La chronique onirique de Page – Episode 16

Posté dans : Feuilleton 5
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités seront d’ordre poétique et grammatical. N’ayez pas peur cependant, car nous essaierons de nous éloigner du parler-juste de tristes académiciens pour prendre quelques chemins de traverse. Alors asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Ponctuation et grammaire

Page aime bien la ponctuation. L’ivresse oxygénée de la virgule, l’équilibre fort précaire du point-virgule, sont pour ellui autant de jeux de l’esprit, d’aimables distractions qui, si elles troublent parfois le flot de l’écriture de la présente chronique, lui permettent une petite pause parfois fort salutaire. Comme tout sérendipitologue qui se respecte, les préférences de Page vont aux parenthèses et aux tirets, qui permettent de s’échapper un instant du flot d’un phrase – à l’instant où Page vous parle, par exemple, un petit garçon vient d’échapper à ses parents pour venir voir ce que fait cette étrange personne masquée, tout en mordillant un peu la table sur laquelle repose son ordinateur – pour y insérer des considérations n’ayant rien, ou presque, à voir avec le reste du propos (précisons en passant que « sérendipitologue » est tout autant, voire plus, grammaticalement incorrect que « sérendipité » en français, mais que votre bon coeur et vos bonnes manières vous empêcheront de vous en offusquer). Heureusement, il existe encore des gens fort bien renseignés qui viennent en aide aux graphomanes pris.e.s d’un doute sur le bon placement des espaces avant et après les points de suspension. C’est ainsi que, lors de la rédaction de la chronique de la semaine dernière, Page atterrit sur un fort instructif site recensant les signes usuels de ponctuation utilisés en français. Et c’est ainsi qu’ille se renseigna un peu sur l’histoire de ces petits signes bizarres qui nous disent comment l’on droit respirer.

Il était une fois des gens qui voulaient écrire des choses. Au début, tout allait bien, lesgensécrivaientdesphrasessansespace, c’était net, sans bavure, et sans rature – quoiqu’un peu compliqué à relire. Ce n’est qu’au septième siècle que l’usage de laisser des blancs entre les mots devint une pratique courante, même si une forme ancienne de ponctuation avait fait son apparition quelques siècles auparavant pour séparer non point les mots mais les phrases, les paragraphes, etc. Cet ancêtre de la ponctuation, cependant, était fort méprisé par les copistes, et sombra donc dans l’oubli. Ce n’est qu’aux quinzième et seizième siècles que les règles actuelles de ponctuation (et notamment les majuscules) ne firent leur apparition. Imaginons une scène de repas familial durant les balbutiements de ces symboles nouveaux :

Le père : tu reprendras du dessert
Le fils : Non, merci Papa.
Le père : c est quoi toutes ces respirations dans tes phrases je ne comprends rien
Le fils : C’est le futur, Papa, c’est le futur.
Le père : je n y comprends rien c est pas comme ça que tu auras ton bac
La mère : c est vrai tu veux faire comme tes amis mais tu devrais faire attention sinon tu vas oublier comment on écrit sans
Le père : mais qui est ce qui m a foutu un gosse pareil
Le fils : Mais l’important, voyons, c’est de se comprendre !
Le père : vous les jeunes vous écrivez n’importe comment c est pas difficile vous croyez tout savoir mieux que tout le monde « Oh,;, j’ai plein de signes de ponctuation,-( regardez-moi. regardez)moi, j’ai le droit, de respirer?? dans ma phrase » mais par contre pour écrire le latin cursif y a plus personne
La mère : oui oh tu sais si on compte sur toi pour enluminer une bible on n est encore pas rendus tu passes ton temps à regarder des matches de football alors
Le père : comment il va faire pour trouver du boulot si il ne sait même pas écrire correctement
Le fils : Papaaa je suis tout à fait capable d écrire sans ponctuation, je te rassure
Le père : oui enfin tu as quand même mis une de tes virgules dans ta phrase jeune freluquet
Le fils : je ferai plus attention pour le bac
Le père : tu as intérêt
 
Cette édifiante petite saynète criante de vérité (j’en profite pour vous signaler que oui, le football, ainsi que le bac, existaient déjà au quinzième siècle [et que les crochets servent à ouvrir une parenthèse dans une parenthèse]) vous rappellera sans doute quelques souvenirs. Il est fort probable que, selon votre âge, vous ayez été traités avec mépris par les gardien.ne.s du bien parler, ou l’insouciance d’une jeunesse versée aux plus récents usages. Il est aussi probable que vous soyiez bilingues, capables de passer, selon la compagnie, du français de Bescherelle à celui de Nokia, lorsque vous vous prenez à écrire ou à lire pour communiquer. D’après les linguistes, une langue est avant tout un ensemble d’usages partagés par un groupe pour y faire transiter des informations et des idées. La manière et le style ne sont là que pour rendre les échanges plus faciles. Il ne s’agit donc pas ici de dénigrer la richesse des styles reconnus, ni d’encenser un langage uniquement créé pour économiser de précieux SMS sur des forfaits trop chers. Mais de déclarer : On peut aimer la langue des Académiciens sans la maîtriser parfaitement, se laisser porter par le verbe ; on peut aussi savoir « bien » écrire et ne pas s’offusquer d’un « kikoo t ou lol » ou d’un « Je viendrais à Lausanne dans deux jours ». Et de « j t M » à « je vous aime », on peut choisir de ne retenir que le sentiment.

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5 Responses

  1. Avatar
    Zaëlle
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    Encore une fois très bel article! C’est vrai qu’il y a des petites choses anodines comme la ponctuation auxquelles on ne pense jamais, c’est vraiment intéressant d’en connaître un peu plus sur l’histoire de ces petites choses sans lesquelles on ne ferait pas grand chose. J’imagine aussi mal les mathématiques se passer de parenthèses ou de crochets. Est-ce que jusqu’au XVe siècle, les gens pensaient que 5+3×7 faisait 56?
    Merci pour ce bel article. Ce blog va vraiment devenir mon nouveau rendez-vous hebdomadaire!

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      Zaëlle
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      Hmmm j’ai mis trois fois le mot ”chose” à la suite, que c’est laid…

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        Page
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        Chère Zaëlle, choisissons ici encore de ne retenir que l’important. Et disons-nous qu’avant vous, un autre avait répété bien plus souvent le mot “chose”, ce dont personne ne lui tint rigueur.

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          Anonyme
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          Ceci est fort intéressant! Merci encore une fois de partager toutes ces choses!

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    Mum48
    | Répondre

    Je pense que nous devrons nous adapter à l’évolution de langage -qu’il soit écrit ou oral- comme au réchauffement climatique ! J’ajouterai qu’en ce qui concerne le langage style SMS, les oreilles sont plus vives que les yeux. Mais l’essentiel n’est il pas de se comprendre ?

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