La chronique onirique de Page – Episode 42

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Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Mouhouhouhahahahah (rire démoniaque) ! Trrrrremblez, mortels, car du fond des Enfers, du plus noir petit coin de l’Hadès, voici la chronique de Page, tout droit sortie des recoins les plus terrifiants du dictionnaire. Cette semaine d’Halloween, nos sérendipités seront pleines d’angoisse, de sombres rituels, et de rencontres à vous glacer les sangs. Alors asseyez-vous confortablement dans votre cercueil, respirez profondément la poussière de votre tombeau, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins de cimetière.

Petit lexique satanique pour Halloween

Imaginez. Imaginez une maison sombre, à l’écart d’un village où ne vivent plus que des ombres. La route qu’elle borde, autrefois peut-être bien entretenue, est envahie par les ronces, bordée de peupliers où sont venues s’encastrer moult voitures, roulant trop vite pour n’aller nulle part. Le ciel, en cette morne fin d’après-midi, est de la couleur de la vieille cendre. Des nuages, du plomb dont on fait les balles de revolver, glissent à grande vitesse sur le hurlement du vent qui glace. Un crachin huileux, plus froid que véritablement liquide, poisse les rares passants qui, tout à leur pas pressé par la peur, se signent en détournant la tête. Cette terrible bâtisse, dont le portillon est brisé à jamais, trop sanglant de rouille pour donner encore une quelconque illusion de vie, nous allons y pénétrer, pour faire connaissance avec ses habitants hagards et abjects, ses sombres squatteurs silencieux. Qui sait, si notre santé mentale résiste aux chocs de la terreur, peut-être y apprendrons-nous quelque chose.

Mésaise : Lorsque l’on pénètre dans le hall crasseux, l’on se retrouve nez à nez avec son concierge, un vieux bonhomme gris, l’air revêche, qui nous dévisage d’un air mauvais. Son visage est défiguré, rongé par une maladie exotique qui à travers sa joue laisse apercevoir des gencives viciées plantées de vieux chicots moisis. Son haleine rappelle vaguement la carcasse du raton-laveur décollé de la calandre de la grosse américaine par le chauffeur bossu qui nous a déposé. Il parle à peine. Nous tend une clé. Nous met en garde contre les habitants les plus bourrus. Puis claque sa porte dans un ricanement rauque d’où suinte le tabac des siècles. Le mésaise, c’est l’ancêtre du malaise.

Le soir tombe soudainement. Les quelques éclairages qui ornent le grand escalier, majestueux sans doute au siècle dernier mais désormais usé par la fuite éperdue des précédents visiteurs, ne font que donner vie aux ombres sur les vieux tableaux rongés.

Sépulcral : Montons un étage. Frappons à la porte derrière laquelle on entend des chocs répétés, comme si quelqu’un, au-dedans, tranchait, hachait, une viande dont on préfèrerait ignorer la provenance. Quelques coups, étouffés, à l’huis. Le hachoir cesse de s’abattre. Un silence. Puis la porte s’entrouvre sur un homme maigre, le teint maladif luisant sous une fine sueur qui colle ses cheveux gras à son crâne mou. C’est l’épithète sépulcral qui nous montre ses yeux éteints. Sa peau, derrière un tablier de cuir maculé de brun sombre, est tendue à se rompre sur son squelette que l’on devine aisément. Sa langue est blanchâtre ; sa voix, pâteuse. Son visage est figé dans le rictus macabre des crânes bariolés de cire qui lui servent d’instables bougeoirs. Sépulcral, c’est ce qui nous fait penser au tombeau, à la mort.

Un long couloir silencieux. Au mur, un papier-peint rongé par une lèpre moisie. Un tapis en lambeaux libère à chacun de nos pas une poussière grasse, et semble garni de pseudopodes qui happent nos semelles, tentant en vain (pour l’instant) de nous garder figés. La rambarde branlante ne nous sera d’aucun secours si d’aventure il prenait à l’un des voisins l’envie de nous pousser. La prochaine porte est entrouverte. Derrière, une ampoule nue lutte et perd contre des ténèbres grouillantes.

Chitineux : A notre arrivée, les ombres s’animent. Laissée à l’abandon, cette partie de la maison sert désormais de refuge à un analècte de carapaces et de griffes, de mandibules qui craquent et d’antennes qui effleurent. Les volants se collent à nos vêtements, les rampants s’enroulent à nos pieds. Des ailes molles frottent notre oreille. Un vrombissement sourd envahit tout l’espace. Un vivarium brisé, vraisemblablement amené là par un précédent locataire, est désormais envahi par une multitude de toiles enchevêtrées dont les habitants se repaissent d’un festin qui semble grossir à l’infini. Un léger mouvement à l’orée de votre pantalon : Une scolopendre, tout en longueur, ses innombrables pattes s’accrochant à vos baskets, tente de trouver, tout contre vous, un refuge. Vous secouez la jambe, désespérément, pour vous débarrasser, pour oublier ce contact froid et lisse, cette démangeaison qui, vous en êtes sûr.e, ne vous quittera plus aussi longtemps que vous vivrez. Vous laissez s’échapper de votre gorge un long hurlement. Puis vous tournez les talons et fuyez, fuyez, aussi vite que vous le pouvez. Les restes qui collent à vos semelles vous rappellent que la chitine est justement la matière dont sont constituées les carapaces des insectes.

Vous fermez la porte derrière vous en tentant d’oublier cette nuée grouillante. Mais le cliquetis de milliers de petites pattes tranchantes, les stridulations à peine audibles que vous discernez encore, accompagneront encore longtemps vos cauchemars.

Délétère : Vous continuez votre visite. Il ne reste plus qu’un étage. Ici, quelqu’un, il y a fort longtemps, a installé un observatoire. Une grande verrière donne sur un ciel nocturne. Mais point de magie étoilée dans cet antre du mal. La lumière des étoiles, à travers les vitres crasseuses, est blafarde et désolée. Elle n’éclaire que péniblement les restes d’un laboratoire en ruines. Une table d’opération ayant beaucoup servi traîne dans un coin, témoin d’innombrables expériences contre nature. A ses pieds, des bidons poussiéreux, des bouteilles verdâtres brisées, leurs étiquettes illisibles, rongées qu’elles sont par l’acide et les dépôts fétides, répandent dans la pièce une atmosphère délétère. Rien ne saurait vivre longtemps ici. Sous vos pas craque le squelette d’un oiseau, fauché en plein vol par quelque volute pestilentielle. Vos yeux coulent. Votre bouche s’assèche. Vos muqueuses commencent à picoter. A chaque inspiration, vous sentez un petit peu de vie qui vous quitte. Vous remontez votre t-shirt sur votre nez et votre bouche, et faites demi-tour. Délétère, c’est ce qui sent le mal, la mort, c’est le danger et le malsain dans les poumons, la corruption invisible qui rôde.

Et puis… Et puis, il y a la cave. Vous redescendez en frissonnant, le bruissement des insectes, les coups de hachoir, l’odieux caquètement du concierge. Et dans le hall, une porte, donnant sur un escalier qui descend, descend. Vous l’empruntez. Il y fait immédiatement plus chaud mais, au fur et à mesure de votre descente, la chaleur presque rassurante fait place à la fournaise.

Apocryphe : En bas, la cave est vide. Un poêle à charbon irradie une chaleur insensée. Vous desserrez autant que faire se peut vos vêtements. Une odeur de mort vous assaille et vous étouffe. Au sol, à peine visible, un pentagramme a été dessiné avec ce que vous espérez être de la peinture d’un rouge très brun. Une large fissure déchire le sol de béton, comme si quelque chose avait griffé la terre. Quelques organes, reliefs d’une cérémonie impie, jonchent ça et là. Soudain, un courant d’air chaud portant des effluves de charogne et de maladie s’élève tout autour de vous. Le bourdonnement de centaines, de milliers de mouches, résonne tout à coup à vos oreilles. L’ancienne fissure du sol craque à nouveau, telle une plaie qui se rouvre, vomissant une lumière rougeâtre qui vous éclabousse d’un éclat malsain. Une main griffue s’extirpe du sol. Des cornes suivent, surplombant les épaules musculeuses d’un corps gigantesque et nu, la peau squameuse parsemée de plaques d’écaille. Après la charogne, c’est le soufre qui envahit désormais l’atmosphère. Un concert grotesque de ricanements malsains et de pleurs pitoyables se joint au tourbillon des mouches qui annoncent la venue de leur maître, l’Apocryphe, Seigneur du mensonge, prince des fausses attributions, régnant sur les textes que la meilleure classe de bigot juge non inspirée de Dieu. D’un doigt crochu, il vous désigne, il vous damne sur place.

Cette fois-ci, c’en est trop pour votre courage (ainsi que votre vessie). Vous escaladez quatre à quatre les marches qui vous séparent de l’entrée, bousculez le vieux concierge, qui vous maudit à son tour, passez la porte glauque, vous encoublez presque dans le portillon en ruine, et tombez à genoux au sol, tremblant.e, fourbu.e, traumatisé.e sans doute par les horreurs que vous avez traversées. « Jouer à se faire peur, pensez-vous, n’est pas à la portée de tous. » Et puis vous empruntez la route aux platanes, vers la ville, vers la chaleur de vos semblables, et vers les enfants qui vont de porte en porte en quémandant des bonbons dans des costumes criants de réalisme. Joyeux Halloween !

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