amnésiques, quand d’autres vont se lâcher sur les plaisirs charnels collectifs.

 

« T’aurais pas une clope ? », demanderait Rod.

 

Un autre thème abordé est la soumission des femmes, qu’on découvre aux travers de deux personnages féminins. L’une manque cruellement de volonté propre et obéit depuis toujours à son mari. A la mort de ce dernier, loin de goûter à sa liberté elle va continuer à suivre les désirs sexuels d’un ami proche de son époux. La deuxième a commencé à se prostituer pour l’amour d’un homme qui n’a fait que la manipuler. Elle a renoncé à son avenir, pour ne récolter à l’arrivée que de la souffrance. Dans un passage du livre, l’auteur glisse également une phrase racontant la situation de femmes fraîchement mariées qui ont quitté leur pays pour suivre leur mari, pour finalement se retrouver claquemurées à la maison et à ne connaître de l’extérieur que le supermarché placé à quelques mètres de leur porte. Ces différentes situations ont de quoi nous donner envie de crier notre désaccord. Le pire est encore que l’histoire se déroule à deux pas de chez nous. Pourtant, à y bien réfléchir, c’est justement ça qui est percutant. Si cela se passait à l’autre bout du monde, on se sentirait moins concerné, on se dirait « oui cela existe encore là-bas, c’est normal ». Mais en réalité, la situation n’est pas toujours meilleure chez nous. L’égalité entre homme et femme n’est pas encore gagnée. N’oublions d’ailleurs pas que le droit de vote en Suisse a été ouvert aux femmes que en 1971 (si le sujet vous intéresse je vous conseille grandement d’aller voir le film L’Ordre Divin). C’est aussi cela le rôle d’un roman, dénoncer des vérités, faire réfléchir, ne pas laisser indifférent.

Scène de crime au parc de l’Hermitage.

Lausanne, bien qu’en toile de fond du récit, reste présente tout au long des pages. L’auteur arrive à nous la faire visiter de haut en bas et de bas en haut. Ses personnages passent par la rue de la Dôle, la rue de Bourg, le Châlet-à-Gobet, Montoie, la rue de Maupas, l’avenue de France, Ouchy, le quartier Sous-gare, Sauvabelin et j’en passe. D’ailleurs, si vous chercher des adresses de restaurants, de cafés ou de bars ce livre en regorge. Michel Rod, le personnage principale, passe en effet le plus claire de son temps dans ce style d’établissement à essayer de tromper son ennui ou à donner des rendez-vous à différents protagonistes. Ainsi au détour de cette lecture on va se retrouver à boire un coup ou à manger une morse au Gros-Minet, au Chat Noir, au Brummell, au Calimero, au Lyrique, au XIIIe et dans bien d’autres endroits encore. Le charme d’un roman dont l’action évolue dans un lieu connu est justement le fait qu’on en reconnaisse les lieux, qu’on les visualise. S’ils sont inconnus, on peut sans effort (ou presque, il y a quand même quelques pentes à gravir) aller les découvrir par nous même. On a même la possibilité de prendre le polar sous le bras pour le lire sur place. Au fil du récit, on retrouve toute la diversité de la ville aux travers des lieux et des personnages, qui sont tout autant des gens peu fréquentables que des avocats, notaires, journalistes, infirmières, commerçants ou agents d’entretiens. Les différentes nationalités présentes en ville sont également intégrées dans le roman, notamment la communauté albanaise qui a une place d’importance, les origines paternelles de l’écrivain n’y sont sans doute pas pour rien.

L’écriture est agréable, le suspens est présent. Je regrette toutefois que l’un des mystères de l’histoire ne soit pas résolu. C’est à nous lecteur de nous faire notre propre petit scénario pour ce cas-là. N’ayez crainte les autres intrigues trouvent toutes un dénouement. Avant chaque chapitre une sorte de mini résumé énigmatique du texte à venir est présenté en deux phrases. Cela apporte un grain d’intérêt supplémentaire et une pointe d’intrigue, que j’ai apprécié. Pour conclure, je dirais que la lecture de ce polar m’a plu, sans pour autant me charmer totalement, un peu trop de sexe et d’exagération à mon goût. C’est un roman à lire une fois par la curiosité, mais ce n’est pas LE roman policier à lire absolument.


L’écrivain

Daniel Abimi est lausannois dans l’âme et s’amuse aux travers de ses différents romans à dépeindre cette ville qu’il apprécie tant et où il a passé son enfance et une partie de sa vie d’adulte. Il a travaillé comme journaliste, chauffeur de taxi, s’est engagé pour la Croix Rouge mais a également travaillé pour le CICR avant de se lancer dans l’écriture de roman. Le dernier échangeur est son premier polar, puis il a enchainé avec un deuxième, Le Cadeau de Noël, en 2012, pour partir ensuite sur un roman plus biographique, Le Baron, en 2015.


La maison d’édition

Installées à Orbe, les éditions Bernard Campiche ont vu le jour en 1986, grâce à l’homme du même nom, alors bibliothécaire. Sa reconversion en éditeur a permis à plus d’une centaine d’auteurs de voir leurs livres publiés et leurs travaux récompensés par quelques prix.


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