La chronique onirique de Page – Episode 34

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Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités seront estivales et oiseuses, avant de nous emmener du côté d’un petit phénomène très en vogue en ces temps de doute et d’incertitude : le revival. Alors asseyez-vous confortablement au bord de l’eau, respirez profondément le parfum de l’herbe fraîchement coupée et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Ennui et nostalgie sont dans un bateau.

Pour quelques semaines, encore, pour les moins scolaires d’entre vous du moins, c’est l’été. Et l’été, c’est une période bénie durant laquelle il ne se passe rien ou presque. Pas de grands sujets d’actualité. Pas de découvertes scientifiques d’importance capitale. Depuis combien de temps ne vous ai-je pas parlé d’une avancée capitale dans l’étude de la sexualité animale, ou sur un nouveau moyen de virer ses semblables en laissant une machine appuyer sur le bouton du siège éjectable à sa place. Même le crime est nul, en été. Point de cantatrice substituant un acteur à son mari, pas de supérieur qui se fait passer par sadisme pour une charmante personne auprès de son employé naïf. En été, il ne se passe rien. Au mois de juin, la justice de Rennes, en France, refusait à une jeune femme l’accès au sperme de son mari décédé des suites d’un cancer, et qui avait justement conservé une partie de lui-même, craignant pour sa fertilité pendant son traitement. Sous le soleil de juin, la Cour d’Appel a décidé qu’il ne serait pas convenable pour une femme d’élever l’enfant de son mari défunt. Il aurait dû, semble dire cet arrêté, faire fi des nausées post-chimio pour honorer sa compagne à la veille de sa mort. La justice, ce jour-là, a choisi la cigale plutôt que la fourmi. Il était grand temps que celle-ci eût sa revanche. Ainsi finit l’année scolaire de la justice.

Durant l’été, il ne se passe rien. Alors, on se prend à rêver à d’anciennes pratiques, à se réfugier dans la nostalgie d’un temps où l’on s’ennuyait moins. Le petit dernier de l’oisiveté, comme chacun sait,  mère de tous les vices, est le revival. Le revival, ce retour en arrière qui nous fait nous repencher sur des modes, des pratiques, des événements que la patine du temps qui nous en sépare nous rend d’autant plus émouvants qu’elle en gomme tout contexte et tout défaut. Combien sont ceux et celles d’entre nous qui ne repensent aux années 80 qu’avec une petit sourire flou ? Combien sont les trentenaires qui se disent que la télé n’a jamais été aussi bonne que pendant ces mercredis après-midis où passaient à la télé ces chefs d’oeuvre de subtilité et d’inventivité narrative que sont l’Agence Tous Risques, Dallas, ou la version Club Dorothée d’Astro le Petit Robot ? Combien regrettent ces films d’une pertinence politique insondable que sont, dans le désordre, Prédator, Commando, Rambo et Terminator ? Combien se disent que la musique qu’ils n’auraient jamais avoué écouter il y a vingt ans leur manque, et résonne aujourd’hui dans leurs tripes et dans leurs pieds chaque fois que l’ennui pointe son vilain museau ? Le revival permet à tous ces gens de revivre leurs passions inavouées, tout en se sentant justifié.e.s dans leurs goûts par le principe simple du “si je m’en souviens aujourd’hui, c’est parce que ce n’était pas si mal”. En plus, quand le revival paraît, il est assisté du renfort des techniques modernes. La musique que l’on écoutait sur de vieux discmans qui sautaient à chaque foulée est désormais disponible en mp3. Star Wars revient régulièrement avec à chaque fois plus de joulis-effets-spéciaux-ouaou-trop-fort ! Barracuda a une nouvelle camionnette rutilante. Tout est plus clair et plus pur, dans le revival. Ainsi, le souvenir est en haute définition.

Heureusement, la rentrée approche, et avec elle, les fêtes sont plus belles ! La semaine dernière, un groupe de sympathiques nostalgiques organisent un grand raout revival d’un temps où la Suisse était plus innocente, quoi que dérangée, certaines nuits, par un conflit de voisinage entre la France et l’Allemagne. Le 18 octobre 1940, à Sarnen (Obwald), disparaissait une mode qui (à l’instar des années 90) ferait un grand retour remarqué durant la première décennie de notre siècle : La peine de mort. Nostalgie, quand tu nous tiens… La fête nécessite le soutien de 100’000 bénévoles (largement plus que la dernière soirée Pas de pitié pour les nonante organisée par le Lausanne Bondy Blog, soit dit en passant). Les instigateurs de cette initiative considèrent qu’aujourd’hui la Justice du pays est systématiquement “du côté du criminel”. “Les proches de la victime sont punis” dans la situation actuelle (sans doute aimeraient-illes y participer en votant par SMS pour la meilleure manière dont disposer du coupable). Les survivants à une victime devraient avoir le droit de participer à une justice en haute définition pour pouvoir faire un vrai travail de deuil (en haute définition également).

Après une semaine de réactions outrées et de provocations, la fête est annulée. Le projet tombe à l’eau. En fait, selon les organisateurs, l’initiative était le seul moyen légal de se faire entendre, mais ils n’ont jamais souhaité aller jusque au bout. Mais la nostalgie demeure. Sur leur site aujourd’hui fermé peut-on lire un ultime clin d’oeil à une époque où la justice était résolument du côté des gentils : “We’ll be back”.

Selon ces gens, la peine de mort était et demeure une “solution à de nombreux points”. Peut-on en dire autant de la disco ou la musique des années 90 ? Il est clair que non. C’est pourquoi, en lieu et place de la prochaine soirée Pas de pitié pour les nonante, Page propose que le LBB organise une soirée Pas de pitié tout court (en haute définition). En plus, le nom est joli.

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