La chronique onirique de Page – Episode 15

Posté dans : Feuilleton 3
Bienvenue dans ce petit coin de Toile. Mon nom est Page. Parce que parfois vous écrivez sur la page et, aujourd'hui, la Page écrit sur vous. Ceci est son domaine.

Cette semaine, nos sérendipités auront l’odeur sulfureuse du crime, de l’avarice présumée, et des faux-semblants, avant de diverger vers un questionnement identitaire nécessaire en ces temps de doute. Alors asseyez-vous confortablement, respirez profondément, et laissez la Page vous emmener dans ses petits coins.

Crimes.
Page aime bien les crimes, pour peu que ceux-ci soient un minimum intéressants, mystérieux, étranges, ou emberlificotés. En se promenant dans un petit coin, ille découvrit un petit article daté du 12 mars, relatant l’un de ces crimes (putatifs) dont la teneur en matériau onirique dépassa, une fois de plus, toutes ses espérances. Ille décida de nommer cette petite anecdote La cantatrice, les « jeunes » premiers, et ces messieurs de la maréchaussée.

La cantatrice, les « jeunes » premiers, et ces messieurs de la maréchaussée.
Un jour, Herman Hilss, 71 ans et mari de la cantatrice Waltraud G., disparut. Comme ces choses-là se font habituellement, sa disparition fut rapportée à qui de droit, et l’affaire en resta là pour deux mois environ. Deux mois plus tard, donc, Waltraud G. visita son avocate, accompagnée de… son époux disparu. L’avocate, émue sans doute par la miraculeuse réapparition de Monsieur Hilss, s’empressa d’en informer la maréchaussée, qui s’empressa elle aussi de dépêcher au domicile dudit un ou deux de ses plus fiers représentants chargés d’attester son identité. Malheureusement, d’après sa femme, le mystérieux Monsieur Hilss s’était absenté pour quelques jours. Les policiers, un tantinet soupçonneux, décidèrent de suivre d’autres pistes, en attendant le retour du mari. Il s’avéra qu’il avait, alors qu’il était considéré comme disparu, contracté les services d’un notaire pour donner à son épouse procuration sur ses biens, ce qui soulevait un léger doute quant à l’authenticité de l’expérience. Mais qui donc pouvait bien être ce fameux mari prodigue, s’il n’était pas effectivement Herman Hilss (manifestement quant à lui pas assez prodigue, ni véritablement retourné aux siens) ?

Après enquête, il s’avéra que la cantatrice avait, peu après la disparition de son époux, contacté un certain nombre d’acteurs, en leur proposant d’endosser pour un moment l’identité de son époux. De ces doppelgängers en puissance, il fut impossible de tirer le moindre petit renseignement. Ce n’est que lorsque la police découvrit le « vrai » sosie utilisé par l’épouse que l’histoire fut prouvée, celui-ci ayant avoué son usurpation d’identité. Waltraud G. est en détention provisoire depuis vendredi. Elle n’a, pour l’instant, fait aucune déclaration. Le corps d’Herman Hilss n’a jamais été retrouvé. Peut-être est-il toujours vivant, d’ailleurs, peut-être est-il le maître d’oeuvre d’une tragi-comédie qui finirait par un sonore « Coucou ! Me revoilà ! J’étais caché dans le grenier depuis le début, lol ! » (comme quoi on peut avoir 71 ans et garder un puissant sens de l’humour). Peut-être que cette histoire n’est qu’un crime crapuleux de plus, certes savamment orchestré, mais désespérément vénal. Peu importe, en fait.

Doublures.
Il n’en demeure pas moins qu’il est possible, aujourd’hui, de remplacer avantageusement nos chers disparus, nos chères disparues, nos ami.e.s indisponibles, parents absents, amant.e.s distrait.e.s, nous-mêmes, ou tout ce qui nous passe par la tête, certes contre salaire, mais il faut bien créer des emplois, que diable ! Imaginez. Imaginez ce qu’il serait possible de faire si l’on pouvait, comme Waltraud G., engager quelqu’un pour accomplir une quelconque tâche qui nous ennuie. Plus besoin de paraître aux engagements ennuyeux : envoyez votre double. Plus besoin de perdre son temps à écouter les nombreuses importunes, les nombreux importuns, qui s’obstinent à nous raconter, dans le désordre, leur vie amoureuse d’une affligeante banalité, leurs difficultés à élever leurs chiens, ou leurs enfants, la tragique injustice qui fait que telle équipe de football ira ou n’ira pas en Coupe du Monde, le racisme ordinaire des gens qui ont un peu peur, la triste litanie des petits tracas qui plombent. Un double bien placé, un hochement de tête bien placé, et hop ! Vous êtes soudain libres de vous envoler vers d’autres cieux plus cléments. « Mais, direz-vous d’une voix dubitative qui ne vous sied guère, qu’est-ce qui empêchera notre double d’avoir lui aussi son double, qui le remplacera pour toutes ces choses ? Et ce nouveau double, quant à lui, ne pourra-t-il pas à son tour engager un double, et ainsi de suite, et ainsi de suite, jusqu’à ce que tout le monde soit doublé, re-doublé, et ainsi de suite, ad infinitum ? Qui suis-je, si je suis doublé par le double de mon double, voire par son double ?

Mais, vous répondrait Page - non sans toutefois vous faire remarquer que, certes, quidquid latine dictum sit altum sonatur, mais prétendre avoir de la culture est le lot des fat.e.s et des créateurs, créatrices de publicité, et que vous n’êtes ni l’un.e, ni l’autre, alors s’il vous plaît -c’est justement là que l’idée est la plus belle : fatalement, il arrivera un moment où nous serons forcé.e.s, pour payer nos doubles, de doubler d’autres doubles, et ainsi de suite, jusqu’au moment fatidique où nous en viendrons à nous doubler nous-mêmes, et tout rentrera dans l’ordre. Nous retournerons à nos importun.e.s, nous retournerons à nos engagements ennuyeux, tout en - et en ceci réside l’avantage ultime de la manoeuvre - payant des sommes astronomiques pour le faire. Et dans ce monde en Crise, alors que rien ne semble plus suffire pour stimuler l’Economie, existe-t-il plus belle entreprise que chacun.e paye un petit peu de son argent pour payer de sa personne ? 

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3 Responses

  1. Avatar
    tao
    | Répondre

    Y a des fois ou je me dis que mon esprit n’est pas assez acéré pour comprendre toutes les subtilités de tes litanies…
    Par contre…. Si je t’ennuie avec mes propos bassement mondains … FAUT L’DIRE!!!!!!
    non je rigole…

  2. Avatar
    camille_chardon
    | Répondre

     J’aime!

  3. Avatar
    Mum48
    | Répondre

    Et si on finissait par ne plus savoir qui est l’original et qui est la doublure ?

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