La chronique onirique de Page – Episode 19

Posté dans : Feuilleton 5
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités nous transporteront de mares en étangs, pour prévenir les tremblements de terre (si, si !), avant de s’enfoncer profondément dans les sombres secrets de nos sous-sols pour y rencontrer une surprenante sensualité. Alors, asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Attendrissements en temps de séisme.

D’après un article paru récemment dans la très sérieuse revue The Journal of Zoology, il semblerait que l’Humanité dispose désormais d’un moyen sûr de prévoir les séismes : observer la reproduction des crapauds. En effet, il semblerait que nos petits cousins batraciens cessent toute activité sexuelle dans leurs lieux habituels de reproduction quelques jours avant que ceux-ci ne soient secoués par les secousses, évitant ainsi à leurs oeufs de finir en omelette. Environ 96 pour cent des mâles se carapatent donc avant un tremblement de terre. Rien n’est dit à propos des femelles, cependant les lieux de rassemblement des crapauds sont dominés principalement par les mâles, qui appellent lesdites femelles de leurs coassements. Et qui dit absence de mâles, dit absence de coassements, donc absence de femelles.

Il est vrai que, quand bien même on apprécierait certaines pratiques faisant intervenir un mouvement soutenu lors de nos galipettes, la possibilité d’un séisme reste ce que l’on pourrait appeler un tue l’amour. Mais, là où le crapaud a une longueur d’avance sur nous, c’est par le fait qu’il peut prévoir son arrivée avant de se retrouver bêtement allongé nu sur une couverture au milieu d’un petit bois ombragé à côté d’un panier à pique-nique en phase de colonisation terminale par les fourmis en plein milieu d’une secousse de 8.3 sur l’échelle de Richter. Combien de couples de crapauds ont-ils été ainsi sauvés, pour combien de divorces chez leurs grand.e.s cousin.e.s humain.e.s lorsque le tremblement paraît ? Ainsi, nous venons de prouver que les couples de batraciens sont d’une fidélité à toute épreuve, tout en n’étant pas sans rappeler, par le caractère communautaire de leurs manifestations physiques, certaines pratiques de l’ère peace-and-love.

Quant à nos congénères humain.e.s, la question se complique un tant soit peu, comme va nous le prouver une nouvelle édifiante saynète que je vous laisse découvrir :
« Je t’avais dit de penser à la glacière. Maintenant, à cause de ce séisme, la voiture est sur le toit, on est à l’autre bout du monde, et j’ai soif !
-Mais voyons, comment pouvais-je prévoir cette secousse que je soupçonne d’avoir atteint environ 8 sur l’échelle de Richter ?
-Ben t’as qu’à faire comme les crapauds ! En tout cas dès qu’on rentre à Lausanne, je te quitte.
-Voyons, peut-être que ceci n’est rien qu’une opportunité déguisée ? Quittons le bruit et la fureur de la ville, et vivons désormais en harmonie avec la nature, nous chasserons, nous cueillerons, nous vivrons de notre amour et d’eau fraîche dans laquelle se reproduisent les crapauds.
-Tu n’y penses pas ! Et quid, je te prie, de l’hygiène, de la sécurité, et du confort du studio de 18 mètres carrés mal isolé que nous devons partager avec ta mère ? Et puis, je t’en veux trop, et j’ai soif. Tout est fini entre nous.
-Tu sais…
-Quoi, encore ?
-J’avais pensé à la glacière, elle est dans le coffre…
-Embrasse-moi ! Et puis nous irons cueillir des fraises des bois. »

Un drame de l’amour tout juste évité grâce à une simple glacière. Et l’on dit parfois que la romance n’existe plus que dans les livres…

Parler avec son corps.

Examinons un instant le ver de terre le plus proche. Ce n’est pas ce que l’on peut appeler un spectacle très ragoûtant… Esthétiquement, le ver de terre est pour le moins terne, sans vraiment d’intérêt, et se distingue en cela assez facilement du plafond de la Chapelle Sixtine. Mais, grâce au travail de chercheuses et de chercheurs de l’Université de Liège, nous allons voir que ces fadasses annélides recèlent, eux aussi, un secret d’une rare poésie.

Nos lombrics sont dénués de bouches pour parler, d’oreilles pour entendre, et de diffuseurs de phéromones pour communiquer à la manière des fourmis. En gros, rien ne semble les rapprocher, rien ne semble leur permettre de discuter de la direction à prendre, ou du dernier livre de Bernard Werber (très lu chez les invertébrés). On pourrait donc en conclure que nos vers de terre sont des individualistes forcenés, qu’ils n’ont aucun comportement social, etc. Eh bien Lara Zirbes et ses collègues viennent de nous donner tort : Si les vers de terre sont incapables de communiquer de manière traditionnelle, ils sont en revanche capables de se transmettre des informations par simple contact. En se frottant l’un à l’autre, deux vers de terre peuvent se mettre d’accord sur une direction à prendre. D’après Lara Zirbes, eisenia fetida (le nom savant de l’espèce qu’elle étudie), serait l’une des seules espèces au monde à communiquer exclusivement par le toucher.

Imaginez, maintenant, imaginez un monde sans lumière, sans bruit, uniquement perceptible par des vibrations diffuses le long des anneaux mous qui vous constituent. Vous avancez, seul.e, dans l’immensité sombre et humide d’un monde constitué uniquement des galeries creusées par vous. Soudain, un frottement survient, quelqu’un se glisse près de vous, se love contre votre corps. « On va par là ? », semble-t-il dire. « On va par là », répondez-vous, content.e de ne plus errer seul.e dans l’humus. Et votre oeuvre de fertilisation de continuer de plus belle, avec désormais au coeur le ravissement de la découverte du monde à deux.

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5 Responses

  1. Avatar
    Zaëlle
    | Répondre

    C’est vrai que les pratiques amoureuses des animaux font parfois envie… Entre la fidélité des crapauds (et des oiseaux!), ce toucher chez les vers de terre… ça serait bien, dans un moment intime avec son/sa partenaire, de pouvoir exprimer ses envies sans avoir à rien dire! Bon, tous les animaux ne sont pas à envier non plus, mais bon…
    Encore une fois un bel article ! Merci!

  2. Avatar
    loris
    | Répondre

    Je suis peut-être naïf mais pour moi un bon amant est justement celui ou celle qui est capable de d’anticiper les désirs de son/sa partenaire et de les combler sans communication préalable, ou alors je divague ? 

    Les animaux ils sont bien gentils mais le dernier paragraphe descriptif de Page me fait sérieusement penser à certains lieux tout ce qu’il y a de plus humains, mais avec un peu plus de bruit, j’admets.

    • Avatar
      Gab
      | Répondre

       Encore une fois, pure magie, avec en prime la touche d’humour légèrement Desprogiennes. On te kiffe, Page!

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      jojolangelot
      | Répondre

      Le dernier paragraphe est bandant, en fait, et ferait une putain d’épitaphe sur une pierre tombale de couple…

  3. […] vous faire une idée du style de ces récits, voici un de ceux que j’ai préféré, repris du Lausanne Bondy Blog: Parler avec son corps. Examinons un instant le ver de terre le plus proche. Ce n’est pas ce […]

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