La chronique onirique de Page – Episode 21

Posté dans : Feuilleton 3
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités seront printanières et amoureuses, toutes de creux secrets et d’endroits sensuels, à la découverte d’une insolite et tendre partenaire de jeu. Alors, asseyez-vous confortablement, au soleil si vous le pouvez, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Lausanne.

Alors que les beaux jours reviennent, alors que sortent les jeunes gens en fleur, dans leurs habits les plus légers, révélant à l’observateur attentif un mollet musculeux, une cuisse fraîche, le haut d’un buste sculptural ou statuesque, des tons allant de cuisse de nymphe à ébène profond, d’ocre à cuivre, l’envie nous prend les baskets de sortir baguenauder dans Lausanne. Page aime bien sa petite ville. Il s’en dégage, lorsque l’on prend le temps de la regarder dans les yeux, une impression à la fois sérieuse et terriblement familière.

Lorsque Page fut poussé.e par le vent, il y a de cela bien des années, au sein de notre chère capitale, ille mit un certain temps à la connaître suffisamment pour pouvoir s’y retrouver. Page adore se perdre, alors ce n’était pas grave, et Lausanne se prête volontiers à l’exercice, tant ses pièges sont nombreux. Prenons par exemple la simple tâche de se rendre, depuis la place Chauderon, au parc de Valency. Lausannoise, Lausannois, tu le sais : “C’est simple, c’est tout droit.” Oui, effectivement. Mais il y a un piège. Au moment crucial, alors que l’on s’engage doucement vers l’ouest deux choix s’offrent à nous, une bifurcation en Y qui semble sans importance, tant l’avenue d’Echallens et l’avenue de Morges semblent ne s’écarter que peu l’une de l’autre. “Oh, ce n’est pas grave, pense l’imprudent.e badaud.e, en choisissant l’avenue de Morges, au pire je prendrai une rue transversale qui me ramènera sur le bon chemin”. Las ! A partir d’une certaine distance, point de rue transversale, le dénivelé étant suffisamment important pour que ladite se voie forcée de se changer en mur d’escalade ou de se garnir d’un funiculaire pour avoir l’espoir de nous rapprocher de notre destination.

Autre exemple : entre deux points, à l’intérieur de Lausanne, il y aura TOUJOURS une ou plusieurs montées, dans un sens comme dans l’autre, et toutes les places se ressemblent plus ou moins. Les boutiquiers du coin ajoutent aussi à la confusion en place, les sadiques : Il y avait, à une époque, une manière infaillible au passant, à la passante perdu.e de distinguer la place Centrale et la place Pépinet, deux places vaguement triangulaires séparées par un simple bâtiment ; il suffisait de repérer l’entrée de la librairie Payot, place Pépinet. Et que croyez-vous qu’il arriva, depuis ? Payot s’agrandit, et une nouvelle entrée s’ouvrit sur la place Centrale. Vigilance constante, oubli forcé des nombreux repères – forcément mouvants ! – mémorisés quelques semaines auparavant, abandon de la logique géométrique la plus élémentaire, pensée en plus de trois dimensions (en matière de mondes imaginaires, Monsieur Cameron, toute votre technique n’est que peinture rupestre face à l’architecture biscornue et tarabiscotée de Lausanne), sont les nécessaires ingrédients pour ne pas disparaître dans un monde hors-la-carte et hors-le-temps, éclairé d’un soleil noirâtre et décadent, et peuplé d’une foule nauséabonde de presque-sans-vie à l’oeil vide et aux joues creuses des non-morts, rendant hommage à leur Dieu Fou dans de lancinantes et caverneuses litanies (la deuxième partie de cette phrase a gentiment été léguée à Page par HP Lovecraft). Enfin pour tout dire, Lausanne est légèrement compliquée lorsque l’on sort de sa campagne, et ne pardonne guère les écarts les plus mineurs.

Une fois domptée, ceci dit, que de merveilles. Les pieds dans vos baskets, escarpins, bottines, sandales, tongs, chaussures de marche ou à crampons, pantoufles, sabots, mocassins, sinuez dans la ville, embrassez ses courbes, comme le doigt d’un amant le long de l’échine de son partenaire, empruntez les petits chemins et les grands axes, et levez les yeux. Laissez se perdre votre regard au gré des ouvertures. Arrêtez-vous sur le pont Bessières, et suivez du regard, vers la montée, la rue Saint-Martin. Les petits immeubles cossus, de loin en loin, laissent apparaître des arbres touffus, avant de céder complètement au vert du bois de Sauvabelin, engoncé, tassé dans la ville, comme si un urbaniste fou avait décidé qu’il fallait enfoncer comme on pouvait un petit coin de vert dans la grisaille . Traversez ensuite, et tournez-vous vers le sud, vers le lac, vers les toits terre-de-sienne ou orangés, ou étincelant de cuivres frappés par le soleil déclinant. Regardez votre ville, quelle soit vôtre de naissance, d’adoption ou de passage. Contemplez le vert des arbres et l’asphalte anthracite, rêvez-vous dans cet ailleurs si proche, ou bien rendez-vous y, tout simplement. Saisissez la vertigineuse plongée sous le parc de Montbenon, découvrez soudain une falaise escarpée dans le petit passage qui relie la rue Centrale à celle de la Mercerie. Trouvez vos propres merveilles, découvrez vos propres mystères, perdez-vous un peu dans cette vieille dame un peu austère mais pleine de surprise.

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3 Responses

  1. Avatar
    Mum48
    | Répondre

    A faire parvenir au “Routard” dont les renseignements quoique très précis ne sont pas aussi drôles !
    Je retournerai à Lausanne avec ce guide en poche.

  2. Avatar
    etienne_doyen
    | Répondre

    Une fois de plus, je vous remercie, Page! Quel morceau! Vous saisissez bien, il me semble, les impressions qu’offre au promeneur la capitale vaudoise… Et entre les lignes, on devine un grand amour entre vous et cette belle dame. J’espère qu’il n’est pas unilatéral : aujourd’hui, sur cet espace virtuel, vous lui faites une véritable déclaration d’amour, tel Roméo au balcon de Juliette. Vous lui caressez effectivement l’échine… Elle ne va pas rester de molasse, c’est sûr! Partagerez-vous avec nous sa réponse ?

  3. Avatar
    formacolor
    | Répondre

    J’ai connu cette ville, alors que je passai un temps en suisse, dans la Valais voisin.
    Mes souvenirs sont épars: depuis cette gare, et, lieu de redirection (mes meilleurs alors que revenant de Paris, et, touchant terre suisse en !vaud), ensuite la vieille ville, sa librairie, son tea room et resturation, mais surtout les bord de lac: magnifique.
    En repartant, ces vignes et ces belles demeures: un réga au printemps…où nous sommes.
    formacolor

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