La chronique onirique de Page – Episode 3

Posté dans : Feuilleton 1
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités nous mèneront autour d’une table pour partager un repas pas comme les autres, et dans une rue de Lausanne une nuit d’insomnie. Alors asseyez-vous confortablement, respirez, et laissez la Page vous promener dans ses petits coins.

Cannibalisme en bonne société.

Il y a quelques jours, Page discutait avec l’excellente Gab, contributrice régulière de ce merveilleux site. Et puisque Gab est une personne charmante, équilibrée, et saine d’esprit, la conversation s’en vint à porter sur un sujet léger : le cannibalisme.
Qu’est-ce donc que le cannibalisme, demanderont les plus jeunes lecteurs/lectrices de cette chronique, à qui d’ailleurs, Page se doit d’adresser les précautions d’usage : “Cette chronique est une expérience de pensée menée dans un état de rêverie, n’essayez le cannibalisme qu’avec des gens consentants, voire pas du tout (et n’oubliez pas de manger cinq fruits et légumes par jour).” Le cannibalisme, c’est le fait, pour un membre d’une espèce, de manger un membre de la même espèce. On résumera le cannibalisme humain par le terme anthropophagie, plus chic. La notion d’anthropophagie est souvent associée avec celle de délitement de la société, de jungles ténébreuses dans lesquelles rôdent les fauves et les Sauvages (terme utilisé, par exemple, par un hooligan de base pour décrire un autre être humain uniquement capable d’élaborer un artisanat ancestral d’une  infinie finesse, ou par un créateur de publicité pour décrire un shaman seulement capable de réciter le mythe de la création de son univers sous la forme d’un poème épique de 10’000 vers dans une langue presque oubliée, au lieu de créer du rêve, Coco, du rêve !!!), en famine drastique. A situation désespérée, apparemment, anthropophagie désespérée. Ce genre de pratique n’est excusée que lorsque tout le monde est pauvre, lorsque l’opulence échappe même aux plus travailleurs. Mais imaginons un peu, imaginons ce que serait une société comme la nôtre si l’anthropophagie en faisait partie intégrante. Peut-être serait-il interdit de faire du bruit à côté d’une boucherie pour ne pas y déranger le bétail ? Peut-être serait-il  de bon ton, lorsque l’on invite des amis à souper, de s’assurer que le gigot ne fait pas partie des proches des convives ? Peut-être s’agirait-il de bien choisir qui serait mangé, de faire des concours comme on en fait pour les bovins – Voici Adalbert de la Rochegrise, créateur de publicité, élevé en plein air, nourri au grain et à cinq fruits et légumes par jour, voilà Michaël Rochat, hooligan, élevé en captivité, nourri au houblon et à cinq fruits et légumes par jour, voici Page, anomalie, nourri.e à la rêverie et à cinq fruits et légumes par jour, élevé.e en liberté sur la Toile. Peut-être ne choisirait-on que les spécimens les plus vieux et les moins productifs ? Ou alors choisirait-on un quelconque Autre, (sauvage probablement), que l’on déciderait de réserver uniquement à l’élevage, ne sachant lui trouver une quelconque utilité dans notre belle société ? Il y a tant d’indigent.e.s, tant d’Autres dont on ne sait que faire, et qui nous coûtent si cher. Autant leur trouver une utilité. C’est ainsi que les hooligans mangeront les artisans, et les créateurs de publicité, les shamans.  Quant à Page, eh bien… Page ne sert à rien. Vertige…

Nuit sans sommeil.

A force de rêver tout le jour, Page ne dort que peu. Alors ille en profite pour se livrer à son passe-temps favori : observer les gens. Cette fameuse nuit, il faisait trop froid pour sortir, mais pas assez pour ne pas écouter la rue par la fenêtre. La ville est différente, la nuit, et suffisamment calme pour qu’on puisse isoler les petits détails qui nous échappent le jour, comme une conversation dans le lointain. A deux heures trente du matin, Page entendit un cri déchirant percer la nuit : “Connard ! Connaaaaaaard !”. Manifestement, la locutrice, le locuteur, allez savoir, avait perdu son connard, et l’appelait à grands cris, telle une colombe appelant à l’envi son/sa partenaire. Il y avait une certaine beauté derrière cette manifestation d’affection teintée de désespoir. Page se plaît à penser que les deux amis se sont retrouvés, et qu’ils ont fini dans les bras l’un de l’autre, à se tenir chaud et à rêver de concert.
Mais la nuit n’était pas finie. A un moment, sous les fenêtres de Page, un léger sifflement se fit entendre, une petite mélodie toute simple, un petit air porté par le vent. Fasciné par la musique, Page sortit la tête. Il y avait là un homme et une femme, l’un.e sifflant la sérénade à l’autre, sans que Page ne pût décerner qui. Ils s’arrêtèrent au milieu de la rue déserte, se tournèrent l’un vers l’autre, se prirent par les hanches et partagèrent un long baiser, ponctué de phrases à voix basses et de rires calmes. Puis ils montèrent dans leur voiture, et disparurent dans la rue. A ce moment précis, Page oublia soudainement ses soucis, le cannibalisme, le froid hivernal, ce que nous pouvons faire d’inhumain à l’Autre, et tout le reste, et décida que peu importe le mauvais sort, l’incompréhension, la mesquinerie, il y a un petit peu de magie dans les êtres humains, et qu’il reste encore, parfois, un petit espoir dans un coin.

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  1. Avatar
    Gab
    | Répondre

     C’est vrai, je suis charmante et en pleine santé, grâce aux cinq fruits et légumes par jour! Big up ‘No, toujours aussi eskellente ta chronique.

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