La chronique onirique de Page – Episode 9

Posté dans : Feuilleton 1
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités seront moqueuses, océaniques en Australie avec des petites pieuvres pas comme les autres, et dans les tréfonds du couloir qu’hante Page, quelque part à Lausanne, en proie à une séance intense de rangements et nettoyages. Alors, asseyez-vous confortablement, respirez, et laissez la Page vous promener dans ses petits coins.

Moquons-nous de notre sujet d’étude…

Julian K. Finn est zoologue, australien, et spécialisé dans l’étude des animaux marins. Il y a peu, il a publié un article très intéressant sur l’un des premiers cas documentés d’usage d’outils par un animal invertébré. En effet, il a découvert que certaines pieuvres (Amphioctopus marginatus) sont capables d’utiliser des moitiés de noix de coco pour se construire un abri au fond des mers. Cette découverte, sans doute de première importance pour qui s’intéresse aux dangers présentés par nos « amis » les animaux, n’est pas ce qui intéresse Page. Non, ce qui fascine Page, ce sont les circonstances de cette découverte.

Imaginez, imaginez le fond des mers, la silencieuse majesté de l’océan tout autour, l’immensité terrible et salée, peuplée de dangers nouveaux et de créatures étranges. Imaginez être régulièrement plongés dans cet environnement, ballottés ou bercés par cette impossible respiration gris-bleu venue du fond des âges. Cette mer qui prend les hommes qui lui jurent un amour teinté de respect et les guide à bon port selon son bon plaisir. Cet océan de beautés cachées, de promesses d’or et de joyaux, de territoires à découvrir. Ce dieu qui jamais ne transige, jamais n’écoute les prières adressées à son endroit, jamais ne pardonne ni ne discrimine.

Imaginez être Julian K. Finn à observer les plus fantastiques de ses habitants, et notamment la terrible Amphioctopus marginatus (plus de trente centimètres d’envergure, tout de même). Qui a déjà vu une pieuvre nager vous décrira l’expérience comme de voir un ange voler, tant ces animaux sont majestueux en pleine eau. Et là, là, devant vous, suffisamment proche pour la toucher, vous voyez la pieuvre étendre ses tentacules autour de deux demi noix de coco, péniblement empilées l’une sur l’autre. Puis, péniblement encore, coincer comme elle le peut lesdites demi noix de coco entre ses tentacules, avant de « marcher » sur la pointe des ventouses, tentacules raidis, comme des échasses, parfois sur de longues distances (plus de 20 mètres).

Le ridicule de la situation n’échappera à personne. Vous avez déjà, les mains prises, coincé quelque chose d’un peu volumineux sous votre menton ? Vous vous rappelez cette sensation d’imminence catastrophique, le manque total de contrôle sur vos mouvements ? Maintenant, imaginez faire la même chose en étant forcés de « marcher » uniquement en rampant, en vous servant dudit menton pour vous tirer vers l’avant. « Cette vision était extrêmement comique », raconte Julian K. Finn, « Je n’ai jamais autant ri sous l’eau ». Des centaines, des milliers, peut-être des dizaines de milliers d’années d’évolution, pour parvenir à faire d’une espèce invertébrée, une espèce capable d’utiliser deux demi noix de coco comme armure. Et que font les scientifiques, la première fois qu’ils observent ce petit miracle ? Ils ne font rien qu’à s’moquer. Sérendipité, quand tu nous tiens…


…et de nos voisins.

A l’instant même où Page vous écrit, derrière son masque et son bureau, ille observe le bureau d’en face, où une association de jeunes drôles a ses locaux. Cette petite équipe, depuis ce matin, est en plein ménage de printemps, comme si le retour du soleil sur notre verdoyante contrée avait réveillé leurs velléités les plus hygiénistes. Illes ont donc commencé par vider quelques strates des précédent.e.s occupant.e.s, posant à même le sol des dizaines de ce que seule la politesse ne permet pas à Page d’appeler des détritus. Page, de temps en temps, jette un oeil sur l’archéologie de ses voisin.e.s. Pêle-mêle, ille a pu ainsi découvrir :

-des centaines et des centaines de feuilles de papier oubliées ;
-deux caisses pleines de bouteilles vides, probablement propres à une époque, avec un écriteau « Ne pas jeter », vraisemblablement tombé là par hasard, mais respecté à la lettre depuis plusieurs années ;
-de la fausse paille aux couleurs acidulées dont on fait ces nids d’une extrême kitscherie pour Pâques, artefacts, sans doute, d’une quelconque soirée à thème ;
-plusieurs pots de peinture donnant furieusement à penser qu’elle était destinée à un usage corporel, pour laquelle ni Page, ni aucun des membres de l’Association n’ose formuler une explication à voix haute ;
-un membre de l’équipe dans un état pitoyable suite à une allergie à la poussière caractérisée, les yeux rouges et gonflés, mais toujours proactif ;
-des gens qui demandent « Mais, est-ce qu’on ne va pas déranger les autres usagers du couloir ? »
-des gens qui répondent « Nan, t’en fais pas, ils sont sympas par ici. »

En bref, toute une petite organisation de gens qui parfois se battent pour les autres, parfois s’organisent pour leur faire passer un bon moment, parfois s’organisent pour qu’illes vivent un peu mieux, et qui ont décidé qu’aujourd’hui, il fallait bien y passer, à ce fameux nettoyage. Page regarde, du coin de l’oeil, la praxis qui émerge : « Alors moi je fais ça, et toi tu t’occupes de ça. » « Où est l’aspirateur ? ». « Qui a volé le scotch ? ». « Quelqu’un a un briquet pour la bougie qui sent bon ? ». « Qui a ENCORE volé le scotch ? ». « Où va l’aspirateur ? ». « C’est le troisième rouleau de scotch que vous perdez ! Je vous préviens, c’est la dernière fois ».

Le travail est maintenant terminé. Il reste bien quelques détails à régler, la caisse de bouteilles a été remise sous une chaise, bien rangée, mais quelqu’un a décidé que son contenu devait partir pour la consigne (trop bien rangée, la caisse ne bougera pas avant le prochain nettoyage, ou le suivant peut-être, ou sera retrouvée, après l’apocalypse, par les occupant.e.s suivant.e.s de notre petite planète, l’écriteau toujours bien en place). Quelqu’un saisit Page par le bras : « On peut s’tutoyer ? Viens voir comme c’est beau ! ». Derrière son masque, Page sourit. Il suffit de rien pour être le témoin d’une résurrection. Longue vie à l’Association, donc ! Vous avez fait du bon boulot.

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  1. Avatar
    lapetitedubureaud'enface
    | Répondre

    Monsieur Page bonjour!

    Hummmm après ces belles constatations sur notre merveilleux ménage de printemps je tenais quand même à préciser certaines choses… eh oui! Concernant la caisse de vin : c’est moi même qui ait écrit le fameux petit papier pour remettre à la consigne (écologie quand tu nous tiens), et elle est dans le bureau depuis Noël (vin chaud gratuit pendant les fêtes). Sinon je me suis bien marré en relisant les petites phrases prises à droite et à gauche car la plupart venaient de moi eh eh. Alors un constat se présente à moi: MAIS JE PARLE TRES FORT NOM DE BLEU (ça c’est mes racines du Sud!!).

    Je tenais également à dire que je suis contente de vous avoir mon cher Page en face de notre bureau!! Ce ne sera pas la même chose si on n’avait pas des personnes aussi sympa dans ce couloir gris!!

    Bonne continuation et à bientôt pour un nouveau épisode… 🙂

    la petite qui râle tout le temps ^^

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