La chronique onirique de Page – Episode 7

Posté dans : Feuilleton 2
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités seront eschatologiques et calculatoires. Alors asseyez-vous confortablement, respirez et, en attendant la fin du monde, laissez la Page vous promener dans ses petits coins.

Eschatologie

Posons-nous un instant la question du calcul. Qu’est-ce que calculer ? Calculer, c’est manipuler des symboles. “Calcul” vient de calculus, en latin, qui veut dire “caillou servant à compter”. En gros, lorsque l’on calcule, on pousse des petits cailloux dans sa tête. Imaginons un instant une opération de calcul simple : 2+2. Je prends deux cailloux symbolisant l’unité, un autre, différent, et encore deux unités. J’enlève le caillou du milieu, je compte, et hop : 4 ! Bien entendu, pour des opérations plus complexes, il peut s’avérer utile de se servir de cailloux d’une certaine forme pour résumer des manipulations moins évidentes. Pour les grands nombres, un caillou par unité devient vite problématique, pour peu que votre appartement ne jouxte pas une carrière. A la fin, il s’agit simplement de mémoriser quel petit caillou correspond à quel nombre, à quelle opération, à quelle fonction. Il arrive même de nos jours, si Page en croit certain.e.s de ses ami.e.s, que l’on puisse calculer sans même visualiser encore les petits cailloux (le symbole n’est plus qu’un petit dessin sur une feuille, signifiant, au choix, la taille d’un troupeau, le prix du poireau, ou la dérivée en x de la fonction sigmoïde). Mais – font remarquer à Page ses lecteurs, ses lectrices les plus perspicaces – quel rapport avec l’eschatologie ? C’est une excellente question, quoiqu’un peu précoce, car j’allais justement y arriver.

Un homme sérieux vient de découvrir l’un de ces merveilleux codes cachés dans la Bible, annonçant l’événement social de la (très) prochaine saison : la Fin du Monde. Suivons, un moment, les petits cailloux dans la tête d’Harold Camping, puisque c’est son nom. D’après Harold Camping, le nombre 5, dans la Bible, correspondrait à “expiation”, le 10, à “complétude”, et le 17, à “paradis”. Manifestement, la Fin du Monde a trois mamelles : l’expiation, la complétude, et le paradis.

Puisque chacun de ces mots possède son propre nombre, nous pouvons maintenant effectuer quelques calculs simples pour enfin découvrir la date fatidique à laquelle nous n’aurons plus à nous soucier de ce fameux prix du poireau. Multiplions ces trois chiffres, et nous obtenons 850, nombre terrible s’il en est. Ensuite, élevons le au carré, et nous obtenons 722’500. Eh bien figurez-vous que le 21 mai 2011, quelques Romains enthousiastes se seront emportés contre un fils de charpentier depuis 722’500 jours. “Coïncidence ?”, demandez-vous en haussant les épaules.  “Certainement pas !”, répondrait Harold Camping s’il vous entendait ainsi mettre en doute son raisonnement. “Mes petits cailloux ne sauraient mentir, tout ceci est prouvé, par le pouvoir des symboles, aussi vrai que le prix du poireau est de 5.- par kilo environ”. Puisque nous avons poussé les bons cailloux, ce que nous disons doit être vrai. C’est du calcul, donc c’est scientifique.

L’histoire derrière cette histoire, c’est qu’en septembre 1994, Harold Camping avait déjà célébré un office religieux devant être le dernier avant la fin du monde. Il convient ici de préciser qu’Harold ne considère pas un instant la fin du monde comme une catastrophe, mais bien comme un événement positif, une étape dans un voyage spirituel qui l’emmènera plus près de son dieu. Et les nombreuses personnes qui l’écoutent s’en réjouissent avec lui. Illes s’étaient d’ailleurs tout autant réjouis de la date précédente, qui pourtant les déçut un petit peu par son côté pas-si-fin-du-monde-que-ça. Mais aujourd’hui, illes savent. Illes ont suivi les explications et les petits calculs d’Harold Camping, et sont arrivé.e.s à la même conclusion que lui.

Imaginez. Imaginez la beauté d’un raisonnement si clair que n’importe qui pourrait arriver à la même conclusion (pour peu qu’ille dispose de 722’500 petits cailloux), quatre multiplications et hop : La date de la fin du monde. Il y a une telle poésie dans ce genre de logique, tout devient si simple et épuré. De l’épopée du monde, on fait une petite collection de symboles, tout juste un haïku, et on résout le temps, l’Histoire, pour annoncer un nouvel âge. Et on dispose des oreilles bienveillantes de dizaines, de centaines de fidèles, qui nous demandent à grands cris de manipuler des symboles pour satisfaire leur curiosité. Et lorsque c’est chose faite, on en vient à se demander si, dans ce genre de calcul, les symboles sont les seuls à être manipulés.

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2 Responses

  1. Avatar
    etienne_doyen
    | Répondre

     
    Petit pouce!

  2. Avatar

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